[PEOPLE] Eurovision, de Gigliola Cinquetti à Nemo : on a raté un truc ?

Capture d'écran RAI
Capture d'écran RAI

Dans son édito du 12 mai, Gabrielle Cluzel l’a très bien dit : l’Eurovision « est une allégorie en musique de ce que nous sommes devenus ». De même que « la France ne sera plus jamais comme dans les films de Fernandel », comme l’avait déclaré, en 2009, l’indigéniste Houria Bouteldja, l’Europe est bien partie, malheureusement, pour ne plus jamais être comme dans les chansons de Gigliola Cinquetti, qui emporta l’Eurovision en 1964.

 

L'Eurovision, il y a 60 ans

 

Il y a tout juste 60 ans, en mars plus précisément, une jeune fille d’à peine 16 ans, après avoir gagné le prix de Sanremo, emportait dans la foulée celui de l’Eurovision à Copenhague avec sa chanson Non ho l’età (« Je n’ai pas l’âge pour t’aimer »). Une chanson dans laquelle une fille de son âge avouait son amour à un garçon. C’était un peu, beaucoup, passionnément et sagement fleur bleue, mais la voix chaude et limpide de cette jeune fille bien élevée venue de Vérone, issue d’une famille noble, conquit immédiatement les Danois, au point qu’elle fut autorisée par le jury à venir saluer une seconde fois le public, contre les usages jusqu’alors du concours. L’écrivain Daniel Picouly racontait pour Le Monde, en 2018, comment l’apparition de cette jeune fille à la télévision, alors qu’il avait 15 ans, l’avait marqué à jamais : « Quand Gigliola Cinquetti apparaît, brune, belle, les cheveux sages, c’est comme si une de mes copines du square venait me chercher pour une balle aux prisonniers un soir d’été. Quand Gigliola finit de chanter, la salle est debout, la rappelle, l’écran est brouillé aux larmes. Soudain, le monde a 15 ans ! »

Soixante ans plus tard, quel âge a notre monde ? On se demande. On se demande aussi, après cette Eurovision 2024, ce qui a bien pu se passer en deux ou trois générations. À quel moment les choses ont-elles ainsi pu vriller ? Sans doute s’agit-il d’un long et lent processus qui connaît aujourd’hui une accélération formidable. Une question nous brûle alors les lèvres : que sera devenu Nemo, le vainqueur de l’Eurovision 2024, dans soixante ans ? Et sa chanson ? Vous me direz que l’on aura peut-être tiré l’échelle avant.

 

60 ans de carrière

 

En tout cas, soixante ans après avoir emporté l’Eurovision 1964, Gigliola Cinquetti, elle, à presque 77 ans, monte encore sur scène, part en tournée et chante toujours, comme en février à Sanremo ou encore dans une émission de variétés de la RAI, en avril. Et toujours cette élégance innée : dans sa tenue, son port, ses gestes. La vulgarité lui est complètement étrangère. Gigliola Cinquetti ? Faut-il rappeler – sans doute pour les plus jeunes – qui elle est ? Soixante ans de carrière, plus de soixante millions de disques vendus, des tubes et des tubes, et des tournées jusqu’au Japon mais aussi en France, où elle fit un bout de carrière au tournant des années 60-70. On se souvient de sa chanson La piogga (« La Pluie », devenue « L’Orage » dans sa version française ») qu’elle interprétait dans les émissions de Danièle Gilbert ou chez les Carpentier, dans une France encore assez sage malgré Mai 68 qui était passé par là : autant évoquer le temps des croisades ! Gigliola Cinquetti : une immense vedette que l’Italie présenta même une seconde fois au concours de l’Eurovision en 1974 avec une chanson : Si. Chanson qui fut censurée en Italie car, à l’époque, on y débattait sur l’abrogation du divorce pour laquelle les Italiens étaient appelés à se prononcer par référendum. On vit dans le titre de cette chanson un message subliminal qui aurait pu influencer les électeurs ! Et la chanson ne fut diffusée sur la RAI qu’après le référendum. Gigliola Cinquetti termina tout de même deuxième à l’Eurovision, derrière Abba avec son fameux titre Waterloo, dont on se souvient aussi un demi-siècle après, et pas seulement dans les soirées de Monsieur Durand, comme chantait Balavoine.

En novembre dernier, Gigliola Cinquetti publiait un roman autobiographique, A volte si sogna, que l’on pourrait traduire ainsi : Parfois on rêve. Le journaliste de Il Mattino qui l’interrogeait à cette occasion lui faisait remarquer que les paroles de sa chanson Non ho l’età étaient vraiment dépassées. Ce à quoi Gigliola Cinquetti répondit : « Mais les chansons vont souvent au-delà de ce qu'elles disent. Moi, par exemple, je la chante toujours en pensant à un avenir encore possible. » Un avenir encore possible pour que l'Europe redevienne un peu comme dans les chansons de Gigliola Cinquetti ? Parfois on rêve...

Vos commentaires

27 commentaires

  1. Il y a eu l’époque ou chaque formation utilisait sa langue. Maintenant c’est tous en anglais, ou américain, je ne sais pas, peut-être aussi en globish, car connaissant l’anglais j’ai des difficultés avec le globish et sans doute aussi les Anglais….( Entendu télé hier pour une pub, « ze » devant un mot commençant par une voyelle….). Chanter dans sa langue favorisait sans doute les langues aux sons impurs comme l’anglais, l’allemand, au détriment du néerlandais ou du français, mais maintenant , c’est tout all american et cela ne me plait pas trop. Idem pour les points, dans le temps, j’ai le souvenir, la moitié des points étaient remis en français; maintenant…

  2. Merci Monsieur Colonel pour cette bouffée d’oxygène en nous rappelant à une époque malheureusement révolue. Gigliola, c’est toute ma jeunesse musicale et artistique et cela perdure toujours avec mes 71 ans. Je ne vos pas de regrets, mais j’avoue que je n’aime pas ce qu’est devenue la chanson populaire, un hymne au vulgaire, à la violence, bref rien de fréquentable.
    Au risque de passer pour un rétrograde, je continuerai mon bonhomme de chemin avec Gigliola Cinquetti, Aznavour, Brel, Ferra et bien d’autres, eux, fréquentables.

  3. Merci pour votre article, j’en ai les larmes aux yeux de ce charmant souvenir et de voir ce que l’on a perdu à cause de vermines bien pouvues et qui n’en n’ont pas fini de nous détruire.

  4. Némo aurait du se nommer Nihil, cela aurait été plus en phase avec la réalité. Aujourd’hui on ne juge plus le talent mais la conformité aux idées les plus saugrenues. On devrait pour le moins retirer le préfixe Euro à ce spectacle qui nous ridiculise aux yeux du monde entier.

  5. « A quel moment les choses ont-elles, ainsi pu vriller » deux dates charnières au moins : 1968 naturellement et 1981 ensuite. La déraison et la décadense en route. Plus rien ne compte que le confort personnel, les congés, les 35 h et leurs RTT et enfin l’avènement d’une informatique mal maîtrisée. Et le monde aborda la dégénérescence. La violence, le genre, le vivre ensemble qui n’est qu’un chacun pour soi et la déconstruction systématique du pays par deux Présidents aux tendanses woke ! Des Présidents hors sol qui ne vivent que pour et par l’étranger.

  6. Merci BV. En 1964 j’avais 16 ans et j’avais passé mes vacances à Valras. Tous les soirs j’allais danser sur cette chanson magnifique. Quel souvenir ! Merci encore.

    • Moi j’en avait 20 et à cette époque on déshabillait les filles des yeux et surtout on les respectaient.

  7. Cette charmante chanteuse ..quel bon souvenir…maintenant on n’a plus envie d’écouter tellement c’est .moche.

  8. De toute évidence, à un certain moment, ça a dérapé ! Il paraît que plus personne ne s’intéressait à ‘Eurovision et que certains ont trouvé ce moyen pour en relancer l’intérêt. On ne peut pas dire que ça n’a pas marché. Pendant qu’on interdit, sur les place des villages, les cirques et leurs animaux dressés on nous les sert à domicile.

  9. On a surtout manqué de vigilance à l’égard de ceux qui font voter des lois qui bâillonnent la majorité. Nous devons pouvoir critiquer ce qui est laid, débile, indécent, vulgaire.

  10. Quelle émotion de voir et entendre une aussi gracieuse personne.
    Face à la vulgarité ambiante, ça fait un bien fou.

  11. Qui se rappellera dans 60 ans de ce personnage et de sa chanson dans 69 ans?
    Personne
    l’Eurovision 2024 : un catalogue de vulgarité

  12. Mes enfants de 35 à 37 ans , eux mêmes parents , écoutent encore souvent , entre autres , ABBA , Simon et Garfunkel, voir même Claude Nougaro…demain , qui se rappellera nemo le chanteur ? Poisson du dessin animé oui , mais l’autre bizarre ? Qui ?

    • Lorsque ma femme (71 ans) va voir pour la 14 … 15e fois je ne tiens plus les comptes la comédie musicale MAMMA MIA mes petits-enfants 17 et 15 ans veulent absolument y aller avec elle (moi je l’ai vue une fois ça me suffit).
      C’est dire l’influence de cette musique qui perdure indéfiniment.

    • Se souviens t’on de la chanson de Conchita Wurst… Du personnage oui mais pas de sa chanson. La décadence.

  13. Ne rêvons pas, on ne reviendra pas aux années 60-70, cette époque est terminée et cela ne dépend pas de nous, c’est le monde entier qui a changé. Il faut nous tourner vers l’avenir qui est encore à faire, certains ont des projets pour cet avenir et ne se gênent pas pour nous les imposer. Qu’avons-nous à leur opposer ? Pour l’instant, pas grand chose, il faut l’avouer et c’est là que se situe le problème.

  14. Je me souviens bien de Gigliola Cinquenti quand elle chantait l’orage. Malgré mon jeune âge, j’étais sous le charme.
    Je n’ai pas vu Némo et je suis maintenant trop ringard pour tomber sous le charme des « artistes » de l’Eurovision.
    Comme vous dites, on a du raté un truc !

  15. Je ne connaissais pas. Votre article dithyrambique m’a donné envie de le faire. Merci, mon Colonel pour ce moment de grâce! En plus, elle chante dans sa langue. Cela fait moins « start up nation » mais c’est tellement mieux!

    • Je ne connaissais pas non plus. Moi, c’est Gloria Lasso dont je me souviens encore de la voix ( en 1957..)

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois