Peut-on sortir du système électrique européen ? Le temps des mauvaises décisions (1/2)

Ampoule électricité

Ne pouvant se stocker, l’électricité implique un exercice d’équilibrisme : l’offre doit s’aligner en permanence sur une demande instantanée variant fortement avec l’heure de la journée, la saison et la latitude. Par ailleurs, le confort de notre société moderne exige de disposer d’électricité 100% du temps.

L’électricité : une commodité très particulière 

Satisfaire à ces contraintes demande un système à la fois surdimensionné et diversifié. Il nécessite la mise en œuvre de sources multiples aux spécificités techniques très différentes. Le charbon, le gaz ou le nucléaire produisent de l’électricité « pilotable » entre 80 % et 90 % du temps. En revanche, le vent ou le rayonnement solaire produisent de l’électricité « non pilotable » (i.e. intermittente - Dame Nature décide où, quand et combien !) respectivement 23 % et 14 % du temps.

Certaines sources bénéficient par ailleurs d’avantages concurrentiels importants. Ainsi, le gaz se met en œuvre extrêmement rapidement contrairement au nucléaire réclamant plusieurs heures pour établir le cycle vapeur.

Enfin, sur le plan économique les sources sont très différentes. Le nucléaire est une filière d’investissements où les coûts fixes l’emportent largement sur les coûts variables (prix de l’Uranium). Pour le gaz c’est l’inverse : le combustible représente 90 % du prix du MWh.

Compte tenu de leurs différences physiques et économiques, les sources électriques sont appelées dans un certain ordre selon leur « mérites » respectifs. Ainsi, le nucléaire constituera le socle de la demande (source infra-marginale) et produira toute l’année. En revanche, le gaz est une excellente source marginale appelée en cas de pointe de consommation.

Du monopole naturel au grand marché européen de l’électricité

Les caractéristiques techniques et économiques de l’électricité sont peu compatibles avec un marché concurrentiel. Le modèle le plus efficace consiste à confier l’ensemble de la chaîne (production/transport/distribution) à une seule entreprise publique non concurrentielle appelée « monopole naturel ». Ce modèle permet de s’affranchir du prix marginal (le gaz) et de proposer au consommateur un prix moyen régulé tout en garantissant une production rentable et continue. Grâce entre-autres à des mix électriques nationaux 100% pilotables et des échanges limités entre pays limitrophes, EDF pérennisa ce concept avec succès durant cinq décennies.

L’idée de remplacer les monopoles naturels par un grand marché européen date du milieu des années 1980. Importée du Royaume-Uni, elle conduisit en 1986 à l’ « acte unique » : les électrons pouvaient désormais circuler en toute liberté entre pays voisins tandis que leur prix était négocié en continu (toutes les demi-heures) suivant les demandes journalière et saisonnière. Mais, en multipliant les fournisseurs alternatifs dans un marché concurrentiel, la libéralisation des marchés imposa de facto l’alignement des prix non plus sur les coûts moyens mais sur le coût marginal de la dernière source appelée. S’il n’en était pas ainsi, elle ne serait jamais appelée ce qui induirait des coupures récurrentes lors des demandes de pointe. Cette loi dite « de l’ordre du mérite » est en quelque sorte une « assurance tous risques » permettant dans un marché ouvert de se prémunir de tout blackout.

Le mariage de la carpe et du lapin

Une fois le grand marché européen mis en place, chaque Etat-membre adapta son modèle. En bon pays jacobin, la France tenta d’unir public et privé au sein d’un « en même temps » très colbertiste.

En pratique, EDF n’ouvra que faiblement son capital au privé mais surtout conserva dans son escarcelle le nucléaire (70% de la production d’électricité en France !) considéré comme stratégique par l’Etat. Incompatible avec un marché ouvert (le nucléaire était amorti depuis longtemps grâce à des fonds publics), cette situation aurait donné à EDF un énorme avantage concurrentiel par rapport aux nouveaux entrants. Aussi, une règle hybride appelé « ARHEN » (Accès Régulé à l’Energie Nucléaire Historique) fût négociée avec l’Union européenne. Elle impose à EDF de vendre à prix coûtant (aujourd’hui à 42€/MWh) 25% de sa production nucléaire aux distributeurs alternatifs présents sur le marché.

La surenchère des énergies renouvelables (ENR)

Quand le marché européen de l’électricité fût mis en œuvre, l’équation offre/demande restait gérable car le mix électrique était uniquement composé de sources pilotables. Mais, à partir du début du XXIème siècle, la montée en puissance des énergies renouvelables devint rapidement un cauchemar pour les gestionnaires de réseau. Où les introduire dans l’ordre du mérite dans la mesure où, dû à leurs intermittences, elles ne peuvent ni assurer le socle ni intervenir comme sources marginales.

Pour éviter que l’électricité renouvelable soit perdue « quand elle arrive », on décida de l’injecter en priorité avant toute source pilotable. Pour obliger cette règle dans un marché concurrentiel, on imposa à EDF l’achat des MWh à un prix imposé aux fournisseurs alternatifs d’énergie renouvelable.

Une bombe à retardement

En imposant une doctrine libérale à un secteur inadapté, en autorisant le mariage de la carpe et du lapin dans un modèle mi marché mi colbertiste, en supportant l’arrivée des ENR dans le mix électrique et en encourageant l’arrivée d’une myriade de fournisseurs alternatifs, l’Union européenne planta le décor d’une tragédie annoncée !

Pour de bonnes (le charbon pour des raisons climatiques) et de mauvaises (le nucléaire pour des raisons idéologiques) raisons, l’Europe remplaça des sources pilotables par des ENR. Implicitement elle affaiblit un socle devenu de plus en plus dépendant des sources marginales gazières. Tant que le gaz se vendait à des prix acceptables (2014 à 2021), le système était supportable. Mi 2021, quand les prix du gaz se sont mis à grimper, la fin de la récréation a été sifflée. Le prix du gaz fait aujourd’hui loi sur le prix de l’électricité.

Principalement gouverné par les égoïsmes nationaux, le grand marché européen de l‘électricité rêvé par Mme Thatcher est un échec cuisant. Ni le consommateur, ni EDF, ni les fournisseurs alternatifs n’y ont finalement trouvé leur compte. Tel le Titanic fonçant droit sur son iceberg, le système électrique européen possède une énorme inertie résultant de 35 ans de décisions politiques erronées.

La suite de cet article à retrouver demain...

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Philippe Charlez
Ingénieur des Mines de l'École polytechnique de Mons (Belgique), docteur en physique de l'Institut de physique du globe de Paris, enseignant, membre du bureau politique de Identité-Libertés.

Vos commentaires

25 commentaires

  1. Et le pire du pire c’est que la G.B. a quitté l’U.E., et avait dicté qu’elle n’aurait jamais accepté l’Euro…

  2. Pour produire de l’électricité on pourrait construire des usines à pédales, la main d’oeuvre serait fournie par l’administration pénitentiaire qui ne manque pas de ressource de cet ordre. Nous aurions ainsi un produit parfaitement écologique, et nul doute qu’en sus il y aurait moins de volontaires pour garnir les prisons. Au moment où chaque jour nous amène son lot de décisions et de décisions ineptes, celle ci ne devrait pas faire tâche.

  3. Il faut supprimer l’union Européenne il faut revenir en arrière chaque pays indépendant et maitre chez lui .

  4. C’est surtout Mme MERKEL qu’il faut remercier celle qui entre parenthèses à avoué récemment qu’elle n’avait jamais eu l’intention de faire respecter les accords de Minsk un scandale qui mérite la corde et qui a bien contribué à la situation actuelle aidée par sa copine Ursula qui a imposé à elle seule ou presque des sanctions débiles pour un truc qui ne nous concernait pas. Bel enchaînement de catastrophes, bien joué les allemands vendeurs d’éoliennes que l’on doit doubler de centrales au gaz systématiquement ! On marche sur le tête. Il faut sortir de ce truc et même de l’UE ça oui.

  5. Une preuve supplémentaire, si il en était encore besoin, que cette europe est un gigantesque fiasco comparable à celui de l’URSS.

  6. L ‘ article commence bien : il y a déjà erreur dès les premiers mots — « Ne pouvant se stocker…  » , SI , l ‘ électricité est stockable via des STEP — pompage/turbinage — , il y e n a 6 en France !! Ces STEP , éminemment PILOTABLES , servent à lisser la production variables des ERN et la production invariable des CN !! Car , oui , les CN ne sont pas pilotable , c ‘ est une légende urbaine tenace ….

  7. Merci. ..j’attends la suite .
    En attendant on peut aller admirer le superbe tableau de Dufy « La fée électricité  » au musée d’art moderne de la ville de Paris .

  8. Toutes les décisions économiques prises par la bande à Macron ont pour objet de permettre aux affairistes de s’enrichir et de leur transférer les pouvoirs régaliens pour nous asservir. C’est la gouvernance mondiale en marche !

  9. Qui a mis en place ces gouvernants dont on nous vante l’intelligence ? Les Français ayant majoritairement une cervelle de moineau (je n’ai rien contre ces petites bêtes) c’est avant les élections européennes et nationales qu’il faut leur expliquer les choses. Nos médias trop souvent complices ne posent jamais les bonnes questions aux responsables politiques, eux aussi par intérêt !

  10. Complétement d’accord avec Crusader. De plus, ce prix de l’énergie est complétement faussé par justement une « conccurence libre et non faussée » qui fait que des margoulins NE PRODUISANT PAS UN WATT D’ELECTRICITE » ont obtenu d’acheter à vil pris (en dessous du prix de revient) de l’énergie au seul producteur, EDF, et de revendre cette énergie avec un énorme bénéfice sans rien faire. Et tout ça, gràce à nos « amis » allemands par l’intermédiaire de Van Der Layen et compagnie. Et tout ça également avec la complicité de nos politicars vendus.

  11. Nous avions une énergie nucléaire rentable à 100%100%, pour des raisons purement électoralistes (tout comme les 35heures ces magouilleurs de politiques sans aucune vision – il faudra un jour le reconnaître – nous ont précipités dans le déclin alors arrêtons de trouver x raisons pour un résultat plus que nul ! C’est en grosse partie de la faute des français qui se dirigent au son des Sirènes ! Et dire qu’on leur refait le coup avec les voitures électriques qui ont moins d’autonomie qu’une malle-poste ! ça devient comique !!!

    • La voiture électrique! Encore une idée pour nous asservir. Nous n’avons déjà pas assez d’électricité pour le quotidien et le prix explose. L’avenir est dans… les pistes cyclables, pour le grand bonheur des écolos.

  12. C’est possible, l’Espagne et le Portugal viennent de le faire. Mais pour la France, non. Allez savoir pourquoi? Nous sommes « dirigés » par des tartuffes. Et dire qu’ils ont fait des études pour ça!!

  13. Oui on peut sortir de ce marché européen de l’énergie, c’est une question de volonté politique. Cette volonté , ce gouvernement ne l’a pas. Macron pour faire plaisir aux écolos et à nos  » amis allemands » a laissé notre parc de centrales nucléaires se dégrader. il a fait un virage à 180 ° , mais un peu tardif. On attend toujours , la mise en route d’un programme de construction et de rénovation de nos centrales . Redémarrer Fessenheim , ce n’est pas impossible, environ deux ans, à condition se s’y mettre tout de suite et sans tergiverser.. Hélas , on en prend pas le chemin ! Macron&Co , veulent simplifier les recours contre l’implantation des éoliennes , fournie bien sûr par ce mêmes amis Allemands. On devrait payer au maximum 100 euros le MGWH , Bruno l’Amer est content , 280€ !

    • Le problème, c’est que suite à l’arrêt de nombreux réacteurs nucléaire, la France n’est plus autosufffisante dès qu’il fait froid et qu’il n’y a pas de vent, on alors est obligés d’importer ((au prix fort), si on sort du marché, il faut s’attendre à des coupures.

  14. 1/ La régulation production/consommation est tout aussi possible intra-hexagone que dans l’ensemble européen.
    2/ Est-il possible de sortir du système européen? Ce n’est qu’une décision à prendre ./

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