[Point de vue] Festival de Deauville : I. Maalouf relaxé mais viré quand même !

Ibrahim Maalouf

On dirait que la présomption d’innocence n’est pas un concept univoque. Il y a de bonnes et de mauvaises présomptions. Un flagrant délit d’attentat met toujours en cause, selon les médias, un « meurtrier présumé », mais une célébrité, relaxée après des soupçons d’agression sexuelle, reste quand même coupable. C’est, ici, le cas d’Ibrahim Maalouf, trompettiste libanais virtuose, neveu d’Amin Maalouf, secrétaire perpétuel de l’Académie française.

Jusqu’à une période récente, Ibrahim Maalouf était surtout connu pour sa créativité musicale et le son éthéré de sa trompette (notamment dans Beirut, son morceau le plus connu), une trompette qu’il avait fait modifier pour pouvoir jouer les quarts de ton, ceux de la musique orientale, lors de ses solos de jazz. En 2016, il a été accusé d’agression sexuelle par les parents d’une jeune fan, qui avait quatorze ans au moment des faits. Si le trompettiste, condamné en première instance, a reconnu des échanges de messages déplacés et un comportement qu’il a lui-même qualifié de « nauséabond », il a ensuite été relaxé pour les faits d’agression, en 2020, par la juridiction d’appel. Malgré un comportement que l’on peut trouver moralement limite, il est donc totalement innocenté par la Justice.

Maalouf devait faire partie du jury du Festival du film américain de Deauville, cet été. Il avait l'envergure nécessaire et tous les sacrements politiques adéquats : n'avait-il pas émis l'hypothèse que les émeutiers de l'affaire Nahel souffraient principalement d'un manque d'éducation musicale ? La nouvelle directrice, Aude Hesbert, en a décidé autrement en le virant à cause d’un « malaise dans l’équipe », un malaise évidemment dû à ses démêlés judiciaires. L’hypocrisie de cette décision se manifeste de deux façons au grand jour : d’abord, Aude Hesbert dit que « ce n’est pas à [elle] de juger, punir ou condamner ». On ne saurait mieux dire ; mais dans ce cas, ce n’est pas à elle de virer un innocent non plus, parce que ça ressemble tout de même un peu à une condamnation, non ? Par ailleurs, la direction du festival lui a demandé de se retirer discrètement, selon son avocat. Ce n’est pas vraiment le comportement que l’on adopte quand on est dans son bon droit - et, en l’espèce, le jury du festival sent probablement que punir quelqu’un qui a été relaxé n’est pas tout à fait réglo.

La vague #MeToo a submergé le monde du spectacle, en 2017 et a eu de nombreux effets très positifs. Le grand public s’est aperçu que la grande famille des artistes ressemblait plutôt à la « familia grande » décrite par Camille Kouchner. Les réalisateurs aux mains baladeuses qui se croyaient tout permis ont dû en rabattre, malgré de trop nombreux cas de prescription. Tout ça va évidemment dans le bon sens. En revanche, à trop vouloir moraliser ce monde qui se croyait au-dessus des lois, les nouveaux inquisiteurs ont parfois eu, et continuent donc d'avoir dans ce cas précis, la main trop lourde. On peut trouver qu’Ibrahim Maalouf ne s’est pas très bien comporté, si l'on regarde les faits qui lui sont reprochés. Mais c’est là une conclusion morale, appuyée sur des critères subjectifs voire bancals, c’est-à-dire précisément ce que les décisions de justice sont là pour corriger, d’une manière aussi impartiale que possible. « Le rôle du juge, disait un grand magistrat que l’auteur de ces lignes a le privilège de connaître, consiste à rendre myope la justice que l’on dit aveugle. » En l’espèce, la présidente du jury de Deauville ferait bien de ne pas s’improviser ophtalmo.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

13 commentaires

  1. Que le Tribunal ait fait une erreur judiciaire de plus, cela n’a rien d’étonnant. Mais au moins les organisateurs du festival n’en font pas, eux.

  2. La phrase « La vague #MeToo a submergé le monde du spectacle, en 2017 et a eu de nombreux effets très positifs » n,’est pas complète puisque cette vague a eu et a encore des effets négatifs en jetant des gens innocents dans l’opprobre. Il y a une justice qui doit s’occuper des crimes et délits.

  3. bof du commérage de bobos, Deauville et ses frasques, on en remet une couche parce que personne ne connaissait ce festival à part les « zélites ».

  4. Mélenchon non plus n’a jamais été condamné pour antisémitisme, il n’en est pas moins vrai que les propos qu’il tient y ressemblent beaucoup. Alors un adulte qui envoie des messages nauséabonds à une gamine de 14 ans n’est sans doute pas condamné par la justice, il n’en reste pas moins vrai qu’on peut se poser la question de savoir si on veut avoir ce monsieur parmi nos invités. Je ne suis pas de ceux qui critiquent pour critiquer. La directrice est là pour faire tourner la maison, elle prend les dispositions qui lui semblent bonnes, mais comme tous les dirigeants, elle peut aussi se tromper, peut-être que cette affaire aura servi de leçon à ce monsieur qui par ailleurs est un excellent musicien que j’écoute avec plaisir, c’est une référence, enfin dans la musique.

  5. Il n’y a pas que Ibrahim Maalouf, hélas, Quid de Ari Abittan, Richard Berry et bien d’autres, disparus des films et écrans !!

  6. Maalouf ! ? … C’est qui ? … Un « joueur de pipo » qui veut de la créolisation dans les orchestres symphoniques ! …
    Il va falloir arrêter avec tous ces « nantis » qui viennent par tous les moyens imposer leurs caste et qui se croient tout permis au motif qu’on leur « trouve du talent » ! …

    • C’est un excellent trompettiste, il ne faut pas tout ramener à la créolisation chère à Mélenchon quand un artiste a du talent je ne vois pas au nom de quoi il n’aurait pas sa place dans une formation musicale, ou alors il ne faut pas critiquer ce monsieur qui ne voulait pas serrer la main aux athlètes noirs parce qu’ils avaient gagné au JO. Pour rappel les bons musiciens de jazz étaient noirs.

    • Les faits sont là et publics, c’est une fréquentation que j’éviterais pour moi et pour mes enfants, relaxé ne veut pas dire mea culpa. S’il est bon, je me contenterai d’écouter son œuvre bien qu’il soit difficile d’apprécier l’oeuvre d’une personne que l’on désavoue, acteur peintre fondateur d’associations humanitaires… Les exemples ne manquent pas.

  7. Vous êtes en France , prenez Cantat qui une fois purgé sa peine ne pouvait plus se produire nul part et Debouze que l’on voit partout et puis Palmade et tant d’autres ….On marche sur la tête dans ce pays depuis trop longtemps .

  8. Maalouf le violoniste qui trouvait qu’il y avait trop de blancs dans les orchestres symphoniques …
    La violoniste d’origine asiatique l’avait bien remis en place .
    la violoniste Zhang Zhang avait déjà sèchement recadré le trompettiste Ibrahim Maalouf pour avoir dénoncé « le manque de diversité de l’orchestre philharmonique de Vienne ». Elle avait alors déclaré : « Peut-être que M.Maalouf l’ignore : le concours de recrutement des orchestres symphoniques professionnels se fait derrière un paravent. » Une manière pour elle de mettre un terme à ces accusations de discriminations dans le domaine de la musique classique.

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