[Point de vue] Guerre en Ukraine : un enjeu pour la France, l’Europe, le monde

illustration jean ukraine

Si tout n'est pas faux dans les griefs formulés par la Russie, aucune de ces causes – même conjuguées – n'était suffisante pour justifier de telles conséquences. En renouant avec le vieil impérialisme tsaro-communiste, l'idéologie néo-soviétique est une sombre menace pour tous les voisins de la Russie, qui en ont peur et tentent de s'en protéger : tous les pays martyrisés, colonisés ou amputés par cet impérialisme : Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Slovaquie, Tchéquie et (même) Hongrie ; Roumanie, Moldavie, Géorgie… Sans parler des Tatars, Tchétchènes, etc. Et, bien sûr, la grande majorité des Ukrainiens niés en tant que tels par Poutine, Lavrov, Medvedev ou Kirill. Et encore des pays paisibles, tels la Suède ou le Danemark, sujets à des provocations de l'aviation et de la flotte russes. Un terreau favorable pour l'OTAN, revigorée par la Russie…

La crise ukrainienne est extrêmement grave, non seulement au présent, avec les désastres humains, économiques, et le risque imprévisible d'extension d'un conflit inattendu ; mais encore pour l'avenir : elle affectera durablement l'économie et la géopolitique européenne et mondiale. Et, bien sûr, toutes les perspectives françaises. Aussi est-il nécessaire de maîtriser avec rigueur la réflexion sur ce sujet qui engage - ou même hypothèque - l'avenir.

Il faut d'abord comprendre le contexte psychosociologique : dès qu'on franchit le Rhin, on doit oublier notre propre univers sociologique, fondé sur le territoire qui unit et un État légitime, ancien et incontesté. Passé le Rhin, on change de monde : là dominent des logiques de survie de communautés ethniques et des visions impérialistes mal à l'aise avec le droit des peuples et les libertés. Les empires passés (allemand, austro-hongrois et, encore avant, mongol, arabe, turc…) et les empires actuels (russe, chinois) sont fondés sur l'ethnie dominante (russe, han), le recours à la puissance militaire, la négation des nations et des cultures autres, la restriction des libertés sans laquelle ces constructions impériales, puissantes mais fragiles, ne peuvent se maintenir.

L'immense Russie, peuplée de seulement 143 millions d'habitants dispersés (guère plus de trois fois l'Ukraine) est une fédération de nations dont 15 à 20 % ne sont pas russes. L'histoire de cette région du monde est particulièrement instable. S'y sont succédé, puis effondrés, tant d'États ; tant de peuples y ont disparu, même de nos mémoires ; des transferts massifs de populations, des génocides, des acculturations contraintes…

Que faire, alors, qui soit acceptable par les deux parties en guerre ? Une solution qui concilie les exigences minimales… et inconciliables des belligérants ! Pour l'Ukraine, la reconnaissance de son identité spécifique et de sa souveraineté sur son territoire. Pour la Russie, la disparition de toute présence hostile de l'OTAN dans la zone et le respect de la minorité russophile du Donbass. Il est probable que le Donbass, qui avait été attribué juridiquement et hâtivement à l'Ukraine (comme la Crimée) lors de la dissolution de l'URSS - mais peuplé majoritairement de russophones russophiles -, sera longuement occupé par la Russie et sera soit rattaché à celle-ci soit « indépendant », comme c'est le cas après la reconnaissance internationale par le Kremlin et quelques pays obligés. Les empires brassent sans ménagement les nations, et à leur fin, le ressac oublie des minorités isolées sur la grève. Minorités parfois victimes de revanches comme les Russes d'Ukraine.

La solution pourrait venir de Washington si, en novembre 2022, les Républicains gagnent - comme c'est envisagé - les élections midterm. L'Europe n'est pas un sujet pour la tendance Trump qui voudra sans doute, plus que jamais, reprendre sa stratégie antichinoise. Au prix d'un accord avec la Russie, et donc cesser d'aider aussi massivement l'Ukraine.

Or, la Chine et la Russie viennent de nouer une alliance. Le 4 février 2022, vingt jours avant l'attaque russe vers Kiev, pour l'ouverture des Jeux olympiques d'hiver à Pékin, la Chine, boycottée pour ses violations des droits de l'homme, avait invité Vladimir Poutine alors que la Russie est exclue des Jeux depuis 2020 pour sa politique de dopage… Le plus grand pays du monde et le plus peuplé ont alors aussi publié une proclamation sur « l’entrée des affaires internationales dans une nouvelle ère, d’un niveau très fructueux et sans précédent… un modèle d’efficacité et de coordination future ». Pékin et Moscou affichent des vues convergentes sur la gouvernance planétaire, la nécessité d’un « monde multipolaire », d'une « démocratie authentique […] un certain nombre de grands projets communs […] la livraison à long terme d’hydrocarbures russes ». L'Iran exportera donc moins de pétrole en Chine… Toutefois, le 25 février, au Conseil de sécurité, mise devant le fait accompli de l'invasion russe, la Chine ne s'est qu'abstenue sur une résolution « déplorant l’agression contre l’Ukraine », laissant la Russie isolée.

L'Ukraine était et demeure vouée à être neutre. Et il est possible aussi que la succession de Poutine ait commencé.

Henri Temple
Henri Temple
Henri Temple est universitaire, juriste, théoricien de la Nation (auteur de :  Essai sur le concept de ‘’Nationisme’’, Sphairôs, 2024)

Vos commentaires

8 commentaires

  1. Très profonde explication sur le long terme de ce drame. Cela nous change des vociférations anti Ukraine ou anti Poutine. Ce n’est pas un match : il y a déjà près de 100 000 morts dont des innocents, des jeunes gens, tous européens et chrétiens (sauf les tchétchènes) : comme nous.

  2. Il serait dommage de ne pas s’approprier le raisonnement de Monsieur TEMPLE dont l’ objectivité et l’expertise ne sont plus à démontrer.
    La voix de la sagesse devrait souffler aux oreilles des « vatenguerre » incorrigibles…

  3. Excellent article d’analyse géo politique, qui permet de s’exclure des Journaux TV de la République de Macron.
    Poutine de l’Orthodoxie souhaite sans doute laisser une Russie en meilleure position, et mettre fin à ces plus que 8 ans de guerre, et jamais entendu….Face à 2 comédiens de formation que sont Macron et Zelensky, je ne doute pas qu’il y arrive…afin d’éviter l’hégémonie Woke des U.S. en pleine décadence…c’est contagieux

  4. 1° commentaire ? J’écris, hélas, toujours dans les derniers… si je suis publié…
    Là, c’est le vide intégral…

  5. Il n’ en reste pas moins que la décadence de la société ukrainienne, le non-respect des accords de Minsk, les multiples provocations du régime Zélensky à l’encontre du Donbass ont largement eu de quoi provoquer la réaction du président Poutine, précédée, rappelons-le, d’un certain nombre d’avertissements, non pris au sérieux par le « show-bizz » de Kiev!

    • Et selon votre conception de la morale cela justifie les près de 100 000 morts dont des femmes, enfants, vieillards ? Quant au Donbass (juridiquement partie intégrante de l’Ukraine), c’est une guerre civile. Il y avait d’autres moyens pour son retour à la Russie. Le retour de la Crimée avait fait zéro mort.

  6. Après avoir laissé pendant 8 années Kiev bombarder les populations du Donbass en toute impunité, malgré les accords de Minsk qu’elle avait signé, la France fournit désormais armes et munitions afin que le génocide des russes du Donbass continue et augmente. La guerre n’a pas été déclenchée par la Russie le 24/02/22, mais au contraire la Russie tente de mettre fin à une guerre qui a commencé dès 2014 faisant 15000 morts dans le Dombass. Voilà la réalité ne vous en déplaise M Temple!

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