[POINT DE VUE] Marc Bloch au Panthéon : 80 ans après, a-t-il toujours raison ?

Imabetheone
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Emmanuel Macron avait pris sa voix des grandes occasions, ce samedi en Alsace, pour annoncer l’entrée prochaine de l’historien Marc Bloch au Panthéon. La République fait ce qu’elle peut pour se donner un caractère sacré. C’est le propre des régimes d’imposture : la débauche de fanfreluches, le goût pour les carnavals sous-préfectoraux. Souvenez-vous de la cérémonie grotesque qui avait été décidée pour l’inscription de l’avortement dans la Constitution.

La figure de Marc Bloch est irréprochable : normalien, agrégé d’histoire, mobilisé en 14, capitaine au feu, quatre citations, Légion d’honneur pour faits de guerre, fondateur de l’École des Annales et polyglotte remarquable, il est également père de six enfants, lorsque la guerre éclate en 1940. Du fait de son âge et de sa situation de famille, il n’est pas mobilisable, mais insiste pour défendre son pays. Capitaine à 53 ans, affecté au service des Essences, il est cité à l’ordre du corps d’armée pour sa conduite héroïque, au beau milieu de la débâcle française. Observant, avec une rigueur d’historien et une lucidité qu’il doit à son brio intellectuel, la débandade misérable de l’armée française, il rédige, pendant l’été 40, dans sa maison de campagne, un ouvrage frappant : L’Étrange Défaite. Dans ce livre qui n’a pas pris une ride, il décrit tout ce qui a provoqué l’inévitable faillite, militaire et morale, de la France et de son armée. Nous allons y revenir.

Entre fin 1940 et 1942, il continue d’exercer tant bien que mal son métier d’universitaire, malgré les lois sur le statut des Juifs. Car oui, au fait, Marc Bloch était juif, mais il n’en faisait jamais état, sauf « devant un antisémite ». En 42, quand les Allemands envahissent la zone libre, il entre dans la clandestinité. Il est arrêté en mars 44 et longuement torturé, mais ne parle pas. Le 16 juin 1944, en compagnie d’autres résistants, il est fusillé par les Allemands. Un parcours que l’on peut, sans risque d’exagération, qualifier d’exemplaire.

Toutefois, cette annonce appelle trois questions : d’abord, comme par hasard, on instrumentalise la judéité de Bloch (ce dont lui-même n’aurait sans doute pas voulu) au moment où l’antisémitisme atteint des records, en France. Est-ce bien respectueux de sa mémoire ? Ensuite, la République a beau essayer de faire du sacré, elle ne rencontre jamais que le ridicule. Parodier André Malraux accueillant Jean Moulin et « nos frères dans l’ordre de la nuit », est-ce bien raisonnable ? Et puis, surtout, il y a L’Étrange défaite. Dans ce livre, Bloch a tout vu et tout dit des causes de la débâcle : défaite intellectuelle et morale bien plus que tactique, défaite d’une élite militaire servile qui a « le culte du beau papier » et tremble de déplaire à un supérieur, défaite d’une bourgeoisie qui n’aime plus son pays, défaite d’une caste de profs pacifistes qui ont désappris aux jeunes gens à se battre pour une cause, défaite d’une armée gangrenée par le souci de plaire au politique, le mensonge sur ce qu’elle est (ou non) capable de faire, le carriérisme, le conformisme… Bloch, à chaque page, sans passion mais avec grand style, frappe fort et juste. Qui relirait L’Étrange Défaite, en 2024, n’y trouverait pas une ligne à retrancher. C’est cela, la troisième question : pourquoi envoyer au Panthéon un homme qui, plutôt que des honneurs dérisoires, aurait préféré qu’on retînt, qu’on appliquât ses constats et ses propositions ?

Macron, avec démagogie et simplisme, pense contenter tout le monde (les patriotes, les Israélites, les intellectuels) en panthéonisant Marc Bloch. Mais se pose-t-il au moins cette question : est-ce que, depuis, les choses ont changé ? Car là est la question.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

43 commentaires

  1. Une question, une seule: Marc BLOCH aurait-il accepté d’entre au Panthéon?
    Personne ne le sait mais, sachant que ce livre dont tout le monde parle ( et que peu a lu) a été diffusé à titre posthume, cela n’indique-t-il pas qu’il aurait sans doute aimé demeurer en dehors de tous ces honneurs. Surtout instrumentalisés par ceux-là même par qui la honte est arrivée?
    Le fait qu’il soit juif n’a jamais été mis en avant dans sa vie, sauf devant des antisémites (comme l’écrit si justement Arnaud Florac). Est-il décent de prendre insidieusement cette appartenance pour motif d’entrée au Panthéon alors qu’on sait fort bien que cet antisémitisme – qui n’existait plus chez nous – n’est réapparu que récemment.

  2. Macron ne sait plus quoi faire pour s’attirer le vote des juifs. Après S. VEIL et M.BLOCH qui sera le suivant. Ils y en a beaucoup d’autre qui mériteraient d’y rentrer. En plus ses descendants sont irrespectueux et anti démocratie en interdisant M. LE PEN et l’extrême droite d’assister à la cérémonie mais pas MELANCHON et l’extrême gauche : cette panthéonisation démontre une fois de plus la politisation de l’action.

  3. Encore une idée de Macron ; il n’y a pas que Marc Bloch qui mériterai de « rentrer » au Panthéon. Parmi les inconnus de ce même PR, ce n’est pas le seul fusillé lors de la débâcle allemande, et il ne les représente pas du tout. Emmanuel Macron ne sait plus comment donner un souvenir de sa présidence pour la postérité. Déjà sa volonté de discourir lors de la réouverture de Notre Dame de Paris à l’intérieur de la cathédrale ne se fera que sur le parvis
    les clefs étant toujours en possession de Mgr Ulrich.

  4. D’ou vient l’antisémitisme de nos jours ? son origine est différente de l’antisémitisme des années 30.
    Défaite intellectuelle et morale de nos élites face à l’idéologie qui provoquait l’antisémitisme dans les années 30 , défaite intellectuelle et morale de nos élites face à l’idéologie qui provoque l’antisémitisme de nos nos jours .
    Les collabos de la première époque sont devenus les idiots utiles de nos jours .

  5. De toute façon, la famille a ostracisé le Rassemblement National ; pas un seul des 13.288.686 électeurs de Marine LE PEN n’est autorisé à assister à la future cérémonie . Ce sera la première panthéonisation  » dans la plus stricte intimité  » . Décidément, mon panthéon est décousu . Et si , au lieu de cela , on sacrait le type qui , excusez du peu : 1) ne s’est jamais pris au sérieux ; 2) a fondé la République ; 3) a canonisé Jeanne d’Arc ; 4) a abrogé l’esclavage ?

  6. Marc Bloch, immense médiéviste, d’une intégrité absolue et intransigeante (« La vie d’Outre Tombe du Roi Salomon » vient d’être republiée) est de ces Français qui sont juifs depuis toujours et en France depuis Clovis. Résistant. Exécuté. Il est aux portes du Panthéon mais sa famille sélectionne les invités sans se mettre à jour de l’évolution des idées et des pardons (qui n’omettent pas la mémoire, bien au contraire) qui irriguent aujourd’hui la société. Elle est aux prises d’un péril terroriste actif et larvé qui la ronge jusqu’à la vider de son essence, de son histoire, de sa mission. La France est en danger de disparaître.Ceux qui se voilent la face en sont les complices crédules. Ceux qui veulent la soumettre n’ont pas partie gagnée, le patriotisme veille. Marc Bloch, aujourd’hui, est plus vivant que jamais.

  7. Les causes de la défaite de juin 1940 sont multiples ; le maréchal Pétain héritant du pouvoir le 17 juin avait dans une analyse lumineuse expliqué pourquoi les armées alliées ne pouvaient matériellement pas gagner. Cela nous est rapporté par Louis-Dominique Girard dans son remarquable livre « Montoire, Verdun diplomatique » paru en 1948. Voici ces raisons objectives de la défaite qui pour Pétain ne sont pas d’abord l’incurie du commandement :
    « Au 1er mai 1917, nous avions encore 3.280.000 hommes aux armées, malgré trois ans de combats meurtriers. A la veille de la bataille, en mai 1940, nous en avions 500.000 de moins. En mai 1918, nous avions 85 divisions britanniques, en mai 1940, il n’y en avait que 10. En 1918, nous avions avec nous 58 divisions italiennes, le 10 juin 1940 les italiens ont ouvert un front dans les Alpes contre nous. Enfin, en 1918, nous avions l’appui de 42 divisions américaines…! L’infériorité de notre matériel a été plus grande encore que celle de nos effectifs. L’aviation française a livré ses combats à un contre six.
    Moins forts qu’il y a 22 ans, nous avions aussi moins d’amis. Trop peu d’enfants, trop peu d’armes, trop peu d’alliés, voici les causes de la défaite. »
    Les estimations varient entre 60 et 90.000 morts pour la France pendant ces 6 semaines de combats intenses, deux fois moins pour l’Allemagne. Un de mes oncles, lieutenant au 13e bataillon de chasseurs alpins rappelé en catastrophe de Narvik, est mort à Liomer sur le front de Somme le 8 juin 1940 chargeant les mitrailleuses allemandes à la bayonnette faute de munitions. . Plutôt que de parler légèrement de « la débandade misérable de l’armée française » il aurait été plus judicieux de dire à quel point la France n’avait pas du tout été préparée à la guerre. Rappelons que le chef du parti radical Édouard Daladier qui a signé pour la France les désastreux accords de Munich en septembre 1938 est celui-là même qui a déclaré la guerre à l’Allemagne un an après…! Il incarne évidement l’irresponsabilité des dirigeants français car il fut pratiquement sans discontinuer soit président du Conseil soit ministre de la guerre ou de la défense, souvent les deux de 1933 à 1940.

    • En 1914, les généraux compétents avaient été écartés au profit des Francs-Maçons. C’est le « frère » Joffre qui fut choisi pour diriger l’Armée. Face au désastre, on lui adjoint le général de Castelnau, catholique et non-maçon, afin d’éviter une cuisante défaite. Plus tard, Joffre sera remplacé par Foch, général catholique (ayant, de surcroît, un frère jésuite, congrégation honnie par les Républicains). Clémenceau voulait un chef compétent, pas un incapable inféodé aux Loges.
      Le même processus douteux sera appliqué pendant l’entre-deux-guerres. Des officiers non-maçons seront écartés au profit de frères-maçons souvent médiocres. C’est l’une des raisons de la mémorable « raclée » de juin 1940.
      Il est amusant de noter que les généraux proches du Maréchal Pétain (Weygand, ainsi que ceux de la future Armée d’Afrique), et ceux qui rejoignirent de Gaulle à Londres, étaient quasiment tous royalistes (et généralement anti-maçons)

    • Daladier fut aussi celui, qui avec une constance éminemment coupable, a maintenu Gamelin à la tête des armées. La raison était que Gamelin était un général « républicain », c’est à dire de gauche selon la terminologie de l’époque que Mitterrand et ses sbires ont remise au goût du jour à partir de 81. Le critère était le copinage et le fait que Gamelin n’allait certainement pas critiquer d’une quelconque manière la politique de défense du gouvernement. Cela fait penser à Macron qui a viré le général de Villiers avec pertes et fracas au motif que celui-ci réclamait des crédits supplémentaires. Plus tard, l’invasion par la Russie de l’Ukraine montra que de Villiers avait raison et que Macron était incapable d’écouter les experts. Idem pour l’économie quand on maintient pendant 7 ans Bruno Le Maire à Bercy. La réalité c’est que depuis la 3ème République, la classe politique Française est archi nulle, si on excepte la parenthèse enchantée gaullo-pompidolienne.

  8. Ce petit président n’a plus que ça pour exister faites une liste des pantheonisables , on lui parle d’un tel puis d’un autre et sans plus de connaissance ni d’analyse de l’histoire de la personne il décide seul comme d’habitude.
    D’ailleurs être conseiller de Macron ça rapporte, vous servez à rien et êtes bien payé à vous reposer au country club.
    Une question n’avez pas vue Brigitte, on la cherche partout bizarre non ?

  9. Enfin, une pantheonisation sur laquelle il n’y a rien à dire après celles discutables de ces dernières années.
    Marc Bloch fût un héros de la guerre 14-18 qu’il termina capitaine… Légion d’honneur à titre militaire.
    En 1939, il reprit du service alors qu’il n’avait aucune obligation, vu son âge et ses charges de famille.
    Après la défaite, Résistance dont il devint un martyr en 1944.
    Respect pour ce grand intellectuel, ce grand Français. Il devrait être au Panthéon depuis longtemps.

  10. La débâcle actuelle du pays a exactement les mêmes causes qu’en 40. Le cancer technocratique, carriériste et égoïste. La tumeur a juste grossi depuis… Les Allemands nous appelaient les « bouffeurs de papiers ». Rien n’a changé : le papier prend toujours le pas sur le réel.

  11. Je crois _ je crains en tous cas_ que l’on instrumentalise aujourd’hui ( de nos jours ). Marc Bloch fut remarquable, oui. Cependant, et là, c’est personnel, je n’aime pas le Panthéon. Les Panthéonisations, pas plus. Ce qui ne retire en rien la valeur des personnes à qui l’on doit hommage.

  12. Après s’être pris pour Bonaparte, De Gaulle, Jupiter, Vulcain et les autres, le prétentieux, voilà que Macron se voit en « Roi soleil » !! N’a t-il pas déclaré, je cite : « NOUS voulons » que Marc Bloch entre au Panthéon !! Quelle audace !! Quel culot !!

  13. Bloch (ce héros) avait parfaitement compris que après les graves fautes de (14 à 1920) de Joffre, Nivelle, Clémenceau, Viviani, Briant, etc. la débâcle de 40 et les grands malheurs qui ont suivi, étaient dus  »à la chaîne du commandement ». Et en grande partie à la façon dont ces gens étaient mal formés à mal raisonner : il préconisait la suppression des grandes écoles (dont il était lui-même issu). Pourquoi sommes dirigés par des nuls, demeure toujours la question avec … et des fous ou des corrompus…? Et qui y mettra un terme ?

    • Pour aller dans votre sens, on peut préciser que Gamelin était sorti major de Saint Cyr !!! D’ailleurs le rapport du général qui commandait l’école à cette époque disait à propos de l’élève officier Gamelin qu’il excellait en tout…
      Un visionnaire !

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