[Point de vue] Missak Manouchian au Panthéon : Macron fait de la récupération ?

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L'Élysée a annoncé l'entrée au Panthéon de Missak Manouchian et de sa femme Mélinée, le 21 février 2024. Résistant communiste, Arménien catholique, poète, l'homme échappe à tous les clichés. Exilé en France, « apatride » comme tant d'Arméniens rescapés du génocide perpétré par les Turcs, Manouchian apprend le métier de menuisier puis devient tourneur. Les événements du 6 février 1934 lui donnent l'impulsion nécessaire pour s'engager aux côtés des communistes, notamment dans la section arménienne de la « Main-d'œuvre immigrée » (MOI).

En 1940, le pacte germano-soviétique empêche toute velléité de résistance de la part des communistes français. On se souvient que des communistes français étaient entrés en contact avec l'occupant fin juin 1940 pour que reparaisse L'Humanité, interdite par Daladier au lendemain de la signature du pacte germano-soviétique. Le « parti des fusillés », comme il se surnommera plus tard, ne bouge pas une oreille. Après diverses activités clandestines menées souterrainement entre 1941 (l'invasion de l'URSS permettant enfin aux communistes de poser en héros) et 1942, Manouchian est finalement versé dans les FTP-MOI. Il dirige un réseau de cinquante jeunes partisans, qui exécutent dans Paris des cibles importantes ennemies (à « haute valeur », dirait-on aujourd'hui). Ces exécutions minutieuses sèment la terreur parmi les dignitaires allemands.

Manouchian est arrêté en novembre 1943 puis exécuté. Il meurt en héros, sans avoir parlé, en refusant le bandeau. Les Allemands publient la célèbre « affiche rouge » qui sera chantée par Aragon dans un poème que Léo Ferré mettra en musique. Cette « armée du crime » deviendra le symbole de la résistance des Français par le sang versé. Manouchian lui-même dira à son procès que, contrairement à ses juges, la nationalité française, il l'avait méritée au lieu de l'hériter.

80 ans, après l'exécution de Manouchian, le 21 février 1944, Emmanuel Macron va donc se prêter à un exercice de panthéonisation qu'il semble adorer. L'occasion de se donner une stature présidentielle. On peut s'attendre aussi à une petite opération de récupération au détour d'une phrase, entre deux silences surjoués : par exemple, un couplet lacrymal sur l'immigration qui rend service et qui plonge dans l'oubli (« pendant que les Arméniens résistaient, beaucoup de Français se résignaient », ou un truc du même style) ; un couplet Godwin sur la résistance à la bête immonde, avec sans doute un message sous-jacent qu'on vous laisse imaginer ; un petit mot sur le fait que la gauche (est-il seulement besoin de le rappeler ?), c'est le Bien, et que la résistance est de gauche, bien sûr (des héros comme d'Estienne d'Orves, La Rocque ou Loustaunau-Lacau n'iront, eux, jamais au Panthéon car la droite, c'est le mal). Bref, un mélange entre l'antiracisme servile des années 80, l'histoire officielle des années 70, la tendresse pour le stalinisme qu'on trouvait encore dans les années 60...

Macron croit-il qu'en faisant entrer au Panthéon un Missak Manouchian, dont le père fut tué par les Ottomans, qui écrivait des poèmes, croyait à la politique et aimait la France, il montrera un quelconque exemple à ces jeunes décérébrés élevés dans la pratique des rodéos urbains et du shit, au sein ces fameux « territoires perdues de la République », qui détestent la France et ne croient qu'à l'avènement de la charia avec les sous du trafic de drogue ?

Le « terrible cortège », dont parlait Malraux pour la panthéonisation de Jean Moulin, qui entrera avec les époux Manouchian, ce n'est pas tant celui, terrible et anonyme, que Melville montra magnifiquement dans L'Armée des ombres : c'est celui d'un pays qui a renoncé à tout ce qui est grand et qui s'accroche à des héros morts pour essayer de se faire aimer par des gens qui, installés sur son sol, le détestent.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

35 commentaires

  1. Les communistes sont entrés dans la résistance par force, les allemands leur faisant la chasse. Ils ont fait de la résistance mais beaucoup de conneries. A quoi servaient les attentats contre des officiers allemands? A faire fusilier des centaines d’otage. J’étais à Tulle à l’époque des pendus. Les FTP avaient décidés le 7 juin 44 de prendre la ville de Tulle, l’AS (Armée Secrète) gaulliste ayant refusé de s’y associer. Résultat: c’est la division  » DAS REICH  » qui a repris la ville avec les conséquences qui ont suivis, 99 pendus dans la population et des déportés ( dont mon frère ainé). J’ai aussi un oncle maquisard qui a été fusillé, laissant une veuve et deux enfants en bas âge. Pourquoi n’aurait il pas droit lui aussi au Panthéon?

  2. Notre président est en train de commettre le grand péché politique qu’on nous reproche chaque jour : il fait l’amalgame ! Pour lui, tous les étrangers sont des Manouchian en puissance alors que la majorité d’entre-eux ne rêvent que d’une chose, nous asservir. Manouchian est mort pour la Liberté et il mérite le Panthéon, les racailles que nous avons aujourd’hui méritent la prison et l’expulsion que M. Macron refuse de donner à ceux qui le méritent. Nous aussi, nous réclamons la Justice.

  3. J’ai bien lu : « …bien sûr (des héros comme d’Estienne d’Orves, La Rocque ou Loustaunau-Lacau n’iront, eux, jamais au Panthéon car la droite, c’est le mal). » Macron fait donc de la Récupération bien sélectionnée, parce qu’ à écouter l’invité de Rioufol (maoïste communiste de sa jeunesse) et écrivain, hier soir sur Cnews, il y en aurait au moins 7 500 autres à Panthéoniser, et que le vaudrait autant voire plus…Mais pour remonter dans les sondages que ne ferait pas la Macronie. Nous verrons si toutes ces familles de Résistants oubliés se feront connaître…

  4. Que n’a t il, à l’occasion de cette panthéonisation inattendue d’un arménien d’origine dont les actes héroiques se sont déroulés sur notre sol (cérémonie dont l’objectif parait assez équivoque. ..) que n’a t il enchainé sur la dignité et l’héroisme persistant de nos jours , de tout le peuple arménien qui mérite non seulement notre admiration mais surtout l’aide que la simple morale devrait nous obliger à lui apporter alors qu’il fait l’objet d’une implacable entreprise de destruction aux yeux et à la barbe de toute l’Europe indifférente ????

  5. Article tout à fait clair quant aux réelles motivations de cette décision par les temps qui courent. J’ajouterais juste un point : alors que la France (et l’Europe) a abandonné les Arméniens pour le gaz de l’Azerbaïdjan, le PR s’imagine s’affranchir en honorant ce vrai héros de la Résistance. C’est pitoyable et j’en au honte. Puisse le peuple chrétien d’Arménie nous pardonner un jour de la trahison que nous avons commise.

  6. Peut-être va-t-on profiter de cette panthéonisation pour faire la vérité sur le « parti des 100.000 fusillés », entré dans la résistance, après l’opération Barbarossa, qui succédait au pacte Germano-Soviétique. Manouchian, orphelin du génocide Arménien, savait ce qu’étaient le fascisme et le nazisme. Son épouse Mélinée, également résistante, avait une opinion plus nuancée sur le Parti Communiste et n’a pu l’exprimer qu’après le mort de Staline. J’attend avec intérêt les informations qui paraitront l’an prochain sur ce sujet. Manouchian est un héros communiste, comme Jean Moulin, mais il y a aussi des héros de droite comme Estienne d’Orves.

    • Encore le vieux fantasme Jean Moulin = cryptocommuniste véhiculé par Henri Fresnay et les survivants du réseau Combat pour decrédibiliser Jean Moulin. Il faut vous documenter un peu.

  7. Ne serait-il pas préférable de défendre les arméniens actuellement persécutés que faire du cinéma ?
    Mais il est vrai qu’ils sont chrétiens et les persécuteurs musulmans

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