[Point de vue] Pour Arte Radio, le « validisme » est un avatar du patriarcat

validisme patriarcat

C’est une annonce qu’on peut juger racoleuse, sur Facebook. L’autre lundi, Arte Radio annonçait la mise en ondes d’un nouveau podcast de Charlotte Bienaimé titré « Féminismes et handicaps, les corps indociles ». En guise d’illustration, trois jeunes femmes, dont une, noire, en fauteuil roulant. On comprend l’idée : femme, noire et handicapée, le comble du comble. Comme disait Ray Charles : « Je suis aveugle mais on trouve toujours plus malheureux que soi ; j’aurais pu être noir. »

Plus surprenant que l’image, toutefois, est le petit pitch qui donne la philosophie du contenu : « Patriarcat et validisme, même combat ? » Là, déjà, on s’interroge : c’est quoi, le « validisme » ? Une nouvelle philosophie, une tare, un crime ? Le dictionnaire nous éclaire : « Système faisant des personnes valides la norme sociale ». Et donc, par extension, « discrimination envers les personnes en situation de handicap ». Et donc, par extension également, il va falloir ajouter le validisme à ces tares masculines que sont la « blanchitude » et l’hétérosexualité.

À ce stade, un cerveau primaire commence à chauffer. Si le validisme est une discrimination, faudrait-il alors penser, sur le même modèle, que le féminisme est un système de discrimination envers les femmes ? Et le communisme un système de discrimination envers le commun des mortels ? On se perd en conjectures. Arte poursuit : « Les deux luttes se sont longtemps pensées séparément, mais sont pourtant bien liées. Alors, comment penser féminisme et lutte contre le validisme ? »

Quel lien entre le patriarcat et le handicap ?

Nous voilà, cette fois, en surchauffe avec cette grave question existentielle : quel lien y a-t-il entre le patriarcat et le handicap ? Pour comprendre, il faut, bien sûr, écouter ce podcast, et c’est plus qu’intéressant.

Toutes les femmes qui s’expriment ici, et rien que des femmes, sont « en situation de handicap » (expression consacrée). Cela va de l’autisme – dont on nous dit qu’il est plus rarement diagnostiqué chez elles car « il se présente de façon plus subtile » – jusqu’aux handicaps lourds. Toutes sont diplômées, insérées dans la vie professionnelle, autonomes. L’une d’elles, notamment, en fauteuil, n’a pas l’usage de ses mains et ne parle que grâce à la boîte vocale de son ordinateur. Ses pieds lui servent de mains. Elle est chercheuse à Normale Sup Lyon et termine une thèse sur le rôle de la nudité et du vêtement dans la contestation politique.

Durant une heure d’entretiens, toutes parlent du sentiment de rejet perçu à travers les regards, de la relégation, et l’on découvre que la perception de leur handicap, même lourd, a parfois été tardive. Elle est très généralement arrivée au cours de la scolarité, moins par les enfants que par le corps enseignant ou médical (on rappellera, ici, qu’il est très majoritairement féminin). Cette jeune femme qui dit bonjour avec son pied explique ainsi que la directrice du collège, dégoûtée, refusait de le lui serrer.

« Je suis un corps inattendu que l’on scrute. Regard du dominant qui oblige au récit de soi. Or, mon corps n’a pas à se raconter devant l’inquisition des regards », dit-elle, et toutes réclament ainsi une forme d’indifférence. Surprise : le Téléthon est, pour elles, un répulsif dont l’une a dénoncé l’infantilisation niaise dans un courrier à Télérama, déplorant les questions « ahurissantes de bêtise » de l’animatrice - Sophie Davant, en l’occurrence.

Victime ou héros, pas le choix d’être soi

La relégation leur est insupportable : « Quand on nous présente de façon misérabiliste, c’est pour justifier une politique publique à base de charité, donc excluante. Quand on nous présente comme des héros, c’est pour dire que tout n’est question que de volonté individuelle, donc "démerde-toi" ! »

Il faut attendre la cinquantième minute pour qu’apparaisse enfin une remarque politique : « Le rejet du handicap est aussi lié à une politique capitaliste, la place du travail étant essentielle dans notre société et basée sur des capacités corporelles valides. »

Reste qu’on ne voit en rien ce qui relève, là-dedans, du patriarcat. La vie des personnes handicapées est un éternel parcours du combattant, hommes comme femmes, et l’accroche d’Arte n’est en fait qu’un slogan racoleur de plus.

Enfin, s’il faut parler d’une spécificité masculine dans le domaine du handicap, on rappellera cette vision encore fréquente dans ma petite enfance : celle des grands mutilés de guerre actionnant le volant de leur charrette pour avancer. Parce que donner sa vie pour le pays était, et est encore bien souvent, un « privilège » masculin…

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

Vos commentaires

19 commentaires

  1. Moi, je suis une poly handicapée. J’ai découvert très tôt mes insuffisances. Avec mon petit mètre 65, top model, j’ai dû renoncer. Même hôtesse de l’air, niet, et de toute façon, je nage mal. Tant pis, me dis-je, luttons ! Pianiste virtuose… bah, non plus, je n’ai aucune oreille. Mais je n’ai pas plus la bosse des maths…c’est trop injuste. Le foot, alors ? Hélas, je n’ai aucun esprit d’équipe, les chaussures sont vraiment trop moches. Enfin, j’ai survécu. Avec courage, audace, persévérance. Du coup, je n’ai même pas droit à un ministère dédié. C’est honteux.

  2. Votre conclusion remet les compteurs à zéro .
    Il ne faut pas oublier non plus que sous l’ère du patriarcat tout puissant de nos régions rurales, les vieux et les handicapés n’étaient pas confiés à des organismes spécialisés genre éhpad ou foyer d’hébergement pour adultes handicapés, mais pris en charge à la maison familiale sous la responsabilité du patriarche et les soins de la mère de famille qui régissait le foyer pendant que le père était au champs .

  3. On aura beau faire des pieds et des mains, mais on aura du mal à comprendre l’utilité d’une thèse sur le rôle de la nudité et du vêtement dans la contestation politique. Puisqu’on parle d’économies ces chercheurs de l’inutile sont payés par les français.

  4. Comme chacun d’entre nous, j’ai un profond et sincère respect pour toutes les personnes ayant à subir un handicap. Mais en matière de tare journalistique, médiatique ou surtout idéologique de certains, j’avoue que je ne sais plus trop quoi penser !

  5. Depuis ma naissance, je n’ai cessé de voir des améliorations sociales. Nous sommes arrivés à un excellent résultat contre les préjugés sociaux, envers les sexes, les couleurs de peau ou les handicaps et autres. Qui fait attention à ces détails aujourd’hui ? Quasiment personne.
    Alors, pourquoi ces actions conflictuelles, accusatoires de ces procureurs en herbes ? Par envie d’agresser ? Continuons à améliorer ce qui a été fait, tout simplement et, surtout, luttons contre le grand retour du racisme (anti blanc, anti-français, en l’occurrence), du sexisme (anti mâle), bref, de tous les « antis ».
    Par ailleurs, il me semble que dire, artificiellement, « non-voyant » pour aveugle, « en situation de handicap » pour handicapé, etc. participe à marginaliser, justement, ces personnes. On aura réussi complètement quand on ne fera plus attention aux différences, y compris dans le vocabulaire.

  6. Et on ne parle pas de la souffrance des roses coupées pour être offertes, en botte, à une femme …
    Et on ne parle pas de la souffrance de la bête lors d’un abattage hallal !

  7. L’existence est un combat. Les combattants ne sont pas tous égaux et ce fait est un moteur de réussite, pas de commisération. Les « Olympiades pour Invalides » seraient acceptables comme facétie ; malgré leurs mérites les concurrents n’ont pas tous les mêmes handicaps et ne peuvent pas être égaux ni entre eux ni envers les réputés « valides ». On est entre l’Artifice et le Spectacle morbide . Les épreuves de natation montrant qu’une personne sans bras nage plus vite que celles qui n’en ont pas n’ont rien à voir avec l’Olympisme, valorisation des corps et des compétitions . Ceci est profondément malsain !

    • En effet ! Et c’est courageux de l’écrire. Ces jeux para olympiques me mettent mal à l’aise. Pourquoi organise t on ces jeux, pour donner mauvaise conscience aux « valides »? Que ces personnes fassent du sport si elles aiment cela mais pourquoi vouloir classer leurs performances alors qu’elles n’ont pas toutes le même handicap ? Il va falloir organiser aussi des jeux pour monsieur tout le monde, je me sens en situation de handicap (comme on dit maintenant) face aux sportifs de hauts niveaux ?!?

    • J’ai le même raisonnement que vous : ce n’est pas égalitaire de mettre en concurrence des personnes qui n’ont pas les mêmes handicaps….

    • Parfaitement, il y a une grande obscénité à vouloir montrer le handicap à travers ces jeux qui n’ont plus rien d’olympiques alors que ces athlètes, s’ils étaient vraiment traités comme les autres, devraient être mélangés aux athlètes valides. Ces ‘jeux’ paralympiques sont vraiment une gigantesque entreprise de discrimination mondiale.

  8. « celle des grands mutilés de guerre actionnant le volant de leur charrette pour avancer »
    C’est vrai que les jeunes n’ont pas connu ce type de fauteuils roulants…

  9. Si le créateur avait décidé que nous soyons tous pareils,avec les mêlés capacités et un physique adaptable au  » validisme »,au genre,ou aux capacités intellectuelles, il ne se serait pas baptise jésus,mais…staline…et encore ! Avec qui se sentait il  » egal »???

  10. Il y a plus de 60 ans, alors Scout de France à la 138ème Paris, mon Projet Majeur pour la 1ère Classe a été le Scoutisme Extension, qui offrait aux jeunes handicapés la possibilité de se réaliser dans le scoutisme… et ce fût plusieurs mois de rencontres entre Scouts, sans misérabilisme ni charité, mais de belles journées et de magnifiques veillées.

  11. Décidément dans ce pays on mélange tout et cela finit par donner une sorte de soupe indigeste avec une odeur affirmée de graillon.

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