[Point de vue] Pourquoi le « consensus scientifique » peut être contredit

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« Seul celui qui sait ne pas savoir est savant, contrairement à celui qui a l’illusion de savoir et qui ignore même sa propre ignorance », disait Socrate. Il y a quelques jours, Le Point publiait une interview de Bertrand Alliot, porte-parole d’Action Écologie, par le journaliste Erwan Seznec[1] sous le titre « La biodiversité ne s'effondre pas en Europe ». Bertrand Alliot y dénonçait le discours catastrophiste des ONG environnementalistes. Chiffres et exemples à l'appui.

Assez vite, de nombreux militants réagissaient sur les réseaux sociaux pour vilipender tant le journaliste du Point que Bertrand Alliot, à l’image d’Hugo Clément, le militant écologiste, journaliste à ses heures sur France Télévisions, qui reprochait, grandiloquent, au Point (je cite), de donner la parole à un homme « qui nie le consensus scientifique » ! Ah, la belle affaire !

Hugo Clément n’a sans doute pas lu l’article en question ni même l’étude à laquelle se référait Bertrand Alliot. Il aurait sans doute appris beaucoup de choses. Peut-être même aurait-il pu s’apercevoir, à cette occasion, que son émission Sur le front mériterait de travailler avec des scientifiques tels que Bertrand Alliot… Histoire d’apporter la contradiction, parfois, à ses jugements hâtifs et trop souvent définitifs.

Les gentils ont le droit de s’exprimer

Mais le plus grave n’est pas là ! Le plus grave est cette allusion au « consensus scientifique » que personne n’aurait le droit de contester, au mépris de la liberté d’expression.

D’autres, avant lui, n’ont-ils pas tenté de légiférer sur ce sujet ?

Quiconque s’oppose, conteste ou nie le « consensus scientifique » serait empêché de s’exprimer sur les plateaux de télévision ou dans la presse. Il y aurait d’un côté les gentils - on les appelle les ONG -, qui ont le droit de s’exprimer, et, de l’autre, les méchant - on les nomme les lobbies -, qui devraient se taire à jamais. Une nouvelle Inquisition ! Comme si, en France, le pays des lumières, on pouvait ainsi souffler impunément les bougies qu’on allume.

C’est être bien peu scientifique que de prendre ainsi le « consensus scientifique » pour autre chose que ce qu’il n’est !

Le consensus scientifique[2] est une vérité établie - certes, sur un ensemble de preuves vérifiables -, absolument acceptée par la communauté scientifique[3], soit - mais il faut le préciser -, une vérité valable pour une période donnée en fonction des connaissances du moment.

Non seulement un consensus scientifique peut être contredit, mais il a besoin de l’être !

« Un consensus scientifique n’est jamais universel : une vérité scientifique a besoin, pour rester une vérité, de contradicteurs. De chercheurs qui la confrontent régulièrement à de nouvelles épreuves », précise le site EduScol de l’ENS Lyon.

La théorie transformiste de Lamarck abandonnée

Cette confrontation salutaire, réalisée selon un protocole qui obéit aux exigences du raisonnement scientifique, peut aboutir à renforcer cette vérité, à l’infléchir en la modifiant à la marge ou bien entraîner sa remise en question complète. La démarche scientifique, c’est surtout beaucoup de questions et peu de réponses. Mon professeur de philosophie, en terminale scientifique, Guy Ursulet, nous disait : « Les réponses n’ont que peu d’intérêt. Ce qui est intéressant, ce sont les questions ! » Il avait tellement raison.

La remise en question complète du consensus opère un changement de paradigme qui aboutit à abolir une vérité ancienne pour en forger une nouvelle.

Ce fut le cas lorsque la théorie transformiste de Lamarck a été abandonnée face à la théorie darwinienne de l’évolution biologique des espèces par sélection naturelle.

Plus récemment, ce fut le cas lorsqu’on s’aperçut d’un ralentissement du réchauffement atmosphérique global entre 1998 et 2012. Cette question, discutée à l'issue de la publication du cinquième rapport du GIEC, entraîna un changement des modèles de calcul en prenant en compte la variabilité naturelle du Pacifique tropical, qui jouait un rôle majeur dans le ralentissement du réchauffement et relançait le débat sur l'existence d'autres contributions et sur la manière d'évaluer la sensibilité des modèles aux forçages anthropiques. On préféra alors le terme de « changement climatique » à celui de « réchauffement climatique ».

Le nombre de vues ne constitue pas une preuve scientifique !

Toute vérité scientifique n’est donc vraie que tant qu’elle n’est pas invalidée par une nouvelle vérité plus robuste et admise par un nouveau consensus.

En 2024, lorsque le concept de l'Anthropocène, un concept médiatique largement diffusé par les écologistes, depuis un article de Paul Crutzen dans la revue Nature en 2002, fut soumis à la communauté scientifique des stratigraphes, il ne fit pas consensus. Ou, plutôt, il y eut un consensus scientifique pour entériner le refus d'une inclusion de l'Anthropocène dans l'échelle des temps géologiques[4].

Les théories dites alternatives (ou fake science), notamment celles promues par Hugo Clément sur une télévision de service public - car, comme le rappelle Bertrand Alliot, « la plupart des médias ont une confiance aveugle dans les ONG » -, basées sur la croyance d’un grand nombre de personnes, ne peuvent pas se constituer en consensus scientifique ni en vérité par le simple fait d’être abondamment partagées. Le nombre de vue ne constitue pas une preuve scientifique !

La biodiversité ne s’effondre pas

Bertrand Alliot, dans cet interview, observe qu’en Europe, la biodiversité ne s'effondre pas. Que si des espèces reculent, d'autres reviennent.

Ainsi, il conteste, comme on l’entend souvent, que « 69 % des populations d’animaux sauvages vertébrés ont disparu en moins de cinquante ans » ; « 80 % des insectes ont disparu » ; « une espèce de mammifère sur trois est en danger » ; « 30 % des oiseaux ont disparu de France ».

En se basant sur des études de spécialistes de la biodiversité et sur les mêmes données utilisées par les ONG, Action Écologie démontre qu’il s’agit là d’approximations grossières, voire carrément de désinformation. D’où la réaction d’Hugo Clément, dont tous ces sujets sont un peu « le fond de commerce ».

L’étude montre ensuite que la situation de la biodiversité sur un continent très urbanisé comme l’Europe est loin d’être dramatique. Bien sûr, certaines espèces voient leur population baisser, mais de nombreuses autres se portent beaucoup mieux.

La situation des mammifères est particulièrement enviable : depuis des décennies, il y a un retour spectaculaire qui concerne un nombre important d’espèces au rang desquelles le castor, la loutre, le bouquetin, le chamois, le loup, le lynx et bien d’autres.

Les oiseaux ne sont pas en reste. S’il existe bien des sujets de préoccupation pour les espèces liées aux espaces agricoles, les ornithologues ont constaté, ces dernières décennies, une explosion des populations d’oiseaux d’eau et une augmentation importante des populations de rapaces.

L'exemple des grues cendrées

Par ailleurs, au sujet des insectes, la situation semble bien plus contrastée qu’il n’y paraît. Ainsi, qui sait que le nombre de colonie d’abeilles mellifères a augmenté, dans le monde, de 65 % entre 1960 et 2013 ?

Cette semaine, dans un tweet, Bertrand Alliot note, en pleine période de migration des grues cendrées, qu’en Europe, leur population a augmenté de 281 % en 25 ans. Pourtant, l’espèce est « en danger critique d’extinction », d’après la liste rouge des espèces menacées ! Il explique que, depuis que l’espèce est en forte dynamique, elle est venue s’installer chez nous. Mais qu’elle est là en faible nombre car nous sommes au bord de sa zone de villégiature, qui se situe plutôt en Europe du Nord. Il conclut : « Oui, elle est peu nombreuse, mais pas pour autant en danger d’extinction ! »

Dans leur étude, Bertrand Alliot et Christian Lévêque reviennent sur les fausses croyances qui ont la vie dure et qui sont pourtant propagées sans états d’âme par les ONG et leurs porte-parole, fussent-ils journalistes.

Leur approche est intéressante, tant du point de vue de l’analyse de la progression des espèces que de la raison de cette évolution. Au lieu d’attaquer sempiternellement les pesticides, les agriculteurs et leur lobby (les méchants), comme ont l’habitude de le faire les ONG (les gentils), ils s’intéressent aux prédateurs, à la chaîne alimentaire, aux liens entre les espèces, à l’évolution de nos modes de vie.

Je me remémore cette citation de Christian Lévêque : « Remettez les tas de fumier dans la cour des fermes et les poubelles sur le trottoir, et vous verrez augmenter les effectifs des insectes ! »

Être « vu à la télé » ne suffit pas

Leur démarche est scientifique. Elle ne vise pas à ameuter les foules. Elle vise, au contraire, à relativiser le discours apocalyptique des ONG relayé par autant de porte-parole peu scrupuleux et fantasques. Et pour ces derniers, la France ne manque pas de biodiversité : l’hurluberlu des médias, le grand-duc de la pensée, la perruche criarde… Autant d’oiseaux de mauvais augure !

Bertrand Alliot, environnementaliste, ancien membre du conseil d’administration de la LPO[5], et Christian Lévêque, directeur de recherche honoraire à l’IRD[6], inscrivent leurs travaux dans une démarche scientifique.

Pour être scientifique, le doute et la mise en cause d’une vérité doivent eux-mêmes répondre aux exigences de la preuve validée par une démarche scientifique. Or, ce n’est pas le cas des émissions grand public d’Hugo Clément. Être populaire et « vu à la télé » ne suffit pas pour censurer les travaux d’authentiques scientifiques.

« Le savant le plus grand est celui qui connaît les limites de son savoir, c’est-à-dire l’infini de son ignorance. Voilà pourquoi vous voyez si peu de savants à la télévision alors que cette dernière convient si bien aux experts » (Serge Bouchard[7]).

« Maintenant, je sais ! », chantait Jean Gabin. « Je sais qu’on ne sait jamais. » En attendant, vive la liberté d’expression ! Et vive la remise en cause du consensus scientifique !

 

[1] Erwan Seznec est l’auteur, avec Géraldine Woessner, du livre Les Illusionnistes, paru chez Robert Laffont.
[2] Consensus scientifique et vérité en science. ENS Lyon. Eduscol.
[3] La communauté scientifique est définie comme l’ensemble des personnes ayant validé des titres universitaires reconnus officiellement et travaillant dans le cadre de protocoles scientifiques permettant la validation de leurs preuves.
[4] « L'Anthropocène n'existe pas », ou la collision de la rigueur scientifique et de l'urgence écologique et médiatique.
[5] Ligue pour la protection des oiseaux.
[6] Institut de recherche pour le développement.
[7] Serge Bouchard (1947-2021) était un anthropologue, essayiste et animateur radio québécois.

Yves d'Amécourt
Yves d'Amécourt
Chef d’entreprise, ingénieur de l’Ecole des Mines d’Alès, ancien élu local de Gironde 2004-2021 (conseiller général, maire, président d’EPCI, conseiller régional).

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