[POINT DE VUE] Remplacer les professeurs par l’intelligence artificielle ?

femme ordinateur

Des professeurs viennent de recevoir une lettre de Pearltrees Éducation, un réseau collaboratif pédagogique dédié aux établissements scolaires, intégré à l’Espace numérique de travail (ENT). Cette lettre fait la promotion d'une nouvelle version de sa plate-forme, intégrant l'intelligence artificielle générative, accompagnée d'une vidéo édifiante. L'intelligence artificielle (IA) consolide ainsi son implantation dans les établissements scolaires. Pour le meilleur ou pour le pire ?

« L’IA Pearltrees est conçue comme un assistant pédagogique qui enrichit les capacités d’enseignement en simplifiant la création et la personnalisation de contenus tels que la rédaction de cours ou la conception d’exercices adaptés aux niveaux scolaires », explique le courrier. « Elle offre ainsi aux enseignants davantage de temps pour se consacrer à leur mission essentielle : enseigner et accompagner les élèves sur le chemin de la réussite. » Examinons de près cette autopromotion.

Il ne s'agit pas, simplement, de montrer les apports de l'IA pour la recherche de documents, par exemple, mais de rédiger des cours et de concevoir des exercices à la place des professeurs, pour qu'ils puissent « se consacrer à leur mission essentielle : enseigner et accompagner les élèves sur le chemin de la réussite ». Les professeurs pourraient ainsi, selon les promoteurs de cette plate-forme, s'en remettre à l'IA pour la préparation des cours et se consacrer pleinement à leurs élèves. Je me suis demandé, un instant, s'il ne s'agissait pas d'une blague de quelque Gorafi : mais non, c'est du sérieux et, qui plus est, soutenu par le ministère !

Il faut mesurer ce que cela veut dire. Le professeur n'est plus considéré comme un spécialiste de sa discipline, qui conçoit ses cours en puisant dans ses connaissances, en faisant des recherches et en s'adaptant aux besoins des élèves qui lui sont confiés, mais un quidam dont la fonction consiste à répéter, comme un perroquet, ce que l'IA, son « assistant pédagogique », conçoit pour lui. On comprend que, dans ces conditions, le ministère ne se soucie guère du niveau disciplinaire des enseignants qu'il recrute. Si leurs connaissances sont lacunaires, s'ils sont défaillants, l'IA les suppléera. Il suffira de leur apprendre à manier l'outil.

On pourrait, à la rigueur, concevoir que l'IA fût un outil de recherche pour un professeur qui, par son savoir et son jugement critique, sait faire le tri entre toutes les informations qui lui sont livrées. Il pourrait y trouver des documents susceptibles d'enrichir son cours, en fonction des objectifs qu'il se fixe. Mais il ne s'agit pas de cela : en utilisant cette plate-forme, il n'aura plus besoin de réfléchir pour construire son cours, plus besoin de bien connaître sa discipline pour enseigner : l'IA fera tout pour lui. Du reste, des gens très sérieux ne soutiennent-ils pas que le « maître ignorant » est le meilleur des pédagogues.

On ne peut que s'inquiéter devant une telle perspective. Non seulement le ministère se prépare à recruter des enseignants à bac+3, sans se soucier vraiment de leur maîtrise des savoirs, mais il fait une confiance aveugle à l'IA, qui ne sait livrer que les données qu'on lui a fournies, avec toutes les dérives idéologiques imaginables. C'est la porte ouverte à une société conformiste et totalitaire, digne du monde de Big Brother, et à la mort programmée de la pensée libre et de l'intelligence. On peut se demander si nos dirigeants sont conscients de ces risques ou s'il ne se montrent pas, dans ce domaine aussi, une fois de plus irresponsables.

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Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

Vos commentaires

60 commentaires

  1. Vu l’état idéologique de l’Éducation nationale, je ne sais pas si cela serait ou pas une avancée et si l’on peut tout simplement aller à l’encontre des avancées technologiques. Les exemples sont nombreux qui prouveraient le contraire. Mais une chose est certaine, c’est que quand le cuisinier est mauvais, le repas l’est aussi.

  2. Rare doivent être les citoyens se souvenant de leurs réactions comportementales lorsqu’ils avaient 4 / 5 ans , moi je m’en souviens ! En effet à cet age , je refusais catégoriquement d’être « pris par la main » ….. Inutile de vous décrire les horribles conséquences qui découlaient de cette forme d’insoumission , tant pour mes bienveillants protecteurs , que pour moi même , j’en souffrais beaucoup ! Aujourd’hui à 82 ans , avec la perspective du développement de l’ I.A , dont je commence déjà à subir concrètement les prémices , (Windows – Android – etc ) j’ai le sentiment de devoir revivre ce qui reste dans ma mémoire d’enfant , comme de grands moments de frustration désagréables , mêlant inconfort , injustice et douleur , cela m’angoisse ! Décidément , je ne serais « JAMAIS » de ceux que l’on « prend par la main » , en conformité avec ma réticence d’apprendre pour « apprendre » , mais la satisfaction et une certaine fierté d’avoir « découvert tout ce que je sais » , enfin …. presque tout !

  3. Certes tous les enseignants ne sont pas à mettre dans le même panier mais pour bon nombre ils sont déjà idéologisés et l’IA ne changera rien car portant la même idéologie.
    Donc oui nos « dirigeants » sont conscients de ce qu’ils font puisque bien-pensants eux-mêmes. Ils en sont tellement conscients que le niveau général des enseignants en forte baisse est voulue, c’est plus facile de faire rentrer leur idéologie dans un cerveau pas très bien formé.

  4.  » l’IA, qui ne sait livrer que les données qu’on lui a fournies, avec toutes les dérives idéologiques imaginables. C’est la porte ouverte à une société conformiste et totalitaire, »

    C’est bien ce que je pense. Hélas.
    Nous entrons en dictature de la pensée.

  5. Nos dirigeants n’ont pas conscience de la future puissance de l’I.A.. Ainsi Rebsamen déclare à Dijon : « L’IA ne va pas nous dévorer en prenant le contrôle de nos vies » . Quelle ignorance, quelle inculture. Le moteur à explosion est apparu en 1876. A ce jour, les ingénieurs travaillent toujours à son perfectionnement. Qui peut prédire l’impact de l’IA sur l’avenir de nos civilisations , par exemple dans 140 ans ? Nous avons découvert les robots qui ne sont que la préhistoire de l’IA. Là où des dizaines de salariés agissaient , ce sont des robots qui les remplacent. Il est encore nécessaire de les programmer, de les entretenir. Dans le futur, ils seront capables de se programmer eux-mêmes et de maintenir l’entretien de leurs fonctions par retour d’expériences qu’ils auront intégrées. Quant à l’enseignement, le professeur doit se remettre en question. En sont-ils tous capables ? Par exemple, il se dit : l’IA peut répondre à tout exercice . Sauf si le prof a préalablement testé son exercice au travers des principales IA. Il lui appartiendra de détecter les failles ou erreurs des IA qui ne répondront pas à son futur exercice.

    • Il ne faudra pas attendre 140 ans pour en voir le côté néfaste et destructeur.
      A cause d’internet et de l’utilisation abusive des écrans, le cerveau des adolescents a déjà rétréci de 10%. C’est le début de la fin pour le genre humain qui, dans l’histoire de l’humanité, a du sa supériorité à la taille de son cerveau.
      De même, les outils informatiques ont enlevé toute forme d’apprentissage et d’acquisition réelle des connaissances. De ce fait, si l’outil fait des erreurs, au moins par erreur de saisie de données, le résultat erroné ne sera pas détecté.
      Cela me rappelle des collègues ingénieurs des mines incapables de faire de tête un simple calcul tel que 2 + 3. Et dire que leurs prédécesseurs ont creusé des mines à l’aide d’une simple chaîne d’arpenteur et d’un niveau !…

  6. Recruter les enseignants du primaire à BAC + 3 ne serait pas scandaleux. Les plus anciens se souviennent que beaucoup d’instituteurs ont été recrutés en fin de troisième et sont entrés dans la profession à BAC + 1, après quatre années passées à l’Ecole normale.

  7. Les enseignants dans leur grande majorité sont politiquement à gauche toutes depuis nombre de décennies et ils récoltent aujourd’hui les fruits amers des graines empoisonnées qu’ils ont largement contribué à semer, alors qu’ils cessent donc de pleurnicher sur leur triste sort, car je connais personnellement dans mon entourage quelques enseignants qui continuent à déplorer les effets néfastes qu’ils subissent tout en persistant à en chérir les causes néfastes pour eux.Pour ma part, lorsque je discute occasionnellement de ces choses avec l’un d’entre eux,je peux vous dire que je ne me gêne pas pour me moquer d’eux et pour les placer devant leurs contradictions.

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