[Point de vue] Renationaliser EDF est inutile ! Comment relancer une filière nucléaire souveraine
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La fragilisation financière d'EDF ne date pas d'hier. Elle résulte de l'incurie de l'État français depuis 2012, qui a massacré la filière nucléaire avec la fermeture anticipée de Fessenheim et la fermeture programmée de douze autres réacteurs. De plus, il n'a pas appliqué la loi NOME en ne révisant pas, chaque année, le prix de l'ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique) afin que le cash-flow de l'activité nucléaire d'EDF lui permette d'investir dans la prolongation de la durée de vie du parc et la sécurisation post-Fukushima. Une bonne gestion exige que le prix de vente reflète les coûts, même si cela se traduit par 5 % d'augmentation du prix de l'électricité pour les consommateurs, ce qu’il faut relativiser dans la crise actuelle.
La dette d'EDF (43 milliards d'euros, fin 2021) représente six mois de chiffre d'affaires, alors qu’en proportion, elle était bien supérieure après la construction du parc nucléaire. Cette dette est soutenable, pour autant que le cash-flow soit à la hauteur. Ce n'est pas l'État français impécunieux qui va pouvoir financer les investissements d'EDF dans le nucléaire à travers nos impôts : gaspiller 10 milliards d'argent public pour renationaliser est une politique de gribouille.
EDF renationalisée ne sera pas soumise aux obligations de transparence de la gestion d'une société cotée, ce qui fragilisera la position d'EDF et de l'État français vis-à-vis de la Commission européenne. Cette dernière est, à juste titre, particulièrement vigilante sur le risque de subventions croisées entre activités régulées et activités dans le marché concurrentiel. La Commission imposera une séparation totale entre activités régulées et concurrentielles, provoquant le démantèlement forcé du groupe.
EDF renationalisée et en voie de démantèlement sera fragilisée à l'international, notamment pour ce qui concerne les projets nucléaires, au Royaume-Uni, en Tchéquie et en Pologne.
Une solution pérenne existe : elle repose sur deux piliers et ne nécessite ni la renationalisation d'EDF ni la mobilisation massive d'argent public.
D'abord, l'identification claire et opposable au marché et à la Commission européenne de la production nucléaire d'EDF en France dans une filiale dédiée au sein du groupe. La production serait mise à disposition de tous les fournisseurs, EDF compris, dans des conditions non discriminatoires sous la supervision de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) avec un prix régulé (AREN). Les fournisseurs exprimeraient annuellement leurs besoins, avec une obligation d'enlèvement, et l'interdiction de revente spéculative de cette électricité sur le marché. Ce dispositif contribuerait à stabiliser le prix de vente de l'électricité en France à hauteur de la part de nucléaire dans le mix.
Deuxième pilier, la fixation du prix de l'AREN à un niveau permettant à la filiale nucléaire de financer ses coûts opérationnels ainsi que les investissements nécessaires pour la prolongation de la durée de vie du parc. Elle permettrait aussi d'investir dans les nouveaux réacteurs au travers de la rémunération d'une base d'actifs régulés : au départ, le niveau devrait être relevé (voir proposition de la CRE évoquant un prix de 49,5 €/MWh) et il évoluerait ensuite chaque année en fonction du volume de production et de l'engagement des investissements, pour rejoindre à long terme le prix objectif du nouveau nucléaire (60 à 80 €/MWh 2022.02.18_Rapport_nucleaire.pdf (ecologie.gouv.fr)).
Cette solution, dont la pérennité serait garantie par l’État, permet d’optimiser le financement du renouvellement du parc nucléaire, EDF retrouvant une assise financière pérenne, afin qu’elle puisse se développer dans les énergies renouvelables et les solutions d'efficacité énergétique pour les clients et l'international.
Une augmentation de capital permettrait de doter en fonds propres la filiale nucléaire, qui se financerait par la suite sur le marché, le nucléaire étant dorénavant reconnu dans la taxonomie verte de l'Union européenne : l'argent investi par l'État dans cette opération serait mieux utilisé que pour racheter 16 % du capital.
La défense de la souveraineté énergétique française ne réside pas dans une « reprise en main stratégique » d'EDF par l'État (qui possède 84 % du capital) mais dans une exigence ferme vis-à-vis de la Commission européenne, tout en s'inscrivant dans les règles et traités en vigueur.
Enfin, troisième pilier, faire admettre à la Commission que, pour la France, la production d'électricité nucléaire est un levier essentiel de la décarbonation de l'économie, de l'indépendance énergétique et de la réindustrialisation du pays. À ce titre, à partir du moment où la production nucléaire revêt, au même titre que les réseaux d'électricité, le caractère d'un service public essentiel, sa mise à disposition dans des conditions non discriminatoires à l'ensemble des fournisseurs d'électricité intervenant sur le marché français, à un prix régulé permettant de financer les investissements nécessaires, doit être acceptée par la Commission.
Dédier en priorité la production nucléaire au marché français est justifié par le fait que ce sont les consommateurs français qui portent en principal le risque financier, via un tarif régulé reflétant les coûts : c'est là que réside la défense de la souveraineté.
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