[Point de vue] Ukraine : dernier avertissement avant l’apocalypse ?

bombe atomique

S’il y a bien un phénomène que l’on peut observer tout au long de de l’Histoire, c’est la régularité avec laquelle des événements qui ont bouleversé l’ordre du monde se sont produits d’une façon inattendue. L’historien Marc Ferro en a fait un livre (L’Aveuglement, Tallandier, 2015) dans lequel il a raconté cette multitude de moments critiques où des dirigeants politiques comme de simples citoyens n’ont pas pu ou pas voulu voir la réalité des faits qui allaient renverser leurs certitudes.

Comme Marc Ferro le rappelle, en 1918, les Alliés croyaient avoir gagné la paix et, en 1938, ils pensaient avoir évité une Deuxième Guerre mondiale. Après le déclenchement de celle-ci, Staline, malgré les informations transmises notamment par l’espion Richard Sorge qui lui avait indiqué le moment précis de l’offensive de la Wehrmacht, s’est refusé jusqu’au bout à croire à l’invasion allemande de juin 1941. Plus récemment, l’attaque du 11 septembre 2001 a pris les Américains au dépourvu, comme le 7 octobre 2023 a stupéfait les Israéliens. Les uns comme les autres ne disposaient-ils pas, pourtant, de signes avant-coureurs ?

L’Ukraine, un modèle d’aveuglement

On peut bien tenter d’analyser chacun de ces aveuglements, il n’en demeure pas moins que, pour la plupart, le mystère subsiste et résiste aux explications rationnelles. De trop nombreux facteurs s’entremêlent : ignorance, déni, idéologie, crédulité, présomption… Raison pour laquelle nous reproduisons si souvent les mêmes erreurs d’appréciation. La guerre en Ukraine nous en offre un nouvel exemple. Si Vladimir Poutine a sous-estimé la détermination des Occidentaux à soutenir militairement l’Ukraine, ceux-ci, en retour, ont tout autant sous-estimé la capacité de résilience et de résistance de Moscou.

Les erreurs d’analyse, au début du conflit, concernant l’effondrement de l’économie russe représentent un modèle d’aveuglement. On se souvient du brillant Bruno Le Maire qui, tel un prophète de l’Ancien Testament, dressait la liste des malheurs qui allaient s’abattre sur la Russie. « Le rapport de force économique et financier est totalement en faveur de l'Union européenne », affirmait le ministre de l’Économie. On connaît la suite.

À la même époque, sur les plateaux télé, des généraux - étoilés, décorés et gonflés de certitudes - moquaient l’armée de Vladimir Poutine. À les croire, une bande de soudards et d’incapables dotée d’un matériel et d’une technologie préhistoriques. En juin 2023, au moment du lancement de la contre-offensive ukrainienne, le général américain à la retraite et ancien directeur de la CIA David Petraeus avait déclaré qu’il était tout à fait possible que les unités russes composées de soldats « mal entraînés, mal équipés et mal dirigés » avec un « moral assez bas » se révèlent « assez fragiles et s’effondrent sur de vastes zones ».

Il est un autre domaine où, depuis le début du conflit, les Occidentaux ont affiché leurs certitudes : celui de la possibilité de l’escalade. À mesure que les lignes rouges fixées par les Russes ont été franchies sans donner lieu à une riposte majeure, Kiev et ses alliés se sont enhardis.

Franchir les lignes rouges

Comme le rapportait une enquête du Washington Post publiée en juin dernier, peu avant la contre-offensive ukrainienne, Joe Biden a, au fil du temps, montré « un appétit grandissant pour franchir les lignes rouges de Poutine ». À l’époque, l’enjeu portait sur la livraison d’avions de combat F-16. D’après des responsables américains interrogés, si l’administration Biden avait écarté les menaces du président russe, c’était parce qu’il n’avait « pas tenu ses promesses de punir l'Occident pour avoir fourni des armes à l'Ukraine ».

Son bluff avait alors donné aux dirigeants américains et européens « une certaine confiance dans le fait qu'ils [pouvaient] continuer à le faire sans conséquences graves », ajoutaient-ils. À la même époque - et ce n’est certainement pas un hasard -, plusieurs publications d’éminents spécialistes russes de politique étrangère (qui ont attiré l’attention de la presse occidentale) suggéraient d’apporter une réponse radicale à cette logique d’escalade.

« Les Américains agissent avec prudence, testent la réaction de l'ennemi et repoussent constamment les limites du possible en ce qui concerne les armes transférées à Kiev, ainsi que le choix de leurs cibles », notait Dimitri Trenine. « Il est probable que cette stratégie américaine repose sur la conviction que les dirigeants russes ne décideront pas d’utiliser des armes nucléaires dans le conflit actuel et que leurs mentions de l’arsenal nucléaire russe ne sont rien d’autre qu’un bluff », ajoutait-il.

Il fallait donc, selon lui, rétablir au plus vite une dissuasion crédible afin d’éviter une confrontation directe entre la Russie et l’OTAN. Et pour cela, la possibilité d’utiliser des armes nucléaires dans le conflit ukrainien ne devait pas être écartée. « La peur d’une escalade nucléaire doit être restaurée », affirmait, de son côté, le professeur Sergueï Karaganov, un proche du Kremlin.

Quelques mois plus tard, et après l’échec de la contre-offensive ukrainienne, les Occidentaux ont décidé d’aller encore plus loin dans l’escalade. Les Américains ont expédié en Ukraine des missiles à longue portée qui ont été récemment utilisés pour cibler la Crimée, considérée par la Russie comme partie intégrante de son territoire. De son côté, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’envoyer des troupes au sol, tout en indiquant qu’il ne fallait pas « se fixer de limites ».

À Kiev, début mai, le ministre des Affaires étrangères britannique, David Cameron, a franchi une ligne plus que rouge en affirmant que Londres n'avait aucune objection à ce que les armes qu’il fournissait soient utilisées à l'intérieur du territoire russe. Cette fois-ci, la Russie a également franchi un cran en annonçant qu’elle se réservait, dans ce cas, la possibilité de frapper des installations militaires britanniques « sur le territoire de l'Ukraine et au-delà ».

Par ailleurs, en réponse aux déclarations d’Emmanuel Macron et de David Cameron, le président russe a ordonné, ce lundi, l’organisation d’exercices militaires à proximité de l’Ukraine devant permettre à l’armée russe de s’entraîner à l'utilisation d'armes nucléaires tactiques.

Ces nouveaux avertissements seront-ils, une fois encore, accueillis en Occident par des haussements d’épaule ? À force de jouer à la roulette russe avec une puissance nucléaire, nous pourrions pourtant devoir faire face, prochainement, à un nouvel « imprévu » de l’Histoire. À nos risques et périls, cette fois-ci.

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

76 commentaires

  1. Tout le monde sait bien que Poutine n’utilisera pas l’arma atomique. En revanche, des frappes chirurgicales, certainement. Il aura raison

  2. La tristesse dans les yeux de Poutine lors de son investiture traduisait son état d’âme face à la situation terrible qui se profile. Il sait qu’il devra passer à des choix terribles. Ainsi que l’a dit Medvedev « les survivants regretteront d’être restés en vie ». Tout ça à cause du yanquiland et de ses valets, dont la macronie.

      • Tant qu’on reste dans l’abstrait peut être. Je me souviens d’une personne très âgée transportée en voiture, disant: « va, qu’and on est dans cet état là, il y en aurait pour payer quelqu’un pour te tuer », dans les secondes qui suivirent, la voiture prenant un petit talus à faibles vitesse, s’est retrouvée sur le toit, cette personne est sortie à quatre pattes de la voiture avec une vélocité extraordinaire et ne parlait plus de mourir, à méditer…..

  3. Sous estimer la capacité de nuisance des Russes relève de l’inconscience et de l’incompétence. On attend quoi ? Que Paris soit rasé…

  4. l’histoire n’étant qu’un perpétuel recommencement, il y aura la guerre sous peu, des destructions incalculables, les survivants reconstruiront tout en l’améliorant et en s’enrichissant-juste récompense de leur labeur acharné-, vivront ensuite un nouvel âge d’or momentané, de nouvelles « 30 Glorieuses » jusqu’à l’émergence d’une nouvelle saturation engendrant problèmes et aléas conjoncturels….Suite….Au prochain numéro !

  5. Oui, nos dirigeants débiles jouent bien à la « roulette russe » ! Les USA ont besoin d’une guerre pour rester les maitres du monde, sauf que cette fois-ci ils jouent gros, le champ de bataille doit se dérouler sur leur territoire et pas celui des autres, histoire de gouter aux plaisirs de le guerre !

    • Les US sont les instigateurs du démantèlement de l’Occident. Diviser pour mieux régner. Évincer la Russie pour que nous n’ayons plus personne à nos côtés pour nous défendre, plus d’échanges commerciaux etc… À qui profite cette guerre?

  6. Pour faire la guerre il faut des combattants , c’est à dire des personnes capables de risquer leur vie pour une idée , une religion , ou des combattants qu’un système totalitaire peut contraindre à combattre .
    L’Europe ne peut disposer d’aucune de ces catégories de combattants , ou plutôt si , il y a dans sa population importée par l’immigration , des combattants de l’islam prés à mourir pour leur cause , ils nous le montent tous les jours depuis des années , mais là on a affaire a une guerre civile .

  7. Et pendant ce temps là, comme Néron à Rome, Macron endort endort les français avec ces JO qui vont encore augmenter la dette!

  8. Derrière cette guerre en Ukraine, il ne faut y voir que les conséquences de la politique américaine, qui fait d’une pierre, deux coups. Affaiblir la Russie et affaiblir l’Europe en la privant du gaz et du pétrole Russe et notamment l’industrie allemande… Elle peut compter pour cela sur les Young Leaders à la sauce Macron… Au début du conflit, les Russes ont dit qu’ils allaient combattre les Nazis en Ukraine. Tout le monde a rigolé et n’a pas voulu voir les drapeaux banderistes flottant sur les check points. Tout le monde ignore ou feins d’ignorer la présence d’unité Nazies comme le fameux régiment Azov. L’Ukraine, pays démocratique… UE compatible

  9. Je ne pense pas que Poutine utilisera l’arme nucléaire TACTIQUE, sauf s’il était confronté à une débâcle militaire dans le Donbass et en Crimée, ce qui ne semble pas être le cas pour le moment. Quand à l’utilisation de l’arme nucléaire STRATEGIQUE, personne ne l’utilisera, car ce serait la destruction réciproque, de la Russie et des USA, je ne parle même pas de la France, terrain sur lequel pourraient s’affronter les deux grandes puissance. Et dans ce cas, notre « va t en guerre », sera parti depuis longtemps.

  10. Les limites de Lemaire ne sont plus à démontrer. Limites d’ailleurs largement partagée par l’ensemble de ce gouvernement, et ce, en quelques matières que ce soit, à l’exception de la communication.

  11. La grande différence entre Poutine et le quatuor Macron, Zelensky, Biden et Von der Layen c’est qu’aucun de ces derniers n’ont jamais eu le gout de leur sang dans la bouche, aucun d’eux non plus ne sait se servir d’une arme (à part peut être Ursula, elle est suffisamment flippante pour ça !). Le président Russe est d’une autre trempe. Taper du pied n’effraye pas les loups. Nos guignols devraient plutôt chercher une voie de négociation avant la catastrophe.

  12. Zelinsky, qui a déjà été condamné pour corruption ou détournement de fonds publics il me semble (il est vrai que nos bons médias ne le rappellent jamais, ce n’est pas Fillon ou Le Pen …) refuse toute discussion pour un accord de paix. Alors qu’il se débrouille et assume lui-même ses décisions sans faire appel à l’Europe pour faire la guerre à sa place ; c’est trop facile et preuve d’un comportement irresponsable. Poutine, lui, semble plus intègre à ce niveau : il assume ses décisions.

    • Tout à fait d’accord! Il est peut-être encore temps de revenir à la raison. Cesser d’envoyer quoi que ce soit à Zelensky et revenir à des rapports apaisés avec la Russie. Les véritables profiteurs sont les US.

  13. Comment donner du crédit à la Russie dirigée par une caste de pillards et cleptomanes ?
    Si les Allemands décidaient de recuperer la Lorraine et l Alsace trouveriez vous ça normal !!!
    Poutine ne connaît que la force .Son élimination physique résoudrait déjà une partie du problème .
    Aidons l Ukraine à se défendre mais n intervenons pas à l intérieur de ce pays .L Ukraine sera pour la Russie un deuxième Afghanistan. Il ruinera son son pays et le mettra au banc des nations pour longtemps .
    Quant aux predictions de Lemaire on connait son imcompetence ,rien d anormal

    • Un peu d’Histoire : il ne s’agit pas de l’Alsace-Lorraine mais de l’Alsace-Moselle. Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle. Les trois d’épatements frontaliers.

  14. Je pense plus à de l’entêtement obsessionnel de la part de Poutine, qui risque d’y laisser des plumes, les Ukrainiens étant très résilients, surtout par rapport aux appétit de l’Ours russe; les ressources humaines et militaires de la Russie étant plus limitées qu’il n’y parait …

  15. Ce sont sans doute bien davantage la suffisance et le mépris dont sont bouffis les leaders occidentaux qui les ont conduit à ne voir de la Russie qu’un pays de pauvres types incapables de résister à l’écrasante supériorité du « camp du bien ». Souvenons-nous de ce qui est arrivé à ce Führer convaincu qu’il pourrait écraser les « Untermenschen » Russes en l’espace de quelques semaines. Pour les prétentieux, l’histoire n’a pas de leçons à leur donner.

    • Heureusement que la Russie était à nos côtés durant la dernière guerre et pas seulement à la fin du conflit…Ils ont laissé beaucoup de morts sur le terrain. Ayons au moins « La reconnaissance du ventre »…Comme on dit!

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