[Point de vue] Une base militaire chinoise à Cuba, l’arroseur arrosé ?
Dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine et des tensions en mer de Chine, il s’agit d’une situation géopolitique des plus intéressantes. Afin de faire mieux comprendre les réactions russes et chinoises à la politique d'encerclement et de containment américaine en Eurasie, les tenants d'une approche réaliste en politique étrangère en ont régulièrement soulevé l’hypothèse. Que feraient les États-Unis en cas d’implantation d’une base militaire russe ou chinoise à proximité de leurs frontières ? Que feraient-ils si un pays géographiquement proche se mettait en tête de rejoindre une alliance jugée hostile ? L’épisode de la crise des missiles de Cuba permet, rétrospectivement, d’apporter un début de réponse. La réaction serait brutale.
Or, voilà que la situation semble se répéter à quelques décennies de distance, mais cette fois-ci, espérons-le, sans impliquer de missiles nucléaires. Le 8 juin dernier, le Wall Street Journal a en effet révélé l’existence d’un « accord secret » conclu entre Pékin et La Havane dans le but de permettre l’installation d’une base chinoise destinée à espionner les États-Unis.
L’administration Biden a, dans un premier temps, démenti ces informations avant de finir par reconnaître, non pas seulement un éventuel accord, mais l’existence d’une telle base depuis au moins 2019. Plutôt gênée aux entournures face à ces révélations qui interviennent au moment où Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, s’apprête à faire un déplacement en Chine pour réchauffer des relations devenues particulièrement glaciales, la Maison-Blanche s’est à la fois défaussée sur l’administration Trump tout en s’efforçant de minimiser le danger pour la sécurité nationale.
Le Washington Post a ainsi rapporté les déclarations d’un haut responsable de l’administration Biden affirmant que l’installation de Cuba n’était pas ce qu’il y avait de plus préoccupant au regard des efforts de la Chine pour étendre sa présence militaire dans les océans Indien et Pacifique. Ce que les Chinois font à Cuba, « ils essaient de le faire » dans des dizaines d'autres endroits à travers le monde, a-t-il déclaré.
Des propos qui ne risquent pas d’apaiser la colère des faucons de Washington partisans d’une ligne dure à l’encontre de Pékin. Leurs déclarations particulièrement virulentes sont révélatrices du « double standard » pratiqué par les Américains et dénoncé par leurs adversaires.
En voici un petit florilège des plus instructifs lorsqu’on le met en perspective avec la question de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN ou encore avec le déploiement de multiples bases militaires américaines aux frontières terrestres et maritimes de la Russie et de la Chine.
« Nous devons être clairs sur le fait qu'il serait inacceptable que la Chine établisse une installation de renseignement à moins de 100 milles de la Floride et des États-Unis, dans une zone également peuplée d'installations militaires clés et d'un trafic maritime important. Nous exhortons l'administration Biden à prendre des mesures pour prévenir cette grave menace pour notre sécurité nationale et notre souveraineté », ont déclaré, le 8 juin dernier le président du Comité spécial du Sénat sur le renseignement, Mark Warner (démocrate) et le vice-président Marco Rubio (républicain).
« Si c'est vrai, cela montre tout simplement où en est le régime cubain depuis le début. Ce sont des adversaires des États-Unis, et permettre aux Chinois de construire une installation de renseignement électromagnétique dans leur pays est une attaque directe contre les États-Unis », a déclaré le président du Sénat chargé des relations extérieures, Robert Menendez (démocrate).
« La Chine est maintenant littéralement dans notre arrière-cour », a, enfin, déclaré le sénateur républicain Josh Hawley, qui considère donc comme parfaitement normal que les États-Unis aient une « arrière-cour » où aucun rival ne doit mettre son vilain nez. Devrions-nous alors comprendre que ce dont il est ici question correspondrait à la notion que l’on croyait proscrite de « sphères d’influence » ? Washington n’aurait donc jamais renoncé à la doctrine Monroe qui, au XIXe siècle, condamnait toute intervention des Européens sur le continent américain et qui, pendant la guerre froide, a permis de justifier de multiples opérations anticommunistes en Amérique latine, et notamment à Cuba ?
Et pourtant, lorsqu’en janvier 2022, les Russes ont exprimé leurs préoccupations en matière de sécurité et ont demandé aux Américains de renoncer à une nouvelle extension de l’OTAN à leur frontière, que leur a-t-il été répondu ? Wendy Sherman, la secrétaire d'État adjointe des États-Unis, leur a expliqué « que tous les pays doivent pouvoir choisir leur propre orientation de politique étrangère, que la souveraineté et l'intégrité territoriale sont sacro-saintes et doivent être respectées, et que toutes les nations sont et doivent être libre de choisir [leurs] propres alliances ». Un bel exemple de « double standard » !
Dans un article paru en avril dernier, Richard Falk, professeur de droit international à l'université de Princeton, a insisté sur une notion peu prise en compte dans la théorie des relations internationales : celle des « lignes de faille géopolitiques ». Certes, la notion de « sphères d’influence » est abusive vis-à-vis des pays limitrophes concernés mais, écrit-il, dans un monde imparfait, tenir compte de ces « lignes de fracture » peut freiner l’escalade en temps de crise et prévenir les guerres.
Que ce serait-il passé, en 1962, alors que débutait la crise de Cuba qui menaçait de plonger le monde dans l’apocalypse nucléaire, si Kennedy avait écarté l’option diplomatique ? S’il n’avait pas accepté de négocier le retrait des missiles américains positionnés en Turquie contre le retrait des missiles soviétiques de Cuba ? À l’inverse de Joe Biden, Kennedy avait, cependant, parfaitement conscience que les lignes de faille géopolitiques peuvent se transformer en abîmes.
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24 commentaires
Que Biden a un clou dans une de ses pompes tout le monde l’a remarqué, il tombe tout le temps
» que toutes les nations sont et doivent être libre de choisir [leurs] propres alliances ». Un bel exemple de « double standard » ! hé bien parfait , les cubains ont choisi les leurs eux qui sont sous embargo us depuis des décennies , au fait , que font les ricains à la porte de la Russie .
Très juste comme d’hab.
Finalement notre Macron national est peut-être américain ou pour le moins il colle parfaitement à leur doctrine de dire et faire l’inverse, ou réciproquement.
Il est interessant de constater que les lanceurs d’alerte auprès d’un gouvernement dirigé par un Démocrate…sont, en majorité, eux mêmes des représentants du Parti démocrate !… Un clou dans la chaussure d Biden ???