[Point de vue] Vers une rupture entre l’Arménie et la Russie ?

cathédrale etchmiadzin arménie

Ce mois de septembre aura connu un événement qui semble, a priori, largement secondaire par rapport aux grands sujets du moment comme le conflit russo-ukrainien, la crise migratoire concentrée sur les côtes italiennes ou les conséquences du coup d’État du Niger. Il s’agit de l’éloignement, voire la quasi-rupture diplomatique, de l’Arménie avec la Russie de Vladimir Poutine. Plusieurs manifestations de ce changement profond se sont étalées au long du mois : dès le 1er septembre, dans une interview au journal italien la Repubblica, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian qualifiait d’« erreur stratégique » l’option d’avoir confié la sécurité de son pays à Moscou ; le 7 étaient annoncés des exercices militaires communs avec les États-Unis et l’envoi d’aide humanitaire en Ukraine ; enfin, le 10 septembre, l’Arménie rappelait son représentant à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), organisation militaire dominée par la Russie et composée d’ex-républiques soviétiques.

La Russie : un allié passif

La raison principale en est la passivité russe face à la guerre menée à l’Arménie par l’Azerbaïdjan en 2020 et, suite à sa victoire, l’occupation par celle-ci du Haut-Karabakh. De même, l’absence d’aide russe à la population face au féroce blocus imposé par Bakou. Ainsi, la Russie serait vue comme un allié peu fiable et passif. Il est vrai que la Russie de Poutine se montre dernièrement peu empressée de défendre des communautés et pays alliés chrétiens, mais, au contraire, plutôt prompte à se rapprocher de pays et régions musulmans, y compris radicaux, que ce soit au travers de son alliance avec la Tchétchénie de Ramzan Khadyrov, son soutien répété à l’Iran des mollahs ou son rapprochement avec la Turquie néo-islamiste de Recep Tayyip Erdoğan. Une telle rupture entre deux pays auparavant proches pourrait avoir des conséquences géopolitiques certaines dans cette partie du monde.

Les déceptions de l'Arménie

Traditionnellement proche de la Russie depuis son indépendance en 1991, l’Arménie était jusqu’ici un allié de choix pour Moscou, membre de l’OTSC, accueillant une base militaire russe et qui s’était abstenue lors du vote des Nations unies condamnant l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, ainsi qu’un partenaire commercial privilégié, partageant 45 % de ses échanges commerciaux avec ce pays. Un basculement d’Erevan dans le camp occidental pourrait bouleverser l’ordre géopolitique mondial dans cette région d’Asie centrale stratégique et sensible, pouvant potentiellement affaiblir la Russie de manière durable.

Il est aussi à noter que ce n’est pas la première fois que les Arméniens sont déçus par la Russie, protectrice traditionnelle supposée des chrétiens de la région. De septembre à décembre 1920, l’Arménie fraîchement indépendante, suite au traité de Sèvres du 10 août, subit une guerre féroce menée par la jeune République turque de Mustafa Kemal. En infériorité numérique et matérielle, les Arméniens furent rapidement écrasés et condamnés, une fois de plus, à l’occupation et à l’oppression. Ils ne reçurent alors aucun secours de la part de la Russie, il est vrai devenue bolchevique, officiellement athée et antichrétienne. Pire : lorsque fut signé: le 2 décembre 1920: le traité d’Alexandropol mettant fin au conflit, le territoire arménien encore indépendant se retrouva sous la coupe soviétique et dut accepter de se soviétiser, avec toutes les mesures incluses (collectivisation forcée, lutte antireligieuse, répression et contrôle féroces). Le traité de Kars du 13 octobre 1921 confirma les nouvelles frontières entre la Russie communiste de Lénine et la Turquie nationaliste de Kemal, deux pays qui connurent alors un certain rapprochement, à cette époque.

La déception arménienne vis-à-vis de la Russie a donc connu un amer précédent. Il reste à espérer que l’issue en sera moins tragique pour ce petit pays chrétien (moins de trois millions d’habitants) qui compte l’une des plus anciennes communautés religieuses au monde.

Florent de Prévaux
Florent de Prévaux
Docteur en Histoire, enseignant, rédacteur, conférencier.

Vos commentaires

19 commentaires

  1. INUTILE de remonter aux expériences passées : aujourd’hui l’interêt vital de Moscou est de préserver ses possibilités d’exporter son énergie par d’autres canaux que le marché de l’U.E. Il est hors de question de contrarier à quelque occasion que ce soit les pays musulmans qui soutiennent l’AZERBADJIAN dans le projet d’éradiquer l’ARMENIE CHRETIENNE.

  2. Alors… à cette époque ! Non pas : les Jeunes Turcs étaient à Bakou en 1920 au second congrès du Komintern et Lénine fournissait armes et argent à Kémal Pacha !!

  3. « Le traité de Kars du 13 octobre 1921 confirma les nouvelles frontières entre la Russie communiste de Lénine et la Turquie nationaliste de Kemal, deux pays qui connurent alors un certain rapprochement, à cette époque. » Rapprochement favorisé par une idéologie commune : la Franc-Maçonnerie.

  4. la Russie est passive sur ce conflit mais doit sûrement avoir un oeil sur la résolution du conflit.
    Dans le cas où l’Occident (USA + UE) accepte l’annexion du Haut Karabagh par l’Azerbaidjan, on aura du mal à être crédible pour demander à la Russie de rendre le Donbass et la Crimée à l’Ukraine.
    Dans l’autre cas, il va falloir faire pression sur l’agresseur azeri et se fâcher avec les Turcs.
    Mais comme l’UE, a besoin du gaz de Bakou, les Arméniens seront les cocus de l’affaire et Manu versera sa petite larme de solidarité.

  5. L’Arménie ? Un grenade dégoupillée, pour son grand malheur. La raison pour laquelle toutes les grandes puissances, toutes les organisations s’en éloignent. Sa situation est bien plus dangereuse, bien plus délicate à traiter que celle de l’Ukraine. Dans son traitement il y a un véritable risque de guerre mondiale . Toutes ces puissances à ce jour distantes souhaiteraient intervenir afin de ne pas laisser « la place » aux autres.

  6. Aujourd’hui heureusement, avec la protection américaine, ils pourront face à la féroce agression de Bakou, faire appel à l’OTAN et comme en Ukraine bouter les envahisseurs Azerbaïdjanais hors d’Arménie.

    Il faudra juste qu’Emmanuel Macron répartissent un peu mieux les armes qu’il livre à ces pays martyrs.

  7. Honte à la France et à l europe pour son absence d aides à un pays chretien d une part et isolé d autre part ..
    Comment ont ils pu faire confiance à Poutine ,le plus grand menteur et tyran du 21 eme siecle

  8. Le pouvoir arménien est aux mains d’un groupe sous influence états-unienne. Que peut faire la Russie lorsque Pachinian déclare que l’Artsakh est un territoire azerbaïdjanais ? Espérons que les Arméniens qui s’imaginent qu’ils verront la prospérité dans leur pays s’ils se rapprochent de l’UE sont minoritaires. Et que Pachinian sera renversé.

  9. Le génocide Arménien un bis repetita du coup actuel de l’Est par rapport au précédent d’avril 1915. Ce coup-ci sous une odeur pétrolifère, une énergie acheté par l’Azerbaïdjan en grande partie à la Russie revendu fort cher à l’occident tout content de ne pas l’avoir commande directement au producteur et dans ce contexte actuel de l’énergie que pèse un peuple comme l’Arménie. Ah si une grosse larme de crocodile.

  10. Il faut savoir que Pachinian par calcul politique a abandonné le Haut Karaback, ce que lui reprochent d’ailleurs les Arméniens qui sont aussi abandonnés par l’europe pour quelques m3 de gaz.

  11. Quitter la Russie pour se tourner vers l’UE ou les USA , pas très bon choix et ils vont vite le regretter . Difficile aussi de croire que la Russie va se retrouver affaiblie .

  12. il y a un moment que c’est fait le gouvernement arménien ne s’entend pas avec les russes, mais on devrait plutot se pencher sur ce que fait l’UE, silence radio, en effet l’Azerbaïdjan est fournisseur du gaz en remplacement des russes pour sauver l’industrie allemande et pénaliser notre production d’électricité indexée sur le gaz importé par les allemands

  13. Curieusement l’auteur omet de rappeler la victoire de l’Arménie sur l’Azerbaijan lors de la guerre 1988/1994…A cette époque on n’accusait pas la Russie de na pas avoir soutenu l’Azerbaidjan… Le Karabgh est une région azerbaidjanaise et il eut été plus intelligent de la part des arméniens de négocier en 1988. Mais à cette époque, étant supérieurs, ils ont préféré la guerre. Ma 2ème remarque est que l’auteur dit que l’éloignement de l’Arménie de la Russie représente un potentiel affaiblissement de la Russie. La Russie affaiblie par l’Arménie? On a envie de rire ; je pense que l’auteur a voulu dire le contraire… Les arméniens influencés par leur diaspora occidentale pensent qu’ils seront mieux défendus par l’occident…Soit. Mais où est la France? où sont les USA? Il faut que le peuple arméniens chassent les pachynian et la diaspora bienpensante. Ils doivent savoir que seule la Russie pourra être une force d’équilibre. Et je ne parlerai pas de l’analyse de l’auteur sur la son constat chrétiens/musulmans allant se raccrocher à la Tchéchénie, région russe, pour justifier son propos surréaliste. L’Arménie aurait mieux fait de se rapprocher des BRICS plutôt que de l’occident.

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