Polémique autour de 800.000 ouvrages décommandés par l’Éducation nationale

Le père algérien et musulman boit de l'alcool et mange du porc. Ces thèmes ont-ils poussé le ministère à rétropédaler ?

800.000 ouvrages. C’est le nombre de livres décommandés par l’Éducation nationale, la veille de leur impression. Dans le cadre de l’opération annuelle « un livre pour les vacances », lancé en 2018 pour exhorter les élèves à lire pendant les vacances, le ministère de l’Éducation nationale a choisi un ouvrage à offrir aux élèves de CM2, pour les grandes vacances. Cette année, il a jeté son dévolu sur le conte bien connu La Belle et la Bête, dans la version de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (1756) avec les dessins de Julien Berjeaut, dit Jul (aux Éditions Grand Palais). Finalement, dans une lettre datée du 17 mars signée par Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire, le livre n'est pas retenu. En cause : une réinterprétation de l’œuvre jugée inaccessible à des enfants âgés de 10 à 11 ans sans accompagnement pédagogique. Comme l’explique à BV le ministère de l’Éducation nationale, l’ironie employée et certains thèmes tels que l’alcool, les réseaux sociaux, le trafic de contrefaçon ou encore les contrôles policiers ne sont pas adaptés à une lecture autonome des élèves concernés.

Le dessinateur crie à la censure

Jul, connu pour être le scénariste des bandes dessinées Lucky Luke ou encore le dessinateur de Silex and the City, ne comprend pas les arguments avancés par le ministère. Il se dit victime d’une véritable « censure », voire d’une « décision politique ». Selon lui, ce qui dérange vraiment, ce ne sont pas les motifs évoqués mais bien plutôt le changement de profil des protagonistes de l’histoire : des princesses en survêtement « ressemblant plus aux écoliers d’aujourd’hui », dit-il, avant de conclure amèrement : « Le "Grand Remplacement" des princesses blondes par des jeunes filles méditerranéennes serait-il la limite à ne pas franchir pour l'administration versaillaise du ministère ? » L’artiste s’étonne de ce refus de dernière minute, alors même que la première version avait été consultée, puis validée à condition de quelques ajustements par le ministère.

Contactée par BV, la Rue de Grenelle contredit cette version des faits : « Le ministère a pris contact directement avec M. Berjeaut pour échanger sur les adaptations attendues afin que l’ouvrage réponde à l’âge des élèves et soit conforme à l’objectif pédagogique souhaité. » Et de poursuivre : « M. Berjeaut a pu expliquer et défendre son approche mais, au vu de son refus de procéder aux adaptations demandées, le ministère a estimé que l’ouvrage ne correspondait pas au cahier des charges attendu. » L'artiste se défend de cette accusation, arguant que les modifications demandées après la relecture de l'œuvre ont été opérées.

Œuvre refusée parce qu’inadaptée à la cible, pour le ministère. Refusée parce que dérangeant les sphère « versaillaises », selon l’auteur (allusion à la directrice générale de l'enseignement scolaire Caroline Pascal, épouse de l'écrivain Camille Pascal, ancienne plume de Nicolas Sarkozy ?) : le papa algérien et une princesse aux cheveux bruns et bouclés ne passent pas, pense-t-il.

Il existe une autre explication contraire à l’hypothèse du dessinateur, soulevée sur Europe 1 par Sonia Mabrouk, face à Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale. Dans l’œuvre, le père algérien boit de l’alcool et mange du porc. Le rétropédalage du ministère ne serait-il pas davantage dû à cette inconvenance aux yeux de la communauté musulmane, plutôt que pour plaire aux « réacs » de Versailles ? L'auteur des dessins balaie d'un vif revers de main cette idée. Le spectre de Samuel Paty plutôt que celui de Louis XVI ?

 

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Raphaelle Claisse
Journaliste stagiaire à BV. Etudiante école de journalisme.

Vos commentaires

8 commentaires

  1. Ce n’est pas à l’éducation nationale de payer les bouquins de vacances ! à 10 ans j’avais lu tous les Astérix période Goscinny et tous les Tintin. Aujourd’hui on expliquerait qu’Astérix est xénophobe car se moquant, des belges, des (grands) Bretons, des Germains, etc. Idem pour Tintin au Congo ou au Pays des Soviet, BD « colonialiste » et « anti-communiste ». Bref la totale.
    J’ai vu dans le Figaro de ce jour que Borne considère qu’il existe dorénavant un « Metoo de Betharam »… Que cette pauvre ministre lise Astérix et nous fiche la paix.

    • Offrir un livre aux enfants, peut être une bonne idée, mais ce devrait être un classique de la jeunesse, du genre  » sans famille  » et pas une BD dont les dessins ne semblent pas des plus artistiques, ni harmonieux.
      C’est vrai, qu’il serait temps de faire des économies. On a l’impression qu’on arrête pas d’inventer de nouveaux
       » trucs » pour continuer à creuser notre dette abyssale.  » les petits ruisseaux font les grandes rivières « .

  2. La belle et la bête : « œuvre jugée inaccessible à des enfants âgés de 10 à 11 ans sans accompagnement pédagogique. » Ah bon! Donc, d’après l’Education nationale, aucun des enfants ayant lu (eh oui, autrefois les enfants savaient lire dès 7/8 ans, sinon avant) ou entendu cette belle histoire depuis 3 siècles (y compris votre servante) n’ont rien, absolument rien pu y comprendre ? Avec le bilan négatif qu’elle présente systématiquement depuis bientôt un demi-siècle, confirmé tant par les commentaires quasiment d’illettrés sur les réseaux sociaux que par les grossières fautes d’orthographe et de grammaire des ‘journalistes’ francophones, elle ne manque pas d’air, l’Education nationale française, même pas fichue d’enseigner leur langue maternelle aux Français d’aujourd’hui !

  3. Il y a différentes choses qui sont choquantes dans cette affaire. Premièrement pourquoi s’ingénier à réécrire d’anciens contes plutôt que de créer de nouvelles histoires. Ensuite d’après la réaction de Jul on comprend qu’il y avait en effet une volonté de faire passer une vision du monde idéologique. Puis il attribut ce refus à des considérations racistes absurdes car tout le monde se fiche de savoir que son héroïne soit brune. Au passage il démontre un mépris de classe en évoquant les Versaillais. Quant au ministère…qu’est ce c’est que cet volonté d’accompagnement pédagogique nécessaire pour lire une BD? Pendant les vacances les parents n’aurait il pas le droit de reprendre un peu le contrôle de leurs enfants? Et si les enfants posent des questions ne seraient ils pas capables de les éclairer? En définitive ça a coûté combien ce bazar, alors qu’un simple bon d’achat dans une librairie aurait suffit!

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