Pour laisser parler Sylvain Tesson, il n’y a que Vinci Autoroutes !

Sylvain Tesson

C’est tout de même curieux, la vie : on pense que l’on vit dans le pays de la littérature et de la liberté d’expression, et on assiste à l’interdiction, pour l’un des meilleurs écrivains français du temps, de parrainer des événements littéraires. Sylvain Tesson, puisque c’est de lui qu’il est question, est en effet éminemment suspect. Pensez donc : admirateur d’Homère, à qui il a consacré une remarquable série sur France Inter, pourfendeur de la médiocrité et de l’américanisation du monde, contempteur des injonctions infantilisantes et de la vie postmoderne, il chante les causes perdues, l’épopée napoléonienne, les espaces vides de ce monde trop habité… et les « chemins noirs ». Pire : il a des amis dans la « nouvelle droite » et il n’est pas insensible aux thèmes de l’effort gratuit, du sacrifice et de l’Histoire longue des Européens. Sale facho !

Or, donc, Sylvain Tesson vient d’être choisi par la fondation Vinci-Autoroutes pour parrainer son festival annuel (dont l'auteur de ces lignes ignorait l’existence, pas vous ?), dont le nom est « Lire, c’est voyager, voyager, c’est lire ». La tentation la plus évidente serait de se gausser lourdement de cette alliance apparemment pas très intuitive. Quoi, le poète des chemins de traverse, le hussard au visage tordu, l’arpenteur de la steppe prêterait son nom et ses obsessions favorites au ruban gris de l’autoroute ? On est loin des chemins noirs : adieu baluchon, taïga, cuites homériques et poésie fantasque ; bonjour télépéage, sandwich triangle à 15 balles, champs d’éoliennes, zones commerciales… et injonctions pour demeurés, justement, écrits en orange sur de sinistres écrans noirs : « 123 WX 456, trop vite », « faites une pause » et autres petits messages nord-coréens. Oui, on pourrait se moquer, mais ce ne serait pas très malin. Ce serait même beaucoup trop facile et sans doute d’assez mauvaise foi.

La leçon de Tesson

À la vérité, la plus importante leçon de ce partenariat un peu surprenant est celle-ci : pour être libre, il faut appartenir au grand capital. Vinci diffuse de la musique classique dans ses parkings, tandis que les subventions de l’État pleuvent sur des productions de hip-hop pour zombies, avec Auto-Tune™ et grossièretés. Vinci organise un festival qui interroge les liens entre voyage et lecture, tandis que dans certaines classes, comme récemment à Toulouse, on projette des dessins à caractère sexuel à des classes de CM2. Et, donc, Vinci fait venir Sylvain Tesson, pendant que tout le monde lui tombe dessus à bras raccourcis, du côté de l’intelligentsia parisienne. Seul l’argent libère, à condition d’en avoir suffisamment. Voyez Elon Musk : il a ouvert les vannes de la liberté d’expression sur X, mais pour cela, il fallait qu’il fût millionnaire.

À gauche, on ne se serait jamais commis dans la coopération - ils auraient dit « collaboration » - avec une grande entreprise privée. Non, c’est bien trop plouc. Quand on est du côté de la littérature, la vraie, la noble, on vend quelques dizaines de petits bouquins prétentieux, on se pavane avec quelques petites autofictions indigestes. On ne pense pas à vendre. On ne pense pas à être populaire.

Sylvain Tesson vient de donner une leçon, une de plus, à l’aristocratie des lettres, décadente et consanguine comme toutes les fins de race, une aristocratie qui, pour reprendre le mot de Chateaubriand, « dégénère dans l’âge des vanités ». Il est décidément très fort.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

16 commentaires

  1. C’est vrai que voyager c’est lire ….et on voyage beaucoup avec Sylvain Tesson….un personnage hors normes….qui a su sortir de sa zone de confort pour arpenter le monde et nous le raconter via ses écrits, pleins d’humour et aussi ses photos…j’adore le personnage et ses livres….jamais déçue.

  2. Bon…vaut tout de même mieux pas lire au volant (à défaut d’envoyer des textos)…même si c’est remarquable et du Sylvain Tesson !

  3. Je confirme. Etant en train de lire son dernier roman, je suis enchanté : des phrases courtes, de jolis mots donnant une impression de rêve éveillé et une sensibilité poétique certaine.

  4. Le probléme de l’Intelligence congénitale (Ce Mr est curieux de tout et s’indigne de rien), c’est que pour énormément de gens, qui s’imaginent ou laisse paraitre, qu’ils sont instruit(e)s, ce n’est qu’un concept parmi d’autres, pas aisément quantifiable …

  5. C’est bien connu, à gauche on aime pas les gens de qualité, tout le monde au bas niveau

  6. Il est faux de laisser penser que les écrivains du système littéraire de gauche ne vont pas chercher l’inspiration dans leurs voyages , on en a vu beaucoup sortir du Flore et après un cheminement éreintant aller s’affaler Au deux magots, les plus fous d’entre eux traversent même (au péril de leurs vies) si,si ! Pour attérrir chez Lipp.
    On a vu certains se rendre à pied jusqu’à La closerie des lillas, une vraie dinguerie suicidaire .

  7. A titre anecdotique: Jack Kerouac (On the road again) a beaucoup écrit sur les voyages, sans être pratiquement jamais sorti de New-York, et Bernard Lavilliers a beaucoup chanté le Brésil sans y avoir mis un orteil.
    Tesson commente son vécu. Impardonnable.

    • Au Brésil, Bernard lavilliers n’a pas mis un orteil, il y a mis les 2 pieds et son talent !

      • Lisez sa biographie (jamais contestée) « Les vies liées de Lavilliers » de Michel Kemper, vous verrez que ce certes grand artiste est doublé d’un mythomane et d’un plagiaire hors pair. Il s’est décidé (enfin !) à aller au Brésil bien après avoir composé « FortaleRza » (erreur incluse), San Salvador, Capoeira, etc.

  8. Face à la crétinerie de ces salisseurs de talents qui ne savent plus que dire ni écrire, je préfère m’abstenir.
    Grand respect à monsieur Sylvain Tesson.

  9. Bien vu monsieur Florac, mais si certaines grandes fortunes mettent leur argent au services de nobles causes, nous ne devons pas oublier que d’autres n’ont pas ces élégances. La débilité comme principe déversé par nos chaînes publiques est le signe que nos dirigeants n’œuvrent pas à l’émancipation de leur population, mais à son abêtissement.

    • Il est évident qu’un peuple resté éclairé se serait débarrassé depuis longtemps des parasites qui anéantissent son pays !

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