Pourquoi l’assassinat de Shinzō Abe prive le Japon d’un grand acteur de la vie politique

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C'est un choc. Un terrible choc pour le peuple japonais, en ce 8 juillet. L'assassinat d'Abe Shinzō, l'ex-Premier ministre (de septembre 2006 à septembre 2007, puis de décembre 2012 à septembre 2020) a de quoi surprendre. D’abord parce que le Japon n’a pas connu de crime politique majeur depuis la reprise en main du pays par MacArthur, lorsqu’il s’agissait de remettre en selle l’archipel meurtri par les conséquences de sa guerre du Pacifique. Mais aussi parce qu’Abe fut le grand acteur de la vie politique japonaise, le successeur de Koizumi, le charismatique leader du Parti libéral-démocrate, un Thatcher asiatique, entre 2001 et 2006. Autrement dit, la suprématie du Nippon-kaigi (« conférence du Japon »), un lobby politico-religieux qui refuse la pacification des relations avec la Chine.

Ainsi, le meurtre est survenu alors qu’Abe soutenait un candidat du PLD aux sénatoriales dans la préfecture de Nara, comme à l’accoutumée, en pleine rue, sans une véritable protection policière, sur une estrade mobile, donc à la portée de tous. La démonstration d’une confiance excessive, d’un sentiment d’invulnérabilité, en dépit de problèmes de santé qui l’avaient forcé à quitter la tête du gouvernement il y a deux ans. En l’occurrence, en tant que fils d’un ministre des Affaires étrangères et petit-fils d’un Premier ministre, Abe fut, clairement, l'incarnation du népotisme spécifique de la classe politique japonaise. L’époque de Tanaka, du « shogun de l’ombre », était déjà bien loin. Le capitalisme financier devait prendre le dessus sur le capitalisme industriel. C’est dans cette perspective que le PLD, libéral-conservateur, devait imprimer sa marque : austérité, privatisation et obéissance (au nouvel Empire). Pour le reste, la dépolitisation a été opérée habilement pour que les mêmes votent toujours pour le même parti (nonobstant les parenthèses Hatoyama, Kan et Noda, MoDem nippon, de 2009 à 2012), sur fond de culte du secret. L’assassin d’Abe, Yamagami Tetsuya, un chômeur de 41 ans, se serait rendu à ce meeting improvisé en pensant y trouver un cadre de la secte Moon (secte coréenne très puissante, partisane d’une Troisième Guerre mondiale contre les communistes), en ayant l’intention de lui donner la mort en usant d’une arme à feu artisanale, sachant parfaitement comment en fabriquer, fort de son expérience au sein de la marine japonaise (entre 2002 et 2005). Seulement, selon nos dernières informations, il visait autant Moon qu’Abe lui-même.

En 2003, Kurosawa Kiyoshi avait montré, dans son film Jellyfish, une jeunesse sans perspective d’avenir et fascinée par la violence. Le Japon est le pays des totems, certes, mais aussi de bien des tabous… Une zone où la violence doit rester invisible. In fine, la société japonaise est déterminée par des lobbies, que ceux-ci soient politico-religieux (Tenri-kyô et Sôka-gakkai, entre autres) ou criminels (keizai-yakuza, des mafieux transformés en hommes d’affaires). Un pays où, par exemple, des préadolescents peuvent devenir des monstres : un garçon de 14 ans a décapité deux fillettes en 1997. Comme si les pauvres n’existaient pas, des campagnes d’Hokkaidô à des quartiers de Naha (Okinawa), en passant par des rues du nord-est de Tokyo… Il y a de la résignation chez des individus ; de la rage chez d’autres. D’où l’irruption d’un terrorisme d'un nouveau genre, qui sera tragiquement le même sur les terrains mondialisés, américanisés, terrains de Je et du « tout pour se faire remarquer ». Le pire ? Ce modèle risque d’être imité.

Henri Feng
Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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