Poutine, jusqu’où ira-t-il ? Regards croisés du général Desportes et du député européen (RN) Mariani

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L'un est un professionnel des conflits, l'autre de la politique. Le général de division (2s) Vincent Desportes et le député européen Thierry Mariani, qui connaît bien la Russie, analysent le conflit du Donbass et ses évolutions possibles. Regards croisés du politique et du militaire sur la stratégie de l'homme qui fait trembler l'Europe : Vladimir Poutine.

Vladimir Poutine reconnaît officiellement les républiques de Lougansk et de Donetsk, dans le Donbass, à l’est de l’Ukraine : quelles sont les conséquences de ce geste ?

Général Vincent Desportes Cette décision était pratiquement inévitable. Le président Poutine était allé trop loin pour revenir en arrière. Impossible pour des raisons de politique intérieure et, d’autre part, il avait déployé deux cent mille hommes sur le terrain. À ce stade, soit vous reculez, soit vous avancez : il n’avait pas d’autre choix. Cela montre que M. Poutine a des ambitions qu’il est prêt à mettre en œuvre, et qu’il est capable de parier. Où veut-il aller ? Le président Poutine travaille comme Staline, avec la méthode « ce qui est à moi est à moi ». Donc, désormais, ces fausses républiques du Donbass sont à lui, tout le reste est négociable. Il a avancé. C’est exactement la même situation qu’en août 1938 lorsque Hitler s’empare des Sudètes. Il dit à Daladier et à Chamberlain : « Ceci est à moi, négocions ! » Vladimir Poutine dit qu’il reste ouvert à une rencontre avec M. Biden. Elle ne servira pas à renégocier ce qui est déjà pris mais à négocier le reste.

Thierry Mariani Cette reconnaissance n’est pas une surprise. Il y a une dizaine de jours, au Parlement russe (la Douma), les députés ont débattu d’une adresse au président Poutine (en France, on appelle cela une résolution). Cette adresse lui demandait de reconnaître l’indépendance de ces deux républiques. La proposition a été votée à l’unanimité moins une voix. La Douma, en Russie, ne fonctionne pas comme l’Assemblée nationale en France. On ne vote pas des résolutions ou des vœux pour se faire plaisir ; en général, il y a une suite. Selon moi, la responsabilité de cette situation échoit surtout au gouvernement ukrainien et à l’Europe. Pourquoi dis-je cela ? Souvenez-vous, en 2014, le gouvernement ukrainien a changé lors d’un coup d’État organisé par les États-Unis et une partie des pays européens. Le Donbass, de tradition russe, s’est soulevé. Puis il y a eu les fameux accords de Minsk, négociés par François Hollande et Angela Merkel avec un certain talent. Ces accords auraient permis une situation pacifiée car ils demandaient que l’Ukraine reconnaisse un statut d’autonomie dans ces territoires, sur les questions linguistiques, culturelles et éducatives. L’Ukraine n’a jamais voté cette reconnaissance et, en réalité, cela entérinait, à terme, la sécession du Donbass. Elle est un peu dans la même situation que la Crimée.

Faut-il craindre une invasion de l’Ukraine, soit par ces deux républiques séparatistes, soit par l’armée russe ?

Général Vincent Desportes L’Ukraine ne peut pas être attaquée par ces deux républiques qui, pour l’instant, ne sont pas des républiques mais des territoires séparatistes. Ces territoires n’ont pas les moyens d’attaquer l’Ukraine. Autant M. Poutine est une menace extrêmement sérieuse pour l’Ukraine, autant ces républiques séparatistes ne disposent pas de l’armée qui permettrait d’envahir l’Ukraine. Le but de guerre après ces deux régions séparatistes est Kiev. Quel serait leur intérêt de vouloir s’emparer de Kiev ? Ils n’en ont pas les moyens et cela n’aurait aucun intérêt pour eux. On peut donc rejeter cette hypothèse. En revanche, qu’ils poussent des escarmouches suffisamment loin de manière à créer un prétexte d’invasion de la part du président Poutine, cela est possible. Mais à ce moment-là, le but de guerre est de créer des incidents qui amèneraient M. Poutine à trouver un bon argument, comme vouloir défendre des gens qui se feraient massacrer par les Ukrainiens.

Thierry Mariani Je ne crois à une invasion de l’Ukraine ni par ces deux républiques séparatistes, ni par l’armée russe. Aujourd’hui, le vrai danger, c’est ce que va faire l’Ukraine. Elle peut se résigner, ou bien le président Zelensky peut ordonner une offensive ukrainienne sur ces deux républiques. Leur embrasement peut être très dangereux. L’ambition de Poutine n’a jamais été de prendre Kiev et l’intégralité de l’Ukraine. Ce serait une véritable guerre de haute intensité avec des centaines, voire des milliers de morts. En Ukraine, le Donbass est pro-russe, mais l’autre partie du territoire est ouvertement anti-russe. Cette reconnaissance des deux républiques est en quelque sorte une annexion déguisée. Ces républiques ne demandent pas à être reconnues dans leur indépendance, mais à être rattachées à la Russie. À plusieurs reprises, je me suis rendu à Donetsk, où j’ai rencontré l’actuel président de la République. Le rêve de ses habitants est d’être rattachés à la Russie, comme la Crimée. Les Russes savent que sortir de ces deux républiques entraînerait une guerre ouverte.

La vraie question est : que va faire l’Ukraine ? Va-t-elle se contenter de quelques tirs sur la zone de contact, des tirs qui existent depuis 2014 ? On l’oublie, mais il y a eu 14.000 morts, dans cette guerre qui est la dernière du continent européen. Ou bien, plus simplement, l’Ukraine bougera-t-elle ? La balle est dans le camp ukrainien. C’est stupide de faire un scénario catastrophe avec les chars russes rentrant dans Kiev. Le gros des troupes n’est pas à proximité de Kiev, mais près de ces républiques.

La diplomatie française s’est-elle illustrée, pendant cette période ?

Général Vincent Desportes Oui, bien sûr. On a vu une diplomatie européenne beaucoup plus que française. Le Président Macron a dialogué pratiquement avec tous les dirigeants de l’Europe et a représenté une Europe unie devant le président Poutine. On peut peut-être lui reprocher d’avoir voyagé seul, il aurait eu plus de force accompagné d’un Allemand, d’un Italien et d’un Hollandais. Il aurait peut-être été plus lourd devant M. Poutine, qui le prend probablement comme un gringalet de 42 ans. La France a été à sa place et a fait ce qu’elle devait faire : essayer jusqu’au dernier moment, et autant qu’elle a pu, de parvenir à des résultats. Quand on joue contre M. Poutine, un menteur invétéré qui se moque complètement du droit international, on ne joue pas avec les mêmes jeux. La diplomatie se joue à jeu à peu près égal. Nous sommes dans un monde où les rapports de force n’ont pas perdu de leur importance. Le monde d’aujourd’hui est comme le monde d’hier : un monde dans lequel on ne doit pas baisser la garde. L’Europe a baissé la garde, elle se retrouve avec un président de l’Europe démuni qui ne peut pas parler à armes égales. Il faut féliciter le Président Macron d’avoir pris son bâton de pèlerin et d’avoir parlé avec quasiment tous les dirigeants européens, puis d’avoir parlé avec M. Poutine. En revanche, on peut reprocher à l’Europe d’avoir cru aux sirènes de la paix éternelle et de s’être désarmée.

Thierry Mariani Cet épisode est à l’image de la diplomatie macronienne des cinq dernières années. C’est la diplomatie du coup d’éclat permanent : on fait de la com’, ce n’est pas du travail de fond. La diplomatie demande de la discrétion, des contacts dont on ne parle pas dans les médias, des entretiens discrets et une vue stratégique. Le contraire de M. Macron. Lorsqu’il a réuni en grande pompe les deux rivaux libyens en expliquant que ça allait être la paix en Libye, trois jours après, les canons recommençaient à tirer. Lors du G7, où il avait fait débarquer le ministre des Affaires étrangères iranien, les médias parlaient de succès… Le ministre est reparti dans son avion et ça n’a rien changé. Souvenez-vous de ses visites au Liban où il nous expliquait qu’il allait changer les choses et qu’on allait voir ce qu’on allait voir, que les oligarques locaux allaient être mis au pas. Malheureusement, le Liban continue à s’enfoncer. On pourrait multiplier les exemples jusqu’au « coup de pied au derrière » qu’on prend au Mali malgré le sacrifice de nos soldats, et dans d’autres pays africains.

Que restera-t-il de la politique étrangère de M. Macron ? Très franchement et en étant honnête, je cherche désespérément un point positif. Même sur la francophonie, on a réussi à faire nommer quelqu’un d’un pays qui est un ennemi de la France : le Rwanda. Il restera des scènes de comédie. Des photos du Président, pas rasé, en train de passer des coups de fil au président Poutine pour montrer qu’il fait des efforts. Il raconte qu’il a obtenu des choses, démenties quelques heures après par les Russes. C’est une tragédie pour la France car le bilan est catastrophique. La France a reculé pendant ce mandat.

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

Vos commentaires

33 commentaires

  1. A l’Onu Poutine aura des voix africaines pour lui. La France n’a pas tout prévu avec son modèle « universel » reconnu que par nous et inexportable

  2. Quand on pense que l’amateur-Président français actuel se croyait de niveau à négocier avec Poutine…
    La réalité le rappelle à la raison.

  3. Maintenant que le coup est parti l’Ukraine va sans doute être démilitarisée, mais la Russie va sans doute tenter de faire rentrer dans son giron la Transnistrie pro-russe entre l’Ukraine et la Moldavie. Que voulez vous Poutine est un bon chef d’état et d’échecs, nous l’avons humilié (enfin la Russie) alors il faut passer à la caisse. La Russie a besoin d’un accès sûr à la Méditerranée, elle l’aura. Pour cela il lui faut composer malgré lui avec Erdogan qui tient le Bosphore

  4. Pas d’accord avec la vision ^purement militaire et qui ne tient pas compte de la réalité des peuples. M. Mariani a raison et pour éviter un conflit de type Yougoslave il faut des élections et une auto-détermination. Et pas d’ingérence ni de l’Europe et encore moins des Américains qui n’ont rien à faire là ! Qu’ils arrêtent de jouer avec l’Europe, ils trahissent ensuite, comme en Corée, Vietnam, Irak, Afghanistan etc.

  5. Poutine un menteur invétéré? Peut-être mais dans l’intérêt du peuple russe. Ici nous en avons également un de menteur invétéré mais lui joue contre les Français.

  6. Je trouve scandaleux comme, depuis quelques mois, nous subissons des infos fausses ou incomplètes sur ce dossier russe ! L’on sait que pour Poutine l’intérêt premier est la défense de son pays et de sa culture. C’est un fin stratège qui n’agit pas pour faire parler de lui mais qui agit pour son pays. Nos dirigeants d’opérette devraient en prendre de la graine ! Macron n’a, une fois de plus, pas manqué l’occasion de se ridiculiser et, plus grave, de ridiculiser la France !

  7. En traitant Poutine comme un mécréant sans foi ni loi nous avons oublié qu’il est le chef d’une des cellules souches de l’Europe la Russie humiliée. Il ne voulait pas de l’Otan à ses portes pourquoi n’avons nous pas respecté cela? L’Ukraine est comme l’Afghanistan un pays artificiellement créé. Elle ne pouvait être que fédérale. Le cacochyme américain et le gringalet français n’ont rien compris. Maintenant la France va perdre tous ses investissements en Russie. Beau travail de Macron. Quel..!

  8. Comme quoi on peut être Général de Division et député européen spécialiste de la Russie, et se planter lamentablement.

  9. Ce militaire est à la solde du gouvernement macronien. Il est faux de dire que les Russes se moquent des lois internationales. Ils ne cessent de demander aux américains de respecter ces lois, ce qu’il n’ont jamais fait ! Ils ne cessent de demander l’application des accords de Minsk que les Ukrainiens n’ont jamais respectés. Alors ils ont pris les décisions qui leur ont paru nécessaires. Les occidentaux ne peuvent que s’en prendre à eux-mêmes.

  10. Vous voulez la paix, vous aurez la guerre.
    En Russie Macron a été ridiculisé par Poutine évidemment la presse française n’ en parle pas. Tous les affronts lui ont été réservé. Dés l’ accueil le minus aurait du réembarqué.
    Personne ne peut dire ce que Poutine va faire car c’ est aujourd’ hui qu’ il fallait que l’ OTAN intervienne en faisant survoler l’ Ukraine par son aviation
    L’ UE , Bruxelles n’ est qu’ un grand marché commun sans assise réelle

  11. En tout cas, ces événements vont bien servir à certains chefs d’état pour masquer leurs turpitudes et leur incurie manifeste. Ainsi que leur politique antisociale, l’inflation généralisée. »On n’y peut rien, c’est la guerre, ma bonne dame. Allez vous plaindre auprès de Poutine. »

  12. Comme d’habitude le général Desportes nous assène le discours du grand frère étatsunien lequel est à l’origine du problème puisque les États-Unis avaient promis à Gorbatchev que les pays de l’ex bloc soviétique ne deviendraient pas membres de l’OTAN comme l’a rappelé Roland Dumas récemment. Les Étatsuniens n’ont pas de parole et ils ne peuvent donc pas être des alliés fiables. Pour résoudre le problème actuel, il faut que l’OTAN renonce à intégrer l’Ukraine.

    • Rappelons que Biden a même répondu à Poutine que l’engagement des Etats Unis n’étaient qu’une promesse… Donc pas un engagement ! Les US ont tendance à lâcher tout le monde en rase campagne… Et à torpiller leurs amis avec ses lois d’extraterritorialité iniques !

  13. « La Douma, en Russie, ne fonctionne pas comme l’Assemblée nationale en France. On ne vote pas des résolutions ou des vœux pour se faire plaisir ; en général, il y a une suite. Selon moi, la responsabilité de cette situation échoit surtout au gouvernement ukrainien et à l’Europe. » voilà un bon récapitulatif !

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