Prix d’acoustique sous-marine : la Marine nationale abandonne deux anglicismes

Derrière les noms des prix plane l'ombre de la guerre froide.
© Linda Heyworth / Pexels
© Linda Heyworth / Pexels

Alors que la langue française n’est que trop sujette à l’anglomanie de mauvais aloi et est victime d’une « créolisation » intense sous la pression du langage rudimentaire des banlieues, une petite victoire : la Marine nationale vient de supprimer deux anglicismes.

Au temps de la guerre froide

Chaque année, la Marine remet deux prix qui couronnent le renseignement d'origine acoustique (ROAC). Le prix « Uncle Joe » récompense « l’unité et/ou l’équipage dont les résultats opérationnels en matière de guerre acoustique passive sont les meilleurs ». Les lauréats 2024 sont des équipages du sous-marin nucléaire Suffren et de deux frégates, Auvergne et La Fayette. D’où vient cet « Uncle Joe », qui était aussi un des surnoms peu flatteurs de Joe Biden ? Mystère. Durant la guerre froide, entre pays de l’OTAN et pays du pacte de Varsovie, existait une « procédure Uncle Joe » pour avertir les sous-marins qui s’aventuraient en eaux interdites, à base de charges explosives qui produisaient des signaux sonores.

À partir de la prochaine édition, le prix Uncle Joe s’appellera « Églefin ». Il ne fait qu’indirectement référence au poisson qu’on connaît aussi sous le nom de haddock. C’est encore à la guerre froide qu’il nous renvoie. Dans les années 70 et 80, « les fameuses missions "Églefin" de la marine française voyaient ainsi régulièrement une frégate avec ses hélicoptères se rendre au-delà du cercle arctique pour capter les signatures des sous-marins soviétiques ».

Le destin d’Ursula Pacaud-Meindl

Le prix « Acoustic Training », lui, a été remis à des équipages des sous-marins nucléaires Tourville et Le Triomphant et des frégates Languedoc et Forbin. Il récompense « l’unité et/ou l’équipage qui développe les efforts les plus significatifs en matière de formation et d’entretien des qualifications en guerre acoustique ». Il s’appellera désormais « Ursula ». Francophone, « Ursula » ? Pas vraiment. Et pour cause : il rend hommage à Ursula Pacaud-Meindl, fille d’un général allemand de la Luftwaffe. Son destin n’est pas banal. Pendant la guerre, elle travaille dans les services techniques de l'armée allemande. Elle est recrutée, après guerre, par la France où elle intègre la Direction des constructions et armes navales. Douée, elle devient responsable du service « Bruit rayonné » au laboratoire de détection sous-marine du Brusc (DSMB), de 1956 à 1984.

La dame avait du caractère. « Je n’oublierai jamais la largesse d’esprit des Français et leur accueil. Et être une femme dans ce milieu ne m’a jamais posé problème non plus. Ce qui était important, c’était que je travaille correctement. Et puis, j’étais très directe dans mon travail et finalement un peu intraitable. » Responsable de 1.140 mesures de bruits rayonnés, dont 734 sur sous-marins — en pleine guerre froide, rappelons-le, où ces écoutes avaient une importance cruciale —, Ursula Pacaud-Meindl est considérée, dans la Marine, comme « la mère de nos oreilles d’or », ces gens formés à détecter et interpréter les sons des bâtiments, comme dans le film Le Chant du Loup (2019). « Les sous-mariniers me voyaient comme l’un des leurs », témoigne-t-elle encore. Ce prix qui porte désormais son nom est une petite victoire sur l'anglicisme… et un bel hommage rendue à cette femme exceptionnelle.

Picture of Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

3 commentaires

  1. Elle n’a pas un deuxième prénom? Je suis un peu allergique à « Ursula », cela me rappelle de mauvais souvenirs encore, hélas!, d’actualité. Mais bon, à cheval donné, on ne regarde pas la bride. Alors je fais l’effort de m’en contenter…si c’est pour renoncer à deux anglicismes.

Laisser un commentaire

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

La France est championne… des demandes d’asile
Gabrielle Cluzel sur CNews
Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois