Projet de loi fin de vie : « Il s’agit de légaliser une forme d’assassinat »

Pr Ducrocq

Le projet de loi « fin de vie » voulu par Emmanuel Macron avance et devrait être présenté aux parlementaires en cette rentrée 2023. Fruit d’une coécriture complexe entre professionnels de santé et politiques, le texte exclurait les mots « suicide assisté » et « euthanasie », remplacés par l’expression « aide active à mourir » réservée aux majeurs. La France s’oriente-t-elle inéluctablement vers la légalisation du « permis de tuer » ?

Éclairage avec le Pr Xavier Ducrocq, chef du service de Neurologie du CHR de Metz-Thionville, neurologue et enseignant à la master class pour la fondation Jérôme-Lejeune

Sabine de Villeroché. Qu’est-ce que « l’aide active à mourir » et quelle différence avec les pratiques d’euthanasie ou le suicide assisté ? Est-ce, selon vous, le signe que le gouvernement renonce à légaliser l’euthanasie ?

Pr Xavier Ducrocq. Entre « aide active à mourir », « mort choisie » ou « euthanasie-suicide assisté », il existe la même différence qu’entre « pareil » et « même » ! Il s’agit exactement de la même réalité - le recours à la novlangue ne dupe personne -, une réalité violente. Qui consiste à provoquer délibérément la mort, ce qui, actuellement, relève de l’« assassinat », en quelque sorte un assassinat médicalisé. Ou de fournir à une personne les moyens de se suicider, sous couvert d’un motif médical. Motif qui peut aller, comme en Belgique ou ailleurs, jusqu’à la simple volonté de ne plus vouloir vivre, sans même être menacé d’une maladie. Cette loi - qualifiée du doux euphémisme de « loi de liberté » par ses artisans et promoteurs - obligera, en cas de légalisation, tout médecin à proposer l’euthanasie parmi les ressources thérapeutiques, à valider les critères de conformité à la loi, à la prescrire, à l’administrer, à tout le moins à orienter son patient vers un confrère complaisant. Qui obligera le pharmacien à délivrer le kit mortel et la Sécurité sociale à rembourser. Le gouvernement ne renonce à rien. Au contraire, il s’obstine, s’acharne à faire aboutir ce projet. Et le soi-disant « encadrement » contenu dans le projet de loi ne satisfait pas les promoteurs de la loi et ne correspond ni au modèle belge ni au modèle de l’Oregon. Ce cadre explosera très rapidement. Il est d’une hypocrisie sans nom.

D’autant que la loi génère encore une autre obligation, plus subtile, pour le patient cette fois. C’est le témoignage d’une personne âgée belge, rencontrée pour tout autre chose, qui m’a éclairé à ce sujet. « Vous savez, l’euthanasie, je suis contre. Mais j’ai des voisins qui l’ont fait, et la loi l’autorise. Alors, quand ma fille n’en pourra plus de m’aider, puisque je ne sers plus à grand-chose, il faudra bien que je le fasse. » La loi va créer une pression sociétale et financière, et faire sauter les dernières digues de l’attachement naturel à la vie. Mais quelle violence ! Et quelle menace pour les plus vulnérables, incapables de se défendre. Car il faudra bien que quelqu’un décide pour eux, un jour ou l’autre. Une « loi de liberté » qui, in fine, génère tout de même beaucoup d’obligations !

S. d. V. L’Ordre des médecins et quinze organisations de professionnels de santé se disent en désaccord sur ce projet. Pourquoi ?

X. D. Vous pourriez ajouter à cette liste les réserves des anciens ministre de la Santé, le docteur François Braun, et des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, Jean-Christophe Combes, tous deux évincés récemment du gouvernement.

Il faut mesurer combien cette loi transgresse la loi actuelle et les fondements millénaires de la médecine. Car il s’agit bien, avec l’euthanasie, de légaliser une forme d’assassinat que l’on confie à un médecin et, pour le suicide assisté, d’aide au suicide. Deux actes que la loi punit sévèrement. Quand Hippocrate, en 460 avant Jésus-Christ, rédige son corpus hippocratique, il le fait justement pour préserver l’art médical naissant des pratiques usuelles dans une société élitiste et eugéniste. Notamment l’interdit de tuer. Cet interdit de tuer – « je ne provoquerai jamais délibérément la mort », dit le Code de déontologie médicale, repris dans le serment médical prêté par tout médecin pour être autorisé à exercer – a obligé médecins et soignants à progresser dans la maîtrise de la douleur et de l’accompagnement des personnes malades et handicapées. Cet interdit a humanisé l’homme. La médecine est avant tout l’exercice d’une relation entre deux êtres vulnérables et égaux. Le psychiatre et philosophe Karl Jaspers dit du médecin qu’il « n’est ni un technicien, ni un sauveur. Il est un être humain pour un autre être humain. » Cette relation, fondée aussi sur la confiance réciproque, est ce qui fait la grandeur des professions de santé, ce qui en fait une vocation. Il n’est pas étonnant que les professionnels du soin ne veuillent pas perdre ces précieux et nobles acquis.

S. d. V. Dans le texte qui devrait être soumis à débats législatifs, il n’est pas seulement question de « permis de tuer » : deux volets sont consacrés au développement des soins palliatifs et à l’accompagnement des familles. Qu’en pensez-vous ?

X. D. Ces deux arbres ne sauraient cacher la forêt du cœur du projet de loi : autoriser ce que la loi ne permet pas encore. Depuis 1999, la loi consacre les soins palliatifs, qui n’avaient heureusement pas attendu après elle. Or, il suffit de voir comment les structures peinent à se mettre en place, le manque criant d’équipes – et la difficulté que certaines ont à se maintenir -, le désert palliatif qui touche plus de vingt départements, les difficultés pour les patients qui en relèvent à y accéder – que ce soit à l’hôpital ou à domicile -, le manque de diffusion d’une véritable culture palliative dans les services. Prétendre qu’il y aurait autre chose à promouvoir devrait reposer sur la base de soins palliatifs et d’un accompagnement optimisés. On en est très loin. Et il suffit de voir comment le chef de l’État et le gouvernement n’arrivent pas à entendre l’opposition pugnace de la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs) à ce projet de loi. Les soins palliatifs français ne voient pas d’accord possible entre soins palliatifs et euthanasie. C’est à l’opposé de leur doctrine, de leur cœur de métier. Tout est dit !

S. d. V. Vous intervenez lors d'une formation « Science et Éthique » sous l’égide de la fondation Jérôme-Lejeune, ouverte annuellement aux professionnels de santé et à d'autres, la master class. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

X. D. L’exercice de la médecine (des professions de santé) repose sur le socle de solides connaissances et compétences scientifiques et techniques, c’est un fait. Mais appliquer ces compétences à une personne malade repose sur l’exercice d’une relation qui touche toutes les dimensions de la personne humaine, pas seulement un corps matériel. Face à l’extension de la technique, Bergson [le philosophe, NDLR] en appelait à un « supplément d’âme ». L’éthique offre justement la possibilité de prendre du recul, d’aller en profondeur de l’agir médical. Le progrès suscite des questions nouvelles qu’il faut absolument se poser. Ainsi en est-il des greffes d’organes, de la procréation médicale assistée, de l’approche de la mort, de la génétique, de l’irruption de l’intelligence artificielle. Ou même, plus simplement : qu’est-ce que l’acharnement thérapeutique ? Quels soins aux personnes en état de conscience altérée ?

J’ai personnellement beaucoup appris en associant des philosophes à mes activités. Justement, lors d’un cours inaugural d’éthique auprès de jeunes étudiants en médecine, avec une philosophe, où nous avions posé le cadre général, je me souviens de cet étudiant venu me confier discrètement, à la fin du cours : « Je croyais qu’on n’avait pas le droit de se poser ces questions. » Eh bien, si, justement, ces questions, il faut se les poser et y travailler. C’est l’objet de cette master class où les étudiants peuvent bénéficier de l’expérience des enseignants.

NDLR : Comme chaque année, le Centre Bioéthique de la fondation Jérôme-Lejeune propose une master class Science et Éthique, des fondements à la pratique, d’octobre 2023 à mai 2024. Cette master class est une formation d’expertise spécialement dédiée aux étudiants, jeunes professionnels de santé et chercheurs. Quelques places sont aussi réservées aux juristes et philosophes ayant une expérience dans le domaine de la bioéthique. Elle traite des évolutions technologiques et sociétales qui bouleversent la pratique des professionnels de santé : sujet actuel de la fin de vie, PMA, CIRSPER-Cas9, transhumanisme, etc. Cette formation donne des repères pour aider à exercer une médecine hippocratique responsable.

Informations pratiques ici

 

Sabine de Villeroché
Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

Vos commentaires

23 commentaires

  1. Le sénior, du fait de ses capacités amoindries, physiques, psychologiques et mentales est un très gros poids pour les familles. Le plus souvent -façon Tati Danielle- ils n’en n’ont pas conscience et les familles n’ont qu’insultes et menaces. Tous les aidants qui donnent tant et reçoivent peu sont souvent révoltés, épuisés, ressources financières prélevées par l’état, procès à répétition pour n’importe quelle plainte du senior qui connait le jeu ou des voisins motivés par la noble tache ‘ »aider », accueillis avec sérieux par le juge… Vie personnelle disparue, familles déstructurées, enfants et petits enfants, conjoint parfois, qui tournent le dos…. tout cela au nom de l’aide due aux séniors, aux parents. Tous ont rêvé de la disparition du parent. La pression risque d’être forte vers une fin de vie…qu’importe son nom…quand l’interdiction absolue s’arrete.

  2. Avortement légal au début, euthanasie à la fin.. celui qui en réchappe a la baraka ( terme approprié s’il en est )

  3. « Vous savez, l’euthanasie, je suis contre. Mais j’ai des voisins qui l’ont fait, et la loi l’autorise. Alors, quand ma fille n’en pourra plus de m’aider, puisque je ne sers plus à grand-chose, il faudra bien que je le fasse. »
    C’est hélas le cas (étude statistique faite) dans 80% des cas de demandes d’euthanasie, ce depuis plus de 20 ans!
    Les gens demandent à être tués pour faire plaisir à leur famille (ce qu’ils répondent).

  4. Comme pour l’avortement que l’on veut inscrire dans la constitution et autoriser pratiquement jusqu’à la veille de l’accouchement « dans certains cas », on veut maintenant autoriser l’euthanasie, au pays où l’on a paraît-il supprimé la peine de mort. En fait, il semblerait qu’on va de plus en plus autoriser l’assassinat d’innocent pour qu’il semblerait que cette euthanasie ne sera pas proposée aux criminels barbares qui paraît-il ne seraient pas capables de décider de ce choix : et si l’on posait la question aux victimes et aux familles de victimes ?

  5. Plutôt que la piqûre qui prendra du temps …que les tueurs rallument des fours pour aller plus vite …et plus de gens …et plus de vieux .

  6. Mais bien sûr,c’est de l’assassinat. Les gens travailleront jusqu’à 65 ou plus, puis trois ou quatre ans après, comme cela arrive fréquemment la personne aura une pathologie, certes normale, mais invalidante au fil des années. Or un concert de spécialistes déclareront et intimeront au patient que sa vie désormais sera un enfer, et qu’il ferait mieux de la quitter. Il y aura des résistants, d’autres suivront ces conseils et s’envoleront vers des cieux meilleurs. Cela s’appelle de l’assassinats. Et pourquoi cet objectif? Pour faire vivre confortablement nos Zélites et la racaille qui déjà nous coûtent chère. Voilà une forme déguisée de Nazisme. Avant c’était les Juifs, maintenant ce sera les classes moyennes qui auront contribué à la vie économique de notre Nation, et pour toute reconnaissance, une piqûre létale. C’est bien, c’est généreux.

  7. N’importe quel voyou peut tuer. Tout médecin qui se prêtera à une telle horreur perdra tout droit à la confiance de ses patients. « J’peux pas vous prendre cet après-midi, j’ai euthanasie. Pouah!

  8. Légaliser le suicide et l’assassinat, et la GPA qui permet de louer son utérus alors que vendre son corps ( prostitution) est illégal … a quand la vente de son sang, sperme, ovaire ou organes légaux????

    • Il suffit d’être aimé.
      Mais je crois que certaines personnes oublient ce qu’est l’amour : aimer quelqu’un pour ce qu’il est : un être humain, un être vivant jusqu’à la dernière minute de vie.

      • Vous avez dit : « il suffit » d’être (ou d’aimer : pas la même chose, d’une part . D’autre part le « il suffit »: vaste programme ! Comme on achète une boite de sardines chez l’épicier (oups ! le supermarché), comme si cette notion était abondamment partagée..

  9. L’aspect positif de cette loi est qu’elle ne nécessite guère de formation : Pour être soignant il faut presque 10 ans d’études pour un médecin, 5 pour un infirmier. Pour apprendre à tuer, il faut quelques minutes.
    De ce fait, on pourra réinsérer dans la société les Guy Georges et consort et recréer le métier de bourreau.
    Plus sérieusement, il faudrait que les médecins prescrivant cet actes soient connus afin que les patients qui désapprouvent puissent les éviter. Car, n’oublions pas que la confiance entre un médecin et un patient est essentielle. Comment accorder sa confiance à un tueur?

  10. L’occident et la culture de la mort : après l’incitation des ukrainiens à aller se faire tuer pour les intérêts occidentaux, après l’interdiction de soigner ordonnée aux médecins lors du covid, après l’assassinat des embryons (nom donné à l’être humain lors de la première période de son développement) via l’avortement et dans certains cas des foetus, pourquoi ne pas assassiner maintenant les vieux, les dépressifs, les malades…tout le monde en fait ? Les populations occidentales sont arrivées au point où la vie ne représente plus un défi mais une corvée. En occident on abandonne la vie, la liberté, l’indépendance avec l’assentiment des populations au nom d’une idéologie mortifère qu’on leur a vendu comme étant un progrès.

  11. Horrible retour en arrière ou des milliers de gens furent interner par des fammilles sous divers prétextes afin de s’en débarrasser ou toucher un héritage . La France pays des droits de « CERTAINS hommes  » , tous n’ont pas les mêmes droits .

  12. Merci à ce professeur de médecine.
    Voilà pourquoi on nous agite le chiffon rouge de l’habaya, même méthode que les détrouseurs, détourner l’attention de la victime.
    En attendant, je seais curieux d’entendre le discours des médecins-stars de plateaux télé, bien soumis et grand pourfendeurs d’antivax qui ne méritaient plus d’être soignés, voire de vivre.

    • Ah oui : des assassins , pas de face, mais masqués sous des dehors de « c’est pour votre bien » : Pires encore ! La franchise et l’honnêteté, chez un médecin, c’est rare et précieux . Je préfère un médecin qui aide et écoute à un médecin qui se défausse..

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