Proposition LIOT : comment l’exécutif a étouffé l’Assemblée !

Yael Braun Pivet

Finalement, la proposition de loi du groupe LIOT ne sera sans doute pas débattue à l’Assemblée nationale. En effet, sa présidente, Yaël Braun-Pivet, a déclaré, ce mercredi matin, au micro d’Apolline de Malherbe, qu’elle allait, au nom de l'article 40 de la Constitution, juger irrecevables les amendements déposés après le passage en commission. La présidente fait ainsi fi de l’avertissement du député Charles de Courson qui, en vieux briscard de l’Assemblée, avait déclaré que son groupe allait « déposer d’autres amendements dont nous espérons qu’eux seront recevables pour obliger au vote ».

Un point de règlement

Faisons un bref retour en arrière. Mercredi 30 mai, la commission des affaires sociales a supprimé l’article 1 de la proposition de loi du député Charles de Courson (LIOT) ramenant, notamment, l'âge de la retraite à 62 ans. Cette loi censée abroger la réforme des retraites adoptée dans le sang et les larmes à l’aide du 49.3 (et du groupe LR) avait donc été vidée de sa substance. Sauf que des amendements de réintégration de l’article 1 avaient été déposés par les différents groupes, forçant ainsi l’Assemblée à se reprononcer de facto sur le recul de l'âge de départ à la retraite.

Sauf que la présidente de l’Assemblée, garante de la séparation des pouvoirs, a déclaré chez Apolline de Malherbe que ces fameux amendements « ser[aient] déclarés irrecevables par moi-même dans la journée ». La présidente de l’Assemblée nationale a invoqué l’article 40 de notre Constitution qui précise que les propositions et amendements des parlementaires sont irrecevables s’ils ont un impact négatif sur les finances publiques. « Donc, on a des articles recevables en commission mais irrecevables dans l’Hémicycle ? » fait mine de s’étonner le député RN du Gard Pierre Meurin, qui s’interroge : « Soit notre présidente est incompétente, soit elle porte atteinte arbitrairement au droit du Parlement ; cela pose clairement la question de l’indépendance de Yaël Braun-Pivet vis-à-vis de l’exécutif », cingle le député gardois. Car à l’Assemblée, et quel que soit le groupe, tout le monde s’accorde à penser que cette décision est tombée de bien plus haut que le perchoir.

Le « Château » derrière le « perchoir » ?

« L’exécutif d’Emmanuel Macron empêche les députés de s’exprimer sur la réforme des retraites en faisant pression sur la présidente de l’Assemblée nationale. » Le vice-président de l’Assemblée Sébastien Chenu est clair : derrière cette décision de la présidente se cache une pression claire ou, plus simplement, la volonté du locataire de l’Élysée. Signe d’un exécutif qui est prêt à tout pour prévenir tout risque de revenir sur une réforme actée et promulguée et dont les secousses sociales sont encore violentes. Du coté du Sénat, le patron de la gauche du palais du Luxembourg Patrick Kanner est encore plus clair : « Yaël Braun-Pivet a sûrement été recadrée par le Président en personne. »

De la recevabilité de l’article 40 ?

Est-ce légal ? Oui. « Ce texte viole l’article 40 de la Constitution car il crée une charge supplémentaire », affirme le député Renaissance Benjamin Haddad. « On ne va pas se mentir », souffle un vieux briscard du palais Bourbon, « c’est un coup de force absolument légal mais dangereux politiquement », juge-t-il, en concluant : « Un coup de force, on le fait avec une majorité absolue, pas avec une majorité relative… » De la légalité illégitime, en quelque sorte.

Elle a beau assurer qu’elle ne faisait qu’appliquer la loi, ajoutant en avoir assez « des pompiers pyromanes qui expliquent que nous serions en déni de démocratie », ce coup de force place Braun-Pivet dans une situation délicate à court et à long terme. À court terme car elle va affronter une énième fronde des députés de toutes les oppositions. À long terme car elle s’était positionnée comme une garante de la liberté de l’Assemblée face à un exécutif avec lequel elle avait su prendre de la distance. Coup dur pour celle qui se verrait, d’après certains murmures, comme la patronne de l’aile gauche macroniste. En tout cas, elle aura fait l’unanimité contre elle et cristallisé « les extrêmes », pour reprendre la rhétorique préférée du centre. « J’aimerais savoir si c’est Macron ou Braun-Pivet qui préside notre Assemblée », s’interroge sobrement Pierre Meurin. Du côté d’Olivier Faure, le patron des socialistes à l'Assemblée, on dit la même chose mais en des termes plus crus : « Je ne vais pas continuer à faire le guignol avec des gens qui me prennent pour un con. » Voilà qui devrait promettre une ambiance enflammée ce jeudi.

 

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

Vos commentaires

20 commentaires

  1. Il est probable que l’opposition va se trouver contrainte de déposer une ‘motion de censure’ à l’encontre de ce Gouvernement qui bafoue les droits des parlementaires.
    L’heure de vérité : qui signera (ou s’associera à ) cette motion de censure ….l’horizon s’ éclairera d’autant.

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