« Putain, ils sont là ! » : pour parler aux jeunes, faire le choix d’être vulgaire plutôt qu’exemplaire

Macron

Ce que j’aimais bien - mais oui - chez Emmanuel Macron, au début de son mandat, c’était son vocabulaire suranné de Comtesse de Ségur, son champ lexical de schtroumf à lunettes : chicaya, galimatias et Perlimpinpin je vous fiche mon billet et le truchement ou encore croquignolesque. Cela sentait son bon élève poli et bien peigné rendant des rédactions dorées sur tranche. Bref, une espèce plus rare aujourd’hui que le rhinocéros blanc du Nord, la tortue de Cantor, le marsouin du Pacifique, le gibbon de Hainan.

« Croquignolesque, truchement, galimatias et autres expressions désuètes d’Emmanuel Macron : ça veut dire quoi ? » titrait le site Femme actuelle, le 16 octobre 2017, considérant que ses lectrices avaient sans doute besoin d’un explication de texte. Elles pourraient ensuite, pouvait-on y lire, « crâner dans les dîners ». L’article commençait, flagorneur : « On peut reprocher beaucoup de choses à notre Président, mais pas son usage de la langue française » : « Les politiques emploient tous la langue de bois. Emmanuel Macron, lui, manie en plus la langue de Molière autrement que ses prédécesseurs » et il a « prouvé qu'il reste avant tout un amoureux de la langue française, à laquelle l'a initié la professeure de Français qu'il a épousée, Brigitte Macron, ex-Trogneux ». Pour le célèbre magazine féminin, il « [émaillait] son discours de mots rares qui, assemblés tous ensemble, [constituaient] ce que l'on [appelait] désormais le Style Macron ».

Le style Macron, tu parles !

Comme un enfant précoce que l’on a convaincu de faire un travail sur lui-même pour parler comme ses pairs et s’abaisser, histoire de se faire admettre, le « style Macron » châtié s’est volatilisé. Il y avait déjà eu le très polémique, « foutre le bordel », lors d'une visite en Corrèze marquée par des manifestations des salariés de GM&S. Cela, encore, pouvait-être mis sur le compte de la colère.

Mais il n'avait donc aucune autre interjection pour exprimer sa joie et sa surprise - que l’on imagine tellement sincères… - en découvrant la présence radieuse du groupe de métal Ultra Vomit derrière un bosquet des jardins de l’Élysée qu’un « putain » ? Pour s'adresser aux jeunes Français, il a donc jugé qu'il était préférable d'être vulgaire qu'exemplaire ? Qu'il lui fallait parfaire jusqu'à la caricature une image d’adulescent quadragénaire auquel il ne manquait plus que quelques boutons d’acné et des bagues sur les dents pour réussir à leur plaire ?

C’est qu’il veut « casser les codes », ma chérie. C’est écrit partout, dans tous les journaux. Comme si cette expression ridicule n’était pas éculée, usée jusqu’à la nausée. Comme si tous les codes - traductions extérieures de dispositions intérieures, signifiants matériels confortant des signifiés immatériels ou, comme l’écrit le Larousse, « ensemble de règles qui font loi en matière sociale », bref, mœurs et savoir-vivre commun qui font que l’on ne va pas en tongs à l’enterrement de son grand-père et que l’on ne dit pas « putain » quand on est président de la République, ou alors seulement, à la rigueur, quand on est seul, en caleçon dans la salle de bains, et que l’on vient de se coincer le doigt dans le placard - n’avaient pas été déjà broyés, brisés, pulvérisés ? Comme si, au contraire, la transgression, mais surtout le début de solution à nos insondables problèmes, n’étaient pas, aujourd'hui, de retrouver les morceaux de ces codes, de les recoller, patiemment, un à un, avec humilité et respect, de retrouver tout leur lustre et de les faire aimer ?

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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