Quand Jean-Marie Le Pen était condamné à l’inéligibilité : le séisme de 1998

JM Le Pen et Jany
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La potentielle condamnation de Marine Le Pen à l'infâmante peine d'inéligibilité ne serait pas une première dans l'histoire du parti. En 1998, la condamnation de son père à la même peine a marqué durablement le Front National, provoquant le séisme de la scission mégrétiste, le départ de bon nombre de cadres et l'hémorragie de militants.

Histoire d'une condamnation

Tout commence sur les trottoirs de Mantes-la-Jolie dans les Yvelines le 30 mai 1997. Jacques Chirac vient de dissoudre l'Assemblée et la campagne des législatives bat son plein. Jean-Marie Le Pen est venu prêter main forte à sa fille Marie-Caroline qui vient de se qualifier pour le second tour, en tête, face à Pierre Bédier (RPR) et à la maire de la ville, Annette Peulvast-Bergeal (liste PS). Mais la distribution de tracts électoraux et les visites aux commerçants ne se passe pas comme prévu. Le président du Front national est cueilli dès son arrivée dans la ville par un groupe de militants venus manifester leur hostilité. Ils l'empêchent de rejoindre l'équipe de sa fille : « Des dizaines de contre-manifestants ayant à leur tête des élus communistes et socialistes de la circonscription », écrira le menhir dans son communiqué. Affrontements verbaux, légères bousculades, la matinée est agitée. Ulcéré par ce qu'il qualifiera de « menaces, agressions, insultes » et victime de « jets de pierres et d'œufs », Jean-Marie Le Pen s'échauffe et saisit l'écharpe d'élue d'Annette Peulvast-Bergeal, en lui hurlant : « On en a marre de vous, on en a marre ! ». Un geste capté par les caméras des journalistes présents, et qui tournera très vite en boucle sur toutes les chaînes.

Annette Peulvast-Bergeal porte plainte. Un an après, le tribunal correctionnel de Versailles condamne Jean-Marie Le Pen à trois mois de prison avec sursis et une amende, peines assorties de deux ans d'inéligibilité pour « violences sur personne dépositaire de l'ordre public ». La décision est confirmée à l'automne 1998 par la Cour d'appel qui réduit l'inéligibilité à une année.

Jany Le Pen pressentie pour remplacer son mari

Le président du Front national ne manque pas de rappeler que les plaintes déposées par ses propres militants, victimes eux aussi des violences des contre-manifestants de Mantes-la-Jolie, n'ont, de leur côté jamais abouti... Il dénonce « un guet-apens judiciaire » et prend les devants. Avant même que ne tombe la décision de la Cour d'appel, à l'été 1998, il évoque la candidature de sa femme Jany pour prendre sa place en tête de liste pour les élections européennes de 1999. Une stratégie du "au cas où". « Cela a surpris et choqué dans l'appareil », témoigne aujourd'hui Jean-Yves Le Gallou, ancien député européen et cadre du mouvement à l'époque contacté par BV. « L'annonce de la candidature de Jany inquiétait. Tout le monde l'appréciait, mais peu la voyaient dans une arène électorale ». Ce souhait sème le trouble, exacerbe les tensions préexistantes au sein du mouvement, cristallise les oppositions, et alimente la crise qui couvait depuis des mois, jusqu'à la tentative avortée de prise de pouvoir du mouvement par Bruno Mégret en décembre 1998. La fin d'une époque pour le Front National qui ouvre un nouveau chapitre de son histoire.

« L'inéligibilité pose le problème de qui remplace l'inéligible… »

Le choix reste assez peu compréhensible de la part de Jean-Marie Le Pen que rien ne pressait. Du fait de l'effet suspensif de son pourvoi formé contre la décision de la Cour d'appel, la sentence n'est pas immédiatement applicable et l'inéligibilité n'est pas exécutoire. Aux européennes de 1999, il peut donc se représenter et se fait réélire. Ce n'est qu'en 2003 que les effets de la dernière décision de justice se feront sentir. Le président du Front National perd alors son mandat pendant un an, et c'est Marie-France Stirbois qui assurera l'interim au Parlement européen avant de lui rendre sa place.

« Mais ce qu'il faut retenir de cette histoire, remarque judicieusement Jean-Yves Le Gallou qui avait pris part à la fronde mégrétiste, c'est que l'inéligibilité crée manifestement un trouble, car cela pose le problème de qui remplace l'inéligible. Une question qui ne manquera pas de se poser si Marine Le Pen est à son tour déclarée inéligible, Jordan Bardella étant dans les starting-blocks .»

« La dictature médiatico-judiciaire se met en place »

Sur le fond, « cette peine d'inéligibilité était, comme dans l'affaire des assistants parlementaires de Marine Le Pen, tout comme dans l'affaire Fillon, monstrueuse par rapport aux faits » juge l'ancien député européen pour qui « c'est la dictature médiatico-judiciaire qui se met en place : les médias montent l'affaire, les juges poursuivent et les médias en font des tonnes sur les poursuites ». Sans surprise, « dans l'affaire de Marine, même au stade des réquisitions, les médias défendent à fond la condamnation », remarque Jean-Yves Le Gallou qui ne se fait guère d'illusions : « Quand il s'agit d'affaires politiques, les juges sont assez féroces, ils sont dans la logique du "mur des cons" et espèrent accrocher le trophée Marine Le Pen ». Il s'étonne de ce qu'à l'ouverture du procès, Marine Le Pen déclarait faire confiance à la justice de son pays : « Elle a eu tort : pour ma part, je ne crois pas qu'on puisse faire confiance à la justice française », tranche-t-il.

 

Sabine de Villeroché
Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

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