Quand Jean-Paul II appelait à une réconciliation politique et spirituelle de l’Europe

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Ce dimanche 10 juillet 1988, en la basilique Saint-Pierre de Rome, l’habituel rite latin s’était exceptionnellement effacé devant la divine liturgie de rite byzantino-ukrainien célébrée par le pape Jean-Paul II en mémoire de l’anniversaire du baptême des Slaves orientaux. « Il y a mille ans, sur les rives du Dniepr, à Kiev en Rus', s'accomplissaient les paroles que Jésus avait adressées aux apôtres à la fin de sa mission messianique sur la Terre : "Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit" », rappelait le souverain pontife au début de son homélie.

En 988, le baptême du grand-prince Vladimir (958-1015) avait engagé la Russie kiévienne sur la voie de la conversion au christianisme et de son intégration à la sphère culturelle byzantine. Car c’est de Constantinople et non de Rome que la Russie avait reçu la grâce baptismale, ce qui ne serait pas sans conséquence sur la question ultérieure de son identité européenne.

Si le millénaire célébré en 1988 était celui de l’orthodoxie russe, Jean-Paul II en avait perçu les enjeux à la fois spirituels, ecclésiaux et géopolitiques. Il y avait là une occasion de promouvoir l’unité des chrétiens mais aussi de se rapprocher du régime de Gorbatchev et de contribuer ainsi au développement de la liberté religieuse dans ce qui était encore l’URSS. Il fallait néanmoins faire preuve de la plus grande diplomatie car l’Église catholique grecque d’Ukraine revendiquait, elle aussi, l’héritage de la conversion du prince Vladimir.

Du schisme entre Église d’Orient et Église d’Occident, en 1054, à la question « uniate » opposant catholiques et orthodoxes en Ukraine, les origines de la confrontation étaient anciennes. Le pape le savait. Aussi son homélie résonnait des exhortations adressées aux « fils et filles spirituels de saint Vladimir », chez qui il percevait les ferments de la division, afin qu’ils n’oublient pas que le baptême les avait faits « membres de la même Église ». Ukrainiens, Russes et Biélorusses étaient unis par les mêmes liens spirituels et historiques.

En janvier 1988, Jean-Paul II avait publié une lettre apostolique dans laquelle il insistait sur le fait que les racines chrétiennes de l’Europe avaient engendré « les deux formes de la grande tradition de l'Église, l'occidentale et l'orientale » qui, l’une et l’autre, se complétaient « comme les deux « poumons » d'un même organisme ».

L’année suivante, en 1989, le mur de Berlin tombait et, quelques semaines plus tard, un autre événement incroyable se produisait avec la visite du président de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, au Vatican. L’espérance était alors forte de voir se tourner enfin la page de la guerre froide et d’assister à l’émergence d’une Europe réconciliée. « Nous sommes reconnaissants à Dieu que, ces derniers temps, le danger de guerre ait diminué et que la tension dans les relations entre l’Est et l’Ouest ait baissé », avait déclaré le pape.

Gorbatchev venait lui aussi parler de paix et de liberté de conscience, sujets chers à Jean-Paul II, mais également de politique. Mesurant la contestation interne à laquelle faisait face sa « perestroïka », il cherchait du soutien en Occident. Pas à n’importe quel prix, cependant. Évoquant ses « partenaires occidentaux », et notamment, l’administration américaine, il déclarait : « Il ne faut pas prétendre détenir la vérité absolue et tenter de l’imposer aux autres. […] Mais quelqu’un dit déjà que l’Europe doit être renouvelée uniquement sur la base des valeurs occidentales et que tout ce qui s’en écarte doit être coupé. Ce n’est pas une façon de traiter les nations, leur histoire, leurs traditions et leurs identités. » Jean-Paul II, à la fin de l’entretien, avait alors eu cette réponse : « Il serait faux de prétendre que les changements en Europe et dans le monde doivent suivre le modèle occidental. Cela va à l’encontre de mes convictions profondes. L’Europe, en tant que participant à l’Histoire du monde, devrait respirer avec deux poumons. » L’image avait plu à Gorbatchev.

Le pape lui avait alors confié y avoir pensé dès 1980, lorsqu’il avait déclaré que les patrons de l’Europe seraient, outre saint Benoît pour la tradition latine, Cyrille et Méthode qui représenteraient ainsi les traditions orientales byzantine, grecque, slave et russe. « Tel est mon credo européen », avait ajouté Jean-Paul II dont l’intuition nous apparaît aujourd’hui prophétique. À l’approche d’une nouvelle année, souhaitons alors à l'Europe en guerre de pouvoir un jour respirer avec ses deux poumons.

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

19 commentaires

  1. Les USA ne voudront jamais que la Russie fasse partie de l’Europe. Car, alors, l’Europe deviendrait une rivale plutôt qu’une vassale.

  2. Cher Monsieur, je lis toujours avec un grand intérêt vos articles.
    Je suis persuadée qu’il est grand temps que non seulement les chrétiens, mais également tous les croyants de notre malheureux monde, prennent conscience que nous sommes face non pas à une nouvelle civilisation du respect des droits des Humains, mais bien à une nouvelle idéologie, qui nous est sournoisement imposée par le biais de l’enseignement imposé à nos enfants dans nos écoles.
    Qu’il s’agisse des Musulmans des Juifs ou des Chrétiens toute la civilisation, issue de l’Ancien Testament est agressée sous nos yeux. Si les peuples voulaient bien ouvrir les yeux et savoir combien de sang a déjà coulé au nom de cette idéologie, ils comprendraient qu’il est impératif de respecter les différentes identités de croyants. A propos de Byzance et du schisme je suis prête à répondre à beaucoup de vos questions. De préférence par message électronique, Boulevard Voltaire peut vous transmettre mes coordonnées, si vous avez le temps d’approfondir vos connaissances dans ce domaine. Sincèrement à vous M. Genko

  3. Il y a effectivement, au-delà d’une certaine frontière, qui reste à déterminer, une « autre Europe ».
    Certains pourraient dire qu’il y a une Europe occidentale catholico-protestante et une Europe de l’est orthodoxe.
    Cependant, avec la guerre russo-ukrainiene, le clivage semble se déplacer vers l’est, une partie du monde orthodoxe semblant être attiré par le mode de vie occidental.
    Le côté mode de vie semble prendre le dessus non seulement d’ailleurs sur le côté religieux, mais aussi sur le côté linguistique.

  4. Trop tard le mal est fait et les nouveau petits idiots utiles pour certains, sont à la tête de la grande majorité des pays de LA TËTE même de l’UE.

  5. Le poumon américain veut prendre toute l’air et empêcher les autres peuples de respirer, cela ne peut pas marcher selon les voeux de sa Sainteté Jean Paul II.

    • il n’y a pas de poumon américain ; il est asphyxié par auto combustion depuis 100 ans (du moins, 70) Notre Saint Pape Karol parlait d’un poumon  » occidental  » latin déja un peu rogné/ vidé de substance par les hollandais et british. Le poumon oriental, lui, s’est bien réveillé grâce à Poutine . Reste à réaccorder les rites bêtement scindés par un très ancien concile et à s’unir pour défendre les tout premiers témoins grandement menacés aux marges sud de l’orient

    • Vous ne croyez pas si bien dire ! Et c’est ce qui fait toute la différence ,aujourd’hui par rapport à hier, entre cette entrevue de Gorbatchev avec le pape Jean Paul II en 1988 ,et les gesticulations de Zelenski à New York pour continuer à jouer le jeu du petit soldat qui lui a été imparti ! On en apprend tout les jours de cette complexité de la société slave, ainsi, aujourd’hui, par Frederic Lassez ,alors que l’occident schématise le contexte à l’extrême. Les slaves, polonais, ukrainiens et russes , sont catholiques proches du Vatican pour les polonais , orthodoxes pour les Russes et les ukrainiens. Mais il y a un schisme à l’intérieur même de cette église Orthodoxe ukrainienne par le fait que des politiques nationalistes se mêlent de compliquer le tout, par leur russophobie poussée à la l’extrême . Ils veulent une église orthodoxe ukraino ukrainienne alors que la réalité historique Russe ,de cette église orthodoxe de Kiev ,capitale Ukrainienne traversée par le Dniepr, est commune à celle de la Russie . Le paradoxe est que les occidentaux pro Otan regardent cette division se complexifier à l’extrême. Ceci avec autant de complaisance que le projet mondialiste serait de standardiser et normaliser toute les sociétés qui tomberaient sous son emprise, en faisant table de leurs identités religieuses et culturelles . Ceci nous rappelle un autre totalitarisme qui a périclité parce qu’ il niait la possibilité aux populations concernées de croire en autre chose que le matérialisme marxiste !

  6. Jean Paul II était un politique ce que n’est pas le pape actuel . Les catholiques se sentent orphelins et beaucoup ne pratiquent plus leur religion . La religion catholique est reléguée à une civilisation une Histoire un patrimoine mais elle n’est plus combattante et encore moins offensive. Or on ne lutte contre une religion qu’en y opposant une autre plus attrayante et surtout plus exigeante . Beaucoup se convertissent à l’Islam pour combler le vide.

  7. Un « papier » qui tombe bien à propos et nous rappelle l’essentiel : ne jamais perdre l’espoir de voir enfin les hommes se reconnaître dans leur religion. Car au final, elle est le socle porteur de bon nombre de valeurs qui rassemblent les belles âmes.

  8. L’Église orthodoxe a été mise sous l’éteignoir environ 70 ans par un régime marxiste sans pitié. Puis à la chute du mur, la foi chrétienne, longtemps étouffée, renaît de ses cendres, alors que l’on pensait que la dictature communiste l’avait éradiquée et était partie pour s’imposer définitivement. Comme quoi, pour les chrétiens, les miracles existent. C’est pour cela qu’en France, même si la religion catholique est violemment attaquée, les croyants sont détenteurs d’une épée, celle de l’espoir.

    • Oui, et, Le 28 mai 2016, Vladimir Poutine fut intronisé en tant que « chef du monde chrétien et empereur araméen » à la cathédrale de l’Assomption à Karyès. Prenant place debout sur la “stasidia des empereurs byzantins”, Vladimir Poutine déclara : « Sur le saint mont Athos, un acte très important et très nécessaire pour notre monde se déroule, cet acte est la correction morale de notre monde. Il est accompli précisément sur l’Athos. »

  9. Puisse votre souhait de conclusion se réaliser. C’est dans les moments de crise que l’on se remémore les pensées des Grands Hommes.

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