Quand la France bien élevée pince le nez

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Le mouvement des gilets jaunes n’en finit pas de faire parler, et chacun y va de son commentaire. Au sein de la bourgeoisie, on pince un peu le nez. Cette France d’en bas, on veut bien considérer qu’elle souffre, mais pas au point d’approuver ces blocages qui sentent un peu trop la merguez et la sueur. La « France bien élevée » n’aime pas beaucoup ça. Ça n’est pas son genre, et puis cela rappelle trop, dans l’inconscient collectif, ces révoltes des siècles passés. Elle oublie, au passage, qu’en 1789 comme en 1830, 1848 ou même lors de la Commune, c’est la bourgeoisie qui a ramassé la mise…

Les libéraux rappellent que la France est irréformable, et qu’à chaque tentative pour changer les choses, les syndicats bloquent le pays. Ils disent, à juste titre, qu’il est impossible de continuer à dépenser des milliards que nous n’avons pas et que la baisse de la dépense publique est une nécessité absolue. Ces gens-là paient pourtant des impôts, parfois beaucoup, et sont les premiers à pester contre les taxes qui amputent leur niveau de vie. Ils ne semblent pas s’émouvoir que les petits, ceux qui vivent avec moins de 1.000 euros par mois, s’en plaignent aussi.

D’autres déplorent ces blocages qui gênent l’économie, leurs activités quotidiennes, et ne servent à rien. Quand ils ne répètent pas, en boucle, ce qu’ils ont entendu sur "France Infox", les casseurs, l’extrême droite, et tout ça… La réflexion ne va pas très loin. Elle se cantonne souvent à une phrase à l’emporte-pièce, du genre « C’est ridicule, s’ils croient que c’est le Grand Soir… »

Et puis il y a les résignés. Ceux qui pensent qu’il faut se soumettre. Les 80 km/h sur les routes ? Il suffit de respecter les limitations de vitesse. Les taxes sur le carburant ? Cela a toujours existé. Les retraites minuscules ? On ne peut pas faire autrement. L’inflation législative ? Oui, mais il suffit de « faire l’Europe autrement ». Quant aux sujets sociétaux, qui ne sont pas au cœur de la contestation actuelle, ils se disent que ça passera et qu’on fera avec…

Et pourtant… Au sein de cette France bourgeoise, combien d’entrepreneurs, de professions libérales, de mères de famille aux fins de mois serrées ? Combien de personnes qui, jour après jour, par leur travail et les risques qu’ils prennent, font tourner l’économie, emploient des salariés qu’ils aimeraient payer plus cher, voient leurs revenus stagner ou baisser, se saignent aux quatre veines pour élever leurs enfants ? Cette population a beau pincer le nez, elle est tout aussi concernée que la « France d’en bas » par le poids grandissant de l’État, la France Big Brother, la déstructuration de la société. Elle paye autant de taxes, voire plus, que les plus pauvres. Elle ne bénéficie presque plus des mesures fiscales qui, autrefois, aidaient les familles. Lorsqu’elle a trois sous à investir, elle sait qu’elle risque de les perdre.

La France des catégories moyennes-supérieures ne sent peut-être pas la merguez, mais elle travaille autant et souffre autant. Et parce qu’elle est plus instruite, elle peut comprendre que la révolte des sans-grade est celle de sa femme de ménage, de ses salariés smicards, du mécano qui répare sa voiture, de la caissière de Carrefour à qui elle dit gentiment bonjour…

Il serait temps que la France bien élevée retire la pince à linge qu’elle a sur le nez. Qu’elle comprenne que soutenir ces gilets jaunes n’implique pas de voter Le Pen ou Mélenchon. Qu’elle s’y mette aussi. Quitte à bouleverser le paysage politique français - ce qui lui fait un peu peur. En 2013, elle a montré qu’elle existait. En 2018, elle doit, elle aussi, manifester sa colère.

C’est si difficile que ça ?

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