Quand les amis de mes amis deviennent aussi mes amis : Emmanuel Macron à l’école caucasienne de la realpolitik !
Si nous ne savions pas que l’art de la politique est un jeu complexe où s’embrassent à bouche que veux-tu la duplicité et la volte-face, Emmanuel Macron nous en donne une belle démonstration dans ses récentes excursions caucasiennes. Ce qui ne peut que le grandir à nos yeux laudateurs des fastes napoléoniens !
Selon Le Monde, l’Élysée et la Russie ont engagé, à l’été 2019, un dialogue de type « stratégique » qui, par-delà les divergences de vue, devait permettre d’avancer sur des dossiers comme le désarmement, la cybersécurité, la Syrie ou les conflits gelés. Or, « l’affaire Navalny », du nom de cet opposant testé positif aux agents neurotoxiques « novitchok », le 20 août dernier, a empoisonné à nouveau les relations, légèrement réchauffées, entre Macron et Poutine. Car nos Présidents – rejetons d’une mythique Révolution française exportatrice de « résistance à l’oppression » – s’érigent en défenseurs inconditionnels des droits de l’humanité…
Bien remonté sur l’échelle de ses « valeurs », Emmanuel Macron aurait tancé Poutine, le 14 septembre, lors d’un entretien téléphonique, en dénonçant une « tentative d’assassinat » et en lui demandant une « clarification ». Vladimir Vladimirovitch, stoïque devant des exigences françaises qui le font tellement trembler, aurait suggéré un auto-empoisonnement du blogueur moscovite.
L’adopté de Marianne doit bien savoir qu’il s’oppose là au fils naturel des terribles Ivan. Et, Vladimir Vladimirovitch, qui ne s’embarrasse pas de scrupules, fidèle à l’émouvante tradition tsariste, enrichie de bolchevisme, qui nous a offert la katorga puis le goulag, afin que tout opposant privilégié puisse réfléchir à froid sur ses errements politiques, ne s’émeut guère des faux-semblants à la mode de Paris. Pourquoi le néo-tsar, dont un grand père fut successivement maître queux des Romanov, puis de Lénine et de Staline, s’embarrasserait-il des conseils d’un mitron amiénois pour assaisonner sa propre cuisine ?
Suite à la crise, l’oracle Dmitri Trenin, directeur du Centre Carnegie de Moscou, s’est empressé de prophétiser sur Twitter : « Le canal Moscou-Paris pour le dialogue Russie-Occident est en train de se fermer. » Lui aurait dû ne point l’ouvrir car, après que, ce 27 septembre, les forces azerbaïdjanaises ont attaqué la « République d'Artsakh », notre chef de guerre et son homologue du Kremlin appellent, main dans la main, à un arrêt « complet » des combats et les voilà sur une même ligne pour défendre la paix menacée… et le droit !
Et Macron d’aller de l’avant, pointant d’abord les déclarations guerrières « inconsidérées et dangereuses » de la Turquie ; puis exigeant – en tant que coprésident du groupe de Minsk de l’OSCE – des « explications » de sa part, suite au transfert, via son territoire, de djihadistes syriens sur le front du Karabagh : « Une ligne rouge est franchie […], c’est inacceptable. J’appellerai le président Erdoğan dans les tout prochains jours », a-t-il martelé. Le néo-sultan aura-t-il l’estomac de lui rétorquer qu’il n’a laissé passer que d’honnêtes et besogneux vendeurs de croissants ?
Quoi qu’il en soit, voici qu’après avoir été « convoqués » par le Kremlin, les ministres des Affaires étrangères arménien et azerbaïdjanais seraient convenus d’un cessez-le-feu au Nagorny Karabakh, pour raisons humanitaires. Il est entré en vigueur ce samedi, à la mi-journée. De sa grosse patte, l’ours russe ramène au bercail les oursons égarés. « Le Kremlin ne veut pas perdre son rôle d’arbitre dans cette région », confie un haut diplomate européen à Moscou.
Alors – bien que les ennemis aient, semble-t-il, un peu de mal à régler leurs pendules –, jetterons-nous la pierre à notre néo-Napoléon engagé dans une lutte sans aménité contre le néo-sultan turc, lorsqu’il vient se glisser à l’abri de la pelisse d’ours de son nouvel ami de Moscou et que la France appelle d'une voix ferme au « strict » respect de l'arrêt des combats ? Non, bien sûr.
Nous ne savons pas si, mangeant pour cela son chapeau d’empereur des droits de l’homme, notre Président en a fait une indigestion. Mais puisqu’il semble, pour l’heure, avoir compris que « la raison du plus fort est toujours la meilleure », souhaitons-lui – une fois n’est pas coutume – que ce stage providentiel à l’école caucasienne de la realpolitik lui permette d’entraîner à sa suite d’autres frileux Européens à devenir, contre le national-islamiste Erdoğan, et pour l’Arménie sœur, de bons alliés supplétifs du pacificateur Poutine.
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