Quand l’Iran était à l’heure de l’Occident

Iran shah d'Iran
Gouvernement Pahlavi, Domaine public, via Wikimedia Commons

En voyant les images de cette jeune et courageuse étudiante iranienne, contrainte de déambuler en sous-vêtements pour manifester contre le port obligatoire du voile islamique, on ne peut qu'amèrement constater que l'époque où l'Iran se présentait comme une vitrine de l'Occident au cœur de l'Orient est désormais révolue. Pourtant, il fut un temps où l'empire d'Iran offrait davantage de libertés qu'aujourd'hui. Cette époque perdue est celle du Shah Mohammad Reza Pahlavi, dont l'œuvre et le rêve de modernisation se sont éteints avec son exil forcé en 1979, sous la pression de la révolution islamique.

L'occidentalisation de la vie quotidienne

Dans son ambition de moderniser l'Iran pour en faire une puissance mondiale, le Shah déclarait véritablement vouloir « accomplir en dix ans ce que vous [l'Occident] avez réalisé en trois ou quatre cents années ». Pour atteindre cet objectif, Mohammad Reza Pahlavi s'inspirait ainsi de nos modèles sociaux européens et américains. Dans les grandes villes iraniennes, l'influence occidentale transparaissait à tous les niveaux. Les femmes, bien que majoritairement soumises aux normes sociales et familiales, avaient obtenu certains droits fondamentaux, notamment le droit de vote en 1963, grâce aux réformes du Shah. Elles travaillaient dans l'administration publique, étaient présentes dans les universités, et participaient à la vie culturelle. Le voile n'était plus obligatoire, et il était courant de voir de nombreuses femmes se promener dans les rues de Téhéran en jupe, les cheveux découverts, rappelant ainsi les modes occidentales. Les hommes adoptaient également des tenues inspirées des styles européens et américains. C’est ainsi un véritable vent de liberté qui soufflait sur le pays. Les cafés, les cinémas et les centres commerciaux de Téhéran avaient aussi des allures de leurs équivalents parisiens ou londoniens. La ville s'était ainsi transformée en une métropole moderne, symbole de l'élan de progrès et de prospérité que le Shah souhaitait pour son pays.

Un essor culturel sous l'influence occidentale

Le cinéma, la musique et les arts ont aussi joué un rôle fondamental dans cette transformation de l’Iran. Le Shah encourageait la production cinématographique et favorisait une certaine liberté d'expression artistique, du moment qu'elle ne menaçait pas son autorité. Le cinéma iranien de cette époque a ainsi connu un essor, intégrant des influences européennes et américaines, et abordant des thèmes sociaux modernes. La musique iranienne se tournait aussi vers l'Occident : les jeunes Iraniens écoutaient des tubes internationaux et assistaient à des concerts de groupes locaux inspirés par le rock et la pop, alors très populaires dans le monde. Certains clubs de Téhéran rappelaient même les boîtes de nuit de Paris ou de New York, et la scène culturelle iranienne devenait de plus en plus visible. Le Festival des Arts de Shiraz-Persepolis accueillait ainsi des artistes internationaux, permettant au pays de rayonner culturellement et d'établir des ponts avec l'étranger.

Modernisation et fractures

Dans les années 1960 et 1970, l'Iran profitait également d'un boom économique, soutenu par les revenus pétroliers. Les réformes du Shah visaient à développer les infrastructures du pays : des routes, des hôpitaux, des écoles et des universités étaient construites à grande échelle, selon les modèles occidentaux. Cette expansion économique a donné naissance à une classe moyenne dynamique et éduquée, qui aspirait à un mode de vie conforme aux normes occidentales. Cependant, cette transformation rapide provoquait de profondes tensions au sein de la société iranienne. Si les réformes du Shah visaient à moderniser le pays, elles étaient perçues par une partie de la population comme une menace pour les valeurs traditionnelles et islamiques. L'occidentalisation des mœurs, la désacralisation progressive des pratiques religieuses et une culture de plus en plus permissive exacerbaient les divisions entre une élite urbaine occidentalisée et les populations rurales, souvent attachées aux coutumes ancestrales. Le clergé, dirigé par l'ayatollah Khomeini en exil, dénonçait l'influence corruptrice de l'Occident, particulièrement des États-Unis, sur la société iranienne. Bien que la modernisation fût bénéfique pour les élites urbaines et la classe moyenne, elle négligeait les populations rurales et avait aggravé les inégalités socio-économiques. La répression politique du régime accentuait aussi les frustrations, étouffant toute forme de contestation.

Exacerbé et influencé par le discours du clergé islamique, une grande partie de la population se souleva contre le Shah, le contraignant à quitter le pays le 16 janvier 1979. Désormais débarrassés de la monarchie, les mollahs proclamèrent le 1er avril 1979 la République islamique d’Iran. L'empire du Shah et son rêve d'un Iran moderne prenaient ainsi fin, laissant place à une période de régression des libertés, en particulier pour les femmes, qui virent leurs droits réduits et contestés.

Ainsi, le courage de cette étudiante iranienne d'aujourd'hui, défiant l'autorité au péril de sa liberté, rappelle au monde le drame actuel de l'Iran, mais ravive aussi le souvenir d'une époque où la société iranienne, malgré ses imperfections, vivait sous des horizons plus ouverts que ceux imposés par le régime des mollahs.

Eric de Mascureau
Eric de Mascureau
Chroniqueur à BV, licence d'histoire-patrimoine, master d'histoire de l'art

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