Ramu de Bellescize : « Avec la proportionnelle, le Parlement redeviendrait un véritable contre-pouvoir »

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Ramu de Bellescize est professeur de droit public à l'université de Lille. Il nous explique en quoi la création d'un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale est primordiale pour un parti.

Marc Eynaud : Le RN semble en passe de pouvoir créer un groupe parlementaire au début de ce deuxième mandat. Pourquoi cela?

Ramu de Bellescize : Pour créer un groupe il faut, depuis 2009, au minimum 15 députés. Avant, il en fallait plus, mais le chiffre a été revu à la baisse afin de permettre au Parti communiste de continuer à avoir un groupe. Il est fort probable que le RN aura au moins une quinzaine de députés. Ce sera donc la première fois qu’il aura un groupe à l’Assemblée depuis 1986.

M. E : Plus largement, quelles conditions faut-il remplir, outre le nombre de députés ?

R. de B. : Les groupes se réunissent par affinité politique. Il faut donc qu’il y ait une certaine homogénéité politique. L’habitude pour les députés de se réunir par tendance politique est d’ailleurs à l’origine des groupes parlementaires. Cela a commencé avec les Girondins, les Montagnards ou les Monarchiens. Les groupes ont été reconnus par le règlement de la Chambre des députés.

M. E. :  Quel avantage a un groupe parlementaire par rapport aux députés non inscrits ?

R. de B. : Il y a des avantages matériels. Les groupes disposent d’une dotation financière allouée par l'Assemblée et dont le montant est calculé en fonction de leurs effectifs. Cela leur permet d’avoir des collaborateurs supplémentaires. Il y a surtout des avantages politiques : l’essentiel du travail parlementaire passe par les groupes.  Le député non inscrit est donc isolé.

- le temps de parole est distribué en fonction de l’effectif des groupes.

- les commissions sont composées en proportion de l’importance numérique des groupes

- une journée par mois est réservée à l’ordre du jour fixé par les groupes d’opposition et minoritaire.

- les groupes d’opposition bénéficient de droits supplémentaires, notamment la présidence de la commission des finances, le poste de premier vice-président de l'Assemblée nationale, l’attribution d'au moins la moitié du temps de parole lors des débats de contrôle et la moitié des questions au gouvernement.

Même si c’est anecdotique, il n’y a pas que des avantages à appartenir à un groupe, au moins individuellement. Les groupes se réunissent en général une fois par semaine pour décider des positions qu’ils vont prendre sur les affaires inscrites à l’ordre du jour. À partir du moment où le groupe a arrêté sa position, il devient difficile de s’en départir. L’article 27 de la Constitution dispose que « le droit de vote des membres du Parlement est personnel ». Un député n’est donc pas obligé, en principe, de voter comme son groupe. Mais il peut encourir des sanctions.

M. E. : Marine Le Pen est arrivée au second tour avec un peu moins de 42 %, pourtant elle n'aura pas, sauf surprise majeure, le premier groupe d'opposition à l'Assemblée Nationale. Comment l'expliquer ?

R. de B. : Cela s’explique par le mode de scrutin et par le découpage des circonscriptions. Mais ce n’est pas parce que, numériquement, elle n’a pas le premier groupe d’opposition que, dans les faits, le groupe RN ne sera pas le premier groupe d’opposition. Tout dépend de la manière dont ce groupe utilise les pouvoirs que lui donne le règlement de l’Assemblée. Entre 1986 et 1988, le groupe Front national a remarquablement utilisé ces pouvoirs et, dans de nombreux cas, il est parvenu à contraindre le gouvernement, à le gêner. Dès les premières minutes de la législature, il a fait monter au créneau le député Jean-Claude Martinez, qui a contesté la présence, dans l’Hémicycle, de suppléants des ministres.

M. E. :  Faudrait-il changer le mode de scrutin afin de rendre l'Hémicycle plus représentatif ?

R. de B. : La question se pose depuis que la démocratie existe. La démocratie est représentative, elle n’est pas directe. À partir de ce moment-là, le problème est de savoir comment désigner les représentants, c’est-à-dire ceux dont le métier est de « vouloir pour la nation », de vouloir mais en principe en nous représentant. Pour désigner les représentants, il existe deux grands modes de scrutin. Chacun, comme c’est souvent le cas, présente des avantages et des inconvénients. Le premier, le scrutin majoritaire, permet de dégager de vraies majorités. Il permet au gouvernement d’agir. L’électeur sait qu’en votant pour un parti ou un autre, la politique mise en œuvre sera en principe différente. L’inconvénient de ce mode de scrutin est que les différentes tendances politiques sont peu ou mal représentées. Le scrutin proportionnel ne donne pas de prime au parti arrivé en tête. Les députés sont élus en proportion du nombre de voix. Ce scrutin agit comme une photographie de l’électorat qui est représenté dans toute sa diversité. L’avantage est une meilleure représentation de cette diversité. L’inconvénient est que si aucune majorité ne se dégage, il y aura des coalitions. On ne les connaît pas à l’avance. Cela fait perdre une partie de son sens au vote. Voilà pour ce qui concerne les arguments traditionnels, pour ou contre la proportionnelle. Il y a encore un avantage en faveur de la proportionnelle, sans doute le plus important. J’aurais dû commencer par celui-là. Avec la proportionnelle, le gouvernement n’aurait probablement pas de majorité. Cela signifie que pour chaque loi, il devra en constituer une, en créer une, en quelque sorte. Et s’il n’y parvient pas, alors son projet de loi n’est pas voté. Concrètement, cela signifie qu’avec la proportionnelle, le Parlement redevient un véritable contre-pouvoir et non plus une chambre d’enregistrement. Le gouvernement est obligé de se battre pour faire adopter ses lois. Et s’il n’est plus soutenu, il doit démissionner. Dans la période de concentration extrême des pouvoirs, au profit de l’exécutif, que nous connaissons actuellement, la proportionnelle présente donc un vrai avantage.

M. E. : Moins d'un électeur sur deux a voté au premier tour. Quelles conséquences pour notre démocratie ?

R. de B. : D’abord, c’était le premier tour des législatives. Il faudra voir si le taux de participation au second tour est aussi bas. On le saura dans quelques jours. Ensuite, cette désaffectation pour les élections législatives est la conséquence de plusieurs facteurs. Comment, en effet, se convaincre de l’importance d’un vote pour désigner une assemblée dont les pouvoirs sont aussi limités ? Ils le sont d’abord par le droit européen qui prime sur le droit national. Ils le sont par le Conseil constitutionnel qui peut annuler des lois avant qu’elles ne soient votées et même après qu’elles ont été promulguées. Ils le sont par ce que l’on appelle le phénomène majoritaire qui aboutit à ce que l’exécutif et le législatif tendent à devenir un unique pouvoir. Ils le sont par la durée du mandat du Président et de celui des députés, qui est désormais identique. Ils le sont enfin par l’élection du chef de l’État au suffrage universel depuis 1962, qui a focalisé l’ensemble de la vie politique sur l’élection présidentielle.

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Marc Eynaud
Journaliste à BV

Vos commentaires

14 commentaires

  1. Article très instructif regorgeant d’informations souvent méconnues.
    Rappelons que le Parlement européen est élu à la proportionnelle : la France, qui fait partie de l’UE, doit donc de facto, au nom de l’harmonisation, instaurer la proportionnelle à ses élections législatives.
    Logique et cohérent.

  2. Revenir à la proportionnelle, c’est le retour à la 4° république avec les gouvernements qui tombent tous les 6 mois.

    • C’est l’argument récurrent des gens de LR, car la proportionnelle les ferait disparaître.
      Le compromis, ça existe : si un projet de loi va dans le bon sens pour les Français, il y aura des députés, même s’ils sont de bords différents, pour la voter.
      Question d’intelligence. Et les électeurs feront pression sur leur député.

  3. La réalité seule prime et c’est normal que la prétendue droite, LR = le centre mou, Macron compatibles, ont fait naufrage. Quant à la droite dite extrême, elle n’offre aucune véritable solution aux vrais problèmes de la France qui est anesthésiée et soumise aux médias. Après chaque défaite, certains remettent en cause le système électoral comme si c’était la solution. C’est faux ! Le vrai problème est et sera toujours le même : créer une vraie opposition, à l’écoute, face à la gauche !

  4. La proportionnelle intégrale en France ça ne marche pas. Il faut avoir en mémoire ce qui ce passait avant 1958. C’est mon cas, c’était terrifiant. Aujourd’hui ça serait pire qu’avant 1958 car il y a les Verts de Gris dont aucun membre n’est d’accord avec son voisin , il y a les islamo-gôchistes.

    • C’est ce que je viens d’écrire. C’est le retour à la 4° république avec les gouvernements qui tombent tous les 6 mois.

    • On voit que vous n’avez pas connu la 4°république d’avant 1958 ou les gouvernements ne tenaient pas 6 mois.

  5. La proportionnelle existe en Belgique, avec des listes de candidats pour lesquels un vote préférentiel est prévu ( ce qui permet aux votants de modifier l’ordre des impétrants proposé par les partis). Cela implique un rôle plus important des partis et une nécessité de négocier un accord de gouvernement.

  6. Il n’y a pus d’argument pour refuser la proportionnelle. F Bayrou s’est fait avoir par Macron.

  7. Le seul problème est que les politiciens une fois au pouvoir n’en veulent pas de la proportionnelle et du RIC, c’est-à-dire d’une démocratie parlementaire. Trop dangereux que le peuple soit représenté et ait son mot à dire sur des décisions importantes. Et quand on lui demande d’exprimer son opinion, comme lors du référendum de 2005, on escamote ce vote contraire à l’idéologie européenne. On s’enfonce tout « doucement » vers la dictature oligarchique…

  8. Proportionnelle et RIC; Ce serait rendre le pouvoir au peuple : génial ! Mais vous croyez que les apparatchiks surpayés de toutes tendances le voudront ?

  9. C’est bien ce mode de scrutin qui détourne les français des urnes, puisqu’une majorité d’entre eux ne se sent pas représentée au Parlement qui devient comme vous le soulignez, une chambre d’enregistrement – E Macron a promis une nouvelle fois d’installer une part de proportionnelle mais sachant ce que sont les promesses jupitériennes, il est encore permis de douter.

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