Rap : Orelsan, de l’anticonformisme à la bien-pensance
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Qu’elle semble loin, l’époque où le jeune rappeur normand Orelsan surprenait la France par sa verve et son verbe ! Surprenant, Orelsan, de son vrai nom Aurélien Cotentin, l’était en toutes circonstances. Détonnant du milieu pseudo-viriliste banlieusard et ultra-capitaliste si cher au rap français, Orelsan faisait magnifiquement tache dans le monde faussement testostéroné et outrageusement victimaire qu’était celui de la « musique urbaine ». Blanc, rural, issu de la classe moyenne et refusant catégoriquement de se prendre au sérieux dans ses textes, Orelsan a eu tôt fait de se frayer un chemin au sein de la scène musicale hexagonale.
Empêtré ci et là dans de futiles polémiques, face notamment à des collectifs féministes qui lui reprochaient d’inciter à la haine des femmes dans sa chanson « Sale pute » (chanson dans laquelle le rappeur joue le rôle d’un jeune homme alcoolisé pris d’un accès de colère après avoir été trompé par sa conjointe), Orelsan a, malgré tout, réussi à s’élever au sommet du rap. Ventes de disques faramineuses, innombrables récompenses, salles combles : le rappeur de Caen a su imposer son style aux yeux des Français, un style acerbe, cynique et subtilement critique d’une société malade.
Dans un titre devenu classique, « Suicide social », Orelsan brossait un portrait au vitriol du pays dans lequel il a grandi. Personne n’y échappait et tout le monde en prenait pour sa poire : journalistes avides d’audience, comptables et commerciaux engraissés par les primes, ménagères lobotomisées par la télévision, mais aussi racailles de cités, lobby LGBT ou encore bobos parisiens, le rappeur proposait un texte aux antipodes de la bien-pensance et assurément politiquement incorrect ; un bol d’air frais tellement salvateur à une époque où le rap français se confondait d’uniformité.
Provocateur assumé, Orelsan semblait n’avoir peur de rien, quitte à subir la censure et la pression des tribunaux médiatiques. Alors, sous le joug de la Justice suite à plusieurs plaintes de féministes, fanfaron, cynique et dépassant les limites de l'entendable, Aurélien Cotentin ironisait encore : « Les féministes me persécutent, me prennent pour Belzébuth, comme si c’était de ma faute si toutes les meufs sont des putes... » Jusqu’au-boutiste, Orelsan avait à l’époque le courage de lutter non pas pour ses idées (ce dernier a toujours nié être misogyne) mais pour ses principes : pouvoir tout dire dans ses musiques, quitte à choquer. Dans une interview autoproduite, Aurélien disait : « L’art, c’est pas toujours beau, ça peut être moche et sombre, mais ça reste de l’art. »
Malheureusement, dix ans plus tard, l’Orelsan anticonformiste semble avoir laissé la place à un chantre de la bien-pensance. Finies les incartades provocatrices, place au discours prémâché et si peu subversif : « La droite, c’est mal, m’voyez. »
Dans un single intitulé « L’odeur de l’essence », sorti quelques jours avant son nouvel album, Orelsan est parvenu à rassembler en une chanson (musicalement réussie, par ailleurs) tous les éléments de langage du discours dominant progressiste. Accumulation de contre-vérités, le chanteur exprime toute son inquiétude face à la fameuse « extrême-droitisation » du pays ; original. En introduction du titre, il prononce ces mots : « Regarde la nostalgie leur faire miroiter la grandeur d’une France qu’ils ont fantasme. » De quel fantasme parle-t-il ? Est-ce fantasmer que déplorer notre époque actuelle et chercher à reproduire nos grandeurs passées ? En se moquant de Marine Le Pen qui serait, selon lui, la candidate des vieux, Orelsan semble omettre que le Rassemblement national était encore, en avril dernier, le premier parti politique chez les 25/35 ans et nie, de fait, qu’une grande partie de la jeunesse française est conservatrice. Mais ce n’est pas tout : Aurélien Cotentin est devenu manifestement le grand défenseur des opprimés. On peut résumer son premier couplet à « pauvres musulmans opprimés pour leur foi, vilains Blancs prolétaires qui ont peur d’être « grand-remplacés », gentils banlieusards qui pillent et tabassent parce que ghettoïsés par l’État. » J’aimerais dire que je caricature, mais ce n’est pas le cas, et le lecteur se fera son idée en écoutant la chanson.
En définitive, le nouvel album du rappeur sobrement nommé Civilisation met en exergue la métamorphose d’un artiste politiquement incorrect et provocateur en un parangon du système. Niant la réalité pourtant palpable d’une France qui se lasse d’un islam envahisseur, d’une immigration incontrôlée et de l’ensauvagement de la société, Orelsan se range dans le camp des grands déconnectés et s’auto-condamne, par la même occasion, à un oubli progressif. Dommage.
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