[REACTION] « Comme si nommer la réalité constituait un scandale » (2/3)

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Aveuglement, négligences, laxisme, idéologie... Après la journée de deuil national, Jean-Jacques Brot, qui fut préfet de Mayotte de 2002 à 2004, analyse en profondeur une situation qu'il connaît parfaitement. Dans un grand entretien exclusif à Boulevard Voltaire, le haut fonctionnaire dénonce sans langue de bois les erreurs commises par nos politiques. Aurait-on pu éviter les conséquences désastreuses de ce cyclone ? Les réponses de Jean-Jacques Brot.

(Suite de l'entretien publié hier)

 

Iris Bridier. Les conséquences désastreuses du cyclone aurait-elles pu être anticipées et évitées ?

Jean-Jacques Brot. Beaucoup de ceux qui connaissent Mayotte avaient averti du risque intrinsèque et structurel que les personnes clandestines couraient, en construisant des bidonvilles (à ne pas confondre avec les « bangas », cases traditionnelles mahoraises) : l'attitude laxiste et idéologique en matière d'immigration illégale, adoptée notamment depuis 2012 à Mayotte, pèsera sur la conscience des responsables. Car bien entendu, il était désastreux de permettre d'entasser des êtres humains dans des conditions aussi précaires. Mansour Kamardine a notamment annoncé au Parlement et dans la presse cette prédiction d'une catastrophe possible en cas de cyclone.

Les services de l'État et les secouristes ont accompli leur devoir depuis plus d'une semaine, avec les moyens dont ils disposaient, et naturellement, compte tenu de la faible culture de « sécurité civile » des Français en général, des Mahorais en particulier et des personnes en situation de clandestinité de surcroît. Pour avoir été responsable des secours lors de la tempête Xynthia en Vendée, il y a 15 ans, je parle avec beaucoup d'humilité de la capacité d'anticipation et de mise à l'abri. Les moyens de l'État sont ce qu'ils sont, les communes mahoraises sont pauvres, la communication de crise est très ardue. Où mettre à l'abri des populations qu'on ne sait dénombrer et alors que l'archipel est si fragile et si surpeuplé ? Franchement, je crois que face à Chido, le préfet, ses services et ceux qu'il a requis ont fait tout leur devoir avec un sens élevé du respect de la vie humaine.

 

I. B. Évoquer l’immigration illégale en ces jours de deuil semble un tabou : faut-il, cependant, considérer ce phénomène comme un amplificateur de la crise actuelle et comme une priorité à traiter ?

J.-J. B. On ne peut, devant une telle catastrophe, que parler d'abord secours, sauvetage et mise à l'abri. Et ces efforts vont durer très longtemps. Mais il est évidemment indispensable, avant toute reconstruction, de se poser et de faire un bilan lucide de ce qui était.

Or, ne voit-on pas déjà de pauvres gens reconstruire des bidonvilles ? S'ils en sont là, il faudrait tout de même analyser les causes de leur venue à Mayotte : c'est tout un système très rentable d'émigration, notamment depuis certaines plages d'Anjouan, avec des commanditaires bien identifiés, des passeurs bien rémunérés et des autorités comoriennes qui justifient par des affirmations idéologiques les fuites dues à l'état très triste de leur économie, de leur système de santé, de leurs écoles, etc. On se doute bien, aussi, qu'il y a des complicités à Mayotte et il m'est arrivé de les traquer avec le parquet, à l'époque.

Cette réalité, une des faces hideuses de la pauvreté en Afrique, n'a évidemment pas causé le cyclone : elle en a aggravé structurellement le bilan humain (jusqu'à ce jour inconnu) et il serait honteux de l'écarter avec des airs effarouchés, comme si nommer la réalité constituait un scandale.

Le ministre de l'Intérieur et le chef de l'État se sont exprimés sur place, chacun avec son style. C'est à l'évidence une priorité politique qui conditionnera la crédibilité des initiatives de reconstruction. Il y a sans doute à légiférer et pourquoi se refuser, entre autres, à expérimenter à Mayotte une révision du « droit du sol » ? Il faudra sans doute aussi donner à l'État d'autres moyens humains et budgétaires pour accompagner dignement une pratique plus restrictive.

Mais cette partie nécessaire de l'action s'insérera dans une vigoureuse approche interministérielle qui ne peut d'abord procéder que d'une clarification diplomatique indispensable.

 

I. B. À la suite de cette dévastation, vous semble-t-il possible de rebâtir l’île, son avenir, son habitat, de manière solide ? Et à quelles conditions ?

Entretien à suivre demain...

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Iris Bridier
Journaliste à BV

Vos commentaires

4 commentaires

  1. Ces élus n’ont pas d’état d’âme . Ils sont juste capables de faire des promesses jamais tenues . Ce sont bien ces élus qui sont coupables , qui ont tant de morts sur la conscience et pourtant ils ne se privent pas de toujours s’enrichir plus sur le dos des miséreux . Et une fois de plus nous constatons que rien n’est fait pour arrêter les migrants alors que chacun sait que cette traite d’humain fait gagner beaucoup d’argent à certains au détriment des peuples qui subissent et paient ausi bien en argent qu’en vies humaines .

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