[Réaction] Général Bruno Clermont : « Poutine ne peut plus gagner la guerre mais il ne peut pas la perdre »

Gal Clermont

Va-t-on vers une Troisième Guerre mondiale ? Avec l'annonce de mobilisation partielle de ses troupes et les menaces d'usage d'armes non conventionnelles, la Russie franchit un pas supplémentaire dans l'escalade. Ce qui n'était qu'une simple « opération spéciale » est devenu officiellement une guerre totale. Dans cet entretien, le général de corps aérien (2s) Clermont s'alarme des conséquences de la dernière déclaration de Vladimir Poutine.

 

Marc Eynaud. La Russie vient d’annoncer qu’elle est en guerre non seulement contre l’Ukraine, mais contre tout l’Occident. Faut-il s’inquiéter de l’évolution de la situation ?

Général Clermont. Il est logique de s’inquiéter car la situation est en train d’escalader côté ukrainien et côté russe, chacun pour des raisons qui leur appartiennent. Mais il y a un fait qui est en train de bouleverser le cours de la guerre, c’est la contre-offensive ukrainienne, en particulier dans la région de Kharkiv. C’est la conséquence du fait que les Russes n’ont pas assez de troupes pour défendre une ligne de front de 1 000 km. On constate la montée en puissance des déclarations avec l’annonce d’un référendum dans les pays occupés par les Russes et les pro-Russes. Le deuxième élément est l’interview télévisée du président Poutine qui a annoncé la mobilisation des réservistes : 300.000 personnes ont été évoquées, ce sont des conscrits entre 20 et 45 ans, qui ont fait leur service militaire. On peut les récupérer, les envoyer au front, mais c’est très loin d’être gagné. La Russie est un très grand pays et l'administration de fonctionne pas très bien. Les "mobilisés" pourraient faire preuve de peu d'enthousiasme. La mobilisation pour le référendum et le discours agressif de Poutine sont des données qui confirment l’escalade dans le conflit.

M. E. La Russie n’est-elle pas condamnée à la surenchère pour sortir la tête haute de ce conflit ?

G. C. La Russie est en difficulté depuis le 24 février, depuis l’offensive totalement ratée qui est la conséquence de l’erreur d’appréciation majeure de la Russie de ce qu’est la réalité de l’Ukraine et du peuple ukrainien. Ils ne sont pas les seuls à s’être trompés sur la réalité de ce qu’est la nation ukrainienne. Elle est née le 24 février et s’est développée. C’est vraiment devenu la guerre de la nation ukrainienne contre l’envahisseur russe.
Les difficultés que l’armée russe connaît depuis le début continuent. C’est une armée pas commandée, défaillante et corrompue, en nombre insuffisant. Poutine est en difficulté. Il a plusieurs solutions. Il ne peut pas gagner cette guerre, mais il ne peut pas non plus la perdre. Le scénario vers lequel on pouvait espérer s’orienter était la victoire relative de Poutine avec l’annexion du Donbass. On pouvait imaginer qu’il allait sanctuariser ce territoire. Visiblement, la contre-offensive commence à toucher des territoires conquis, donc il est en difficulté. Il a deux atouts dans sa manche. L’un est un atout extrêmement complexe : mobiliser et passer d’une opération spéciale à la guerre afin de mobiliser les jeunes Russes qui ont fait leur service militaire pour les envoyer au front. C’est compliqué à gérer vis-à-vis de l’opinion russe. Le deuxième élément est la question des armes de destruction massive, que ce soit chimiques ou nucléaires, mais je pense plutôt au nucléaire. Au mois de juin, la directrice nationale du renseignement américain qui chapeaute les 17 agences de renseignement a été auditionnée devant le Congrès sur les conditions de recours de la Russie à l'arme nucléaire. Il y en a deux. La première est une défaite de la Russie sur le terrain, la deuxième serait que Poutine sente qu’un changement de régime qui le chasserait du pouvoir est en train de se produire. On se rapproche de la première solution, et le recours à l’arme nucléaire tactique, c’est-à-dire sur le sol de l’Ukraine à puissance limitée, lui permettrait peut-être d’inverser le cours de l’Histoire. Mais ça peut également déclencher une escalade qu'il serait difficile de maîtriser.

M. E. Sommes-nous officiellement entrés dans la Troisième Guerre mondiale ?

G. C. C’est une bonne question. On entrerait dans la Troisième Guerre mondiale si les troupes américaines ou de l’OTAN prenaient les armes directement contre les Russes en Ukraine ou en Russie. Nous sommes dans une situation inédite que tout le monde reconnaît : les Américains et l’OTAN, dont la France, font une sorte de guerre par procuration à la Russie par Ukraine interposée dans le but de rétablir la souveraineté de l’Ukraine mais également d’affaiblir la Russie. Ceci inquiète des pays voisins membres de l’OTAN, et pour des raisons à peu près justifiées. Maintenant, la nouveauté est que Poutine fait aussi une guerre par procuration à l’Occident à travers l’Ukraine. Ils punissent les Ukrainiens d’avoir choisi le camp occidental contre le camp russe. L’Ukraine est un terrain de bataille dans lequel Poutine bombarde les villes parce qu’il aimerait bombarder à la place Washington, Londres ou Paris.

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

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