[REACTION] J. Aoun élu président du Liban : « Il doit construire un vrai état »
Après deux années de vacance du pouvoir, le Liban vient enfin d’élire son président*, Joseph Aoun (à ne pas confondre avec Michel Aoun, son prédécesseur). Réaction de Richard Haddad, historien, politologue, spécialiste du Moyen-Orient et directeur des Éditions Godefroy de Bouillon.
Sabine de Villeroché. Qui est Joseph Aoun ? Son élection est-elle une bonne chose pour le Liban ?
Richard Haddad. Joseph Aoun était, jusqu’à son élection, un général commandant en chef de l’armée libanaise. D’origine modeste, il a intégré les rangs de l’armée en 1983 en tant qu’élève officier. Il fut nommé à sa tête par le Président Michel Aoun (avec qui il n’a aucun lien de parenté) en 2017. Il s’était illustré auparavant par la répression - à la tête de la brigade qu’il commandait - des groupes affiliés à l’Etat islamique qui s’étaient infiltrés au Liban depuis la frontière syrienne.
Comme je le répète depuis des décennies, le Liban est multiple, ce qui est donc bon pour une des communautés qui le composent ne l’est pas forcément pour une autre. L’élection de Joseph Aoun est un choix par défaut, les parlementaires ont voté pour lui afin d’empêcher d’autres candidats d’être élus. Son élection n’est ni mauvaise ni bonne pour les Libanais, elle ne changera rien : l’Etat et la nation libanaise n’existeront pas pour autant.. De plus, la nouvelle constitution imposée aux chrétiens en 1991 a beaucoup réduit les pouvoirs que détenait le Président de la République et, pour contenter tout le monde, a créé un système ingouvernable, chacun pouvant bloquer l’autre.
S.d.V. Il aura donc fallu deux longues années pour que les Libanais parviennent à se donner un chef d’Etat, pourquoi ?
R.H. Parce que le Hezbollah et ses alliés devenus minoritaires au Parlement bloquaient l’élection en boycottant les séances parlementaires et en menaçant toute tentative d’élection en leur absence.
La destruction de la puissance armée du Hezbollah par Israël a débloqué la situation mais il ne faut surtout pas croire que ses alliés et lui sont défaits. Ils ont eux aussi voté pour Joseph Aoun au second tour, c’est un moindre mal pour eux. Ils avaient présenté un candidat chrétien qui leur convenait sachant qu’il n’avait aucune chance d’être élu, cela leur permettait de faire semblant d’être conciliants en élisant un candidat prétendument neutre, qui en fait leur convenait parfaitement.
S.d.V. « Aujourd’hui commence une nouvelle ère dans l’histoire du Liban », ont été les premiers mots du nouveau Président. Joseph Aoun parviendra-t-il à remettre le Liban debout, en ramenant la paix et en rétablissant sa situation économique ?
R.H. Tous les présidents élus ont prononcé cette phrase, le nouveau ne fait pas preuve de beaucoup d’originalité ! Joseph Aoun ne peut rien faire ni pour la paix ni pour l’économie libanaise. Il n’en a pas le pouvoir. On attend de lui qu'il construise un véritable Etat en commençant par désarmer les milices. A la tête de l’armée pendant huit ans, il ne l’a jamais fait, pire encore, il a couvert plusieurs exactions du Hezbollah. Il sera fidèle à la tradition de cette armée qui n’a jamais servi à rien au Liban.
En 1958, lorsque des factieux musulmans sunnites ont voulu renverser le pouvoir afin que le Liban soit dissous dans la République arabe unie, l’armée est restée dans ses casernes et son commandant a désobéi aux ordres du Président qui lui demandait d’intervenir. En 1975, au début de la guerre civile, l'armée fit de même et ne vint jamais au secours des populations qui se faisaient massacrer par l’OLP, elle finit par se disloquer. A partir des années 90, sous l’occupation syrienne, elle servit de police politique au régime. Cette armée est inutile parce que toute action de sa part risque de provoquer sa scission, les musulmans ne voulant pas désarmer leurs coreligionnaires même étrangers, les chrétiens ne voulant pas faire la guerre pour une cause qui n’est pas la leur (palestinienne ou arabe…).
S.d.V. La politique libanaise est-elle parasitée par les questions religieuses ?
Penser que le problème de ce pays vient des communautés religieuses est une erreur grotesque. La Liban est un pays multi-identitaire. Les identités qui le composent n’ont ni la même culture, ni la même religion, ni le même mode de vie. Chaque identité considère que l’identité libanaise est la sienne et tente de l’imposer aux autres. Ils sont tous nationalistes mais n’ont pas la même définition de la nation, elle n’est pour chacun d’eux que le reflet de son identité. Alors, rien ne changera parce que l’eau et l’huile ne se mélangent pas. Le Liban sera toujours une cours de récréation sans surveillant dans laquelle des adultes immatures joueront ensemble avant de se bagarrer, parfois mortellement.
Une musulmane libanaise réfugiée du Sud Liban après les bombardements israéliens répondit au journaliste qui l’interrogeait : « je rentre chez moi, plutôt vivre sous les bombes que dans Beyrouth Est (les quartiers chrétiens de Beyrouth) ». Tout est dit, les chrétiens diraient la même chose si on leur proposait de vivre chez les musulmans. Le reste n’est que mythologie et roman pour incultes et utopistes.
*Le président et le chef de l'armée sont obligatoirement chrétiens conformément à la Constitution libanaise
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Un vert manteau de mosquées
Un commentaire
Naif…..en 1970 le Liban était la suisse du moyen Orient.
Cela fait plus de 15 ans que la suisse du moyen Orient sont les émirats arabes unis, Dubaï est le Genève local.
La bourse et l’immobilier font un lieu de choix pour que les riches des pays d’asie et Russie place leur argent