[REACTION] « On a précipité Mayotte dans une illusion politique » (1/3)
Aveuglement, négligences, laxisme, idéologie... Après la journée de deuil national, Jean-Jacques Brot, qui fut préfet de Mayotte de 2002 à 2004, analyse en profondeur une situation qu'il connaît parfaitement. Dans un grand entretien exclusif à Boulevard Voltaire, le haut fonctionnaire dénonce sans langue de bois les erreurs commises par nos politiques. Aurait-on pu éviter les conséquences désastreuses de ce cyclone ? Les réponses de Jean-Jacques Brot.
Iris Bridier. Vous avez été préfet de Mayotte : pour commencer, quelle est la réalité de la situation de Mayotte ?
Jean-Jacques Brot. Il me paraît d'abord essentiel de rappeler que Mayotte est française de par la volonté librement exprimée, par plusieurs référendums, de cette population qui a voulu être française pour rester libre.
Les scrutins de 1974 et 1976 notamment ont été cruciaux à cet égard et une partie du drame d'aujourd'hui provient des divergences politiques d'alors. Il n'est pas inutile de rappeler que le Président Giscard voulait favoriser l'indépendance rapide des Comores, en y incluant Mayotte, alors que l'histoire de l'archipel, ses réalités humaines et politiques sont marquées par une distinction très marquée, à commencer par l'histoire de la colonisation : il n'y a pas d'unité de destin de l'archipel géographique des Comores.
Mayotte a rejoint la France de Louis-Philippe en 1841 afin de se protéger de la reine de Madagascar et des sultans anjouanais. Les trois autres îles sont devenues des protectorats 45 ans après Mayotte, et des colonies 70 ans après. Les Mahorais qui avaient beaucoup souffert de leurs voisins comoriens et anjouanais lorsqu'ils étaient sous le statut de territoire d'outre-mer (loi Defferre de 1956) ont souhaité, lorsque les Grands-Comoriens voulaient leur indépendance, rester Français pour leur sauvegarde politique, humaine, sociale et économique. Ils ont trouvé des alliés surtout au Sénat, notamment Marcel Champeix et Baudoin de Hautecloque, mais aussi Max Lejeune et le président Poher pour imposer que leur singularité soit respectée. D'où le scrutin, île par île, du 22 décembre 1974 et l'enracinement progressif de « Mayotte la Française » dans nos institutions et notre Constitution. Un chemin chaotique parce que, sur la scène politique nationale, la légitimité de Mayotte n'a cessé d'être contestée par une partie du Parlement et, il faut bien le dire, une partie de l'administration.
I. B. Ce contexte permet-il d'expliquer la vulnérabilité de Mayotte ?
J.-J. B. Si Mayotte était aussi vulnérable à la veille de l'arrivée de Chido, c'est d'abord à cause des conséquences de cette controverse, qui dure depuis plus de cinquante ans, notamment alimentée par l'hostilité majoritaire, hélas, de beaucoup de diplomates. À l'instar de Louis de Guiringaud [ancien ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de France, NDLR] qui traitait Mayotte de sujet « dérisoire » en 1975. D'où une difficulté structurelle permanente à mettre en œuvre loyalement les engagements de l'État à l'endroit des Mahorais : je l'ai vécu personnellement lorsque j'étais préfet de Mayotte, de juillet 2002 à janvier 2005 : il ne fallait rien de moins que l'engagement personnel de Brigitte Girardin [ministre de l'Outre-mer entre 2002 et 2005, NDLR] et de Jacques Chirac lui-même pour emporter, une après l'autre, les étapes d'application du statut d'alors, avec l'ardeur des élus mahorais comme aiguillon : Younoussa Bamana, Mansour Kamardine, Jean-François Hory, Marcel Henry, Adrien Giraud, Henry Jean-Baptiste, etc.
Or, c'est en interministériel que se décident les déclinaisons administratives des promesses politiques. Et l'histoire de Mayotte montre que c'est un combat inégal où l'hostilité idéologique initiale se double d'une désaffection générale vis-à-vis des Outre-mer et, disons-le aussi, d'un mépris à l'égard de compatriotes majoritairement africains, noirs et musulmans désireux de rester absolument Français, ce qui cadre assez mal avec les idéologies à la mode.
Quand le Président Sarkozy a accéléré en imposant la départementalisation en 2011, il est vrai après un referendum, l'écart n'a fait que s'accroître entre les ambitions statutaires et les réalités opérationnelles, notamment parce que l'État a largement sous-calibré l'accompagnement des Mahorais dans cette fuite en avant, comme un excellent rapport de la Cour des comptes l'a démontré en 2016. On a négligé l'engagement humain, politique, budgétaire qui aurait été nécessaire après avoir promis la départementalisation.
I. B. Que voulez-vous dire par là ?
J.-J. B. On a précipité Mayotte dans une illusion politique, tout en faisant preuve, depuis les origines, d'une incapacité à enrayer la massive immigration comorienne et anjouanaise, par refus d'aborder franchement la question diplomatique des rapports de la France avec les Comores.
C'est, en vérité, ainsi que n'a pas été pleinement respectée la parole donnée aux Mahorais et que la souveraineté nationale y est de fait bafouée et subvertie.
Pendant les trente mois où j'ai servi avec passion la France à Mayotte la pauvreté (40 % de chômage au moins), l'illettrisme (40 %), la précarité des habitats, les atteintes massives à la nature, la faiblesse des ressources locales étaient déjà angoissants, mais du moins étions-nous habités par l'ardent désir d'accompagner une intégration à la République, non par impérialisme, mais par respect des votes mahorais. Non pas pour exploiter des ressources ni bénéficier de bases militaires, mais par sincérité d'une réponse juste à une volonté politique. Et nous mesurions déjà, il y a vingt ans, combien la submersion migratoire entravait l'efficacité des services publics, de la santé et de l'éducation au premier chef. Les déséquilibres n'ont fait que croître.
Au retour d'une mission en mars 2018, j'avais dit à Édouard Philippe qu'il faudrait être capable de construire immédiatement 600 classes de plus pour le nombre des enfants à scolariser ; aujourd'hui, ce serait le double, ce qui est évidemment fou et impossible, et ces seuls chiffres donnent la mesure du défi permanent, et méconnu à Paris, de Mayotte, notamment parce qu'elle n'est pas protégée et que sa population est dépassée par le nombre de clandestins.
I. B. Les conséquences désastreuses du cyclone aurait-elles pu être anticipées et évitées ?
(Entretien à suivre demain...)
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Un commentaire
» Et nous mesurions déjà, il y a vingt ans, combien la submersion migratoire entravait l’efficacité des services publics, de la santé et de l’éducation au premier chef. » : Mayotte montre ce que sera la France dans quelques années si l’on ne fait rien pour arrêter ces élus pro migrants parce qu' » elle n’est pas protégée et sa population est dépassée par le nombre de clandestins » comme ici .