[Réaction] « Pour les habitants de l’Artsakh, ce sera la valise ou le cercueil »

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Consultant en géopolitique, Laurent Leylekian livre son analyse à notre micro au sujet de ce qui pourrait s'apparenter à une reddition de la petite armée de la république autoproclamée d'Artsakh (ou du Haut-Karabagh) face à l'offensive de l'armée azérie. Alors qu'un cessez-le-feu a été convenu et que l'heure est aux négociations, le sort de la petite république composée quasiment exclusivement d'Arméniens semble scellé.

Marc Eynaud. Le territoire de la république d’Artsakh a été attaqué par l’État de l'Azerbaïdjan. L’annexion de cette petite république composée quasiment d’Arméniens semble inévitable ?

Laurent Leylekian. D’après les dernières informations, il y a encore des poches de résistance, certains ont décidé de ne pas déposer les armes et de continuer à résister. Mais privés de tout soutien, je ne vois pas ce que ça peut donner. Le gouvernement de la république autodéterminée d’Artsakh a décidé de se rendre aux négociations avec l’Azerbaïdjan. Le Conseil de sécurité va se réunir, mais je ne crois pas qu’il décide de quoi que ce soit. C’est un lâchage dans les grandes largeurs d’un petit État qui essaie de construire une démocratie face à un État autoritaire, surarmé et soutenu par la Russie et la Turquie.

M. E. Cette petite république est quasiment exclusivement peuplée d’Arméniens. Que vont-ils devenir ?

L. L. Dans un État normal, ils pourraient devenir citoyens azéris, mais l’Azerbaïdjan ne reconnaît déjà aucun droit à ses propres citoyens, et encore moins aux Arméniens. Il a mis en place une politique de haine raciale contre les Arméniens. Il n’est donc pas envisageable d’être un citoyen arménien en Azerbaïdjan. Le choix est de partir. C’est la valise ou le cercueil. Ce sera sans doute le départ définitif d’une population qui était là depuis plusieurs centaines, voire milliers d’années.

M. E. La Russie ne devait-elle pas jouer un certain rôle d’apaisement ?

L. L. Il y a plusieurs interprétations possibles. La Russie, comme toute puissance, ne regarde que ses intérêts. Aujourd’hui, son intérêt est de maintenir le levier sur l’Azerbaïdjan. Elle a un levier quasiment total sur l’Arménie, qui n’a plus rien à vendre à la Russie. Au contraire, l’Arménie essaye de résister et fait des appels du pied à l’Occident sans que ce dernier ne réponde. En revanche, l’Azerbaïdjan joue très habilement du soutien russe et du soutien turc. Si le pouvoir actuel, avec Aliyev, tombe, en Azerbaïdjan, il y aura un gouvernement encore plus pro-turc. Les Russes veulent maintenir l’Azerbaïdjan dans leur giron. Ils sont obligés de faire des concessions à Aliyev. Par ailleurs, il y a quelques jours, le Premier ministre arménien, Pachinian, a fait faire à l’Arménie des exercices militaires, cela a été sans doute une ligne rouge pour la Russie. Il a donc été lâché par les autocraties locales.

M. E. Que va-t-il advenir de l’Arménie ? Est-elle menacée ?

L. L. Je le pense. En effet, il y a la volonté expansionniste et d’aventure militaire d’Aliyev. Il n’y a personne pour l’arrêter et l’Occident s’en moque. Peut-être l’Iran, qui n’a pas intérêt à avoir un continuum turc à sa frontière nord, d’autant plus que le régime d'Aliyev sert de base arrière à Israël pour mener des opérations de surveillance ou même de déstabilisation en Iran. Cela peut jouer un peu.

À la suite de ce conflit, Aliyev revendique déjà la zone sud de l’Arménie. Cette revendication trouve des échos à Moscou, qui se moque du Karabakh et souhaite le maintien du conflit. En effet, le maintien du conflit, c’est le maintien de sa présence. La Russie souhaite aussi contrôler les routes qui passeront, demain, de l’Azerbaïdjan à la Turquie. La situation est très loin d’être apurée ; au contraire, c’est la suite. Tant qu'on laisse faire les dictateurs, c’est de pire en pire.

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

Vos commentaires

25 commentaires

  1. J’attends encore un mot du Pape François pour les chrétiens d’Arménie, lui si prompt à nous condamner pour ne pas accepter l’envahissement (oui L’ENVAHISSEMENT) de l’Europe dont la France par des peuples en majorité musulmans attirés par les prébendes qu’on leur offre. Vous parliez d’égoïsme Très Saint Père ?

  2. La Russie ne bougera pas, car ça fait des mois, que, poussé par les amerloques, le pouvoir arménien crache sur les russes.

  3. Laurent Leylekian est bien connu aux institutions européennes où il a fait un bon travail pour la cause arménienne. Je suis d’autant plus surpris que dans cette interview M. Leylekian « oublie » de mentionner l’élément central qui nous a amené à la crise actuelle, à savoir le changement d’alliance opéré par l’actuel premier ministre arménien en annonçant d’une part la ratification par le Parlement arménien du traité fondateur de la Cour Pénale Internationale (une provocation de la Russie qui, selon le Parti républicain arménien « témoigne d’une cécité politique extrême qui aura des conséquences imprévisibles pour l’Arménie et le Haut-Karabakh ») et en invitant d’autre part l’armée américaine à faire des exercices militaires en Arménie. En trahissant ainsi le protecteur historique de l’Arménie et en mettant le destin du pays dans la main d’un protecteur lointain et non fiable M. Pachinian risque de terminer comme son homologue ukrainien qui se retrouve de plus en plus seul sur la scène internationale et, encore pire, sur le champ de bataille.

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