Renversement de pouvoir en Guinée, un nouvel épisode des Printemps africains
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Ce dimanche 5 septembre, le président en exercice depuis 2010 de la république de Guinée-Conakry, Alpha Condé, accroché à 83 ans au pouvoir jusqu’à s’imposer en octobre 2020 pour un troisième mandat inconstitutionnel renouvelable de six ans, a été renversé par un groupe de militaires. Avec des coups de feu de semonce mais sans bain de sang, à la différence des dizaines de victimes civiles protestant, un an plus tôt, contre le coup de force présidentiel.
Au-delà des récriminations internationales de façade et des menaces envisagées de sanctions économiques, opposition vaine et pathétique de technostructures dépassées par des événements dont elles sont coresponsables, celui-ci doit être interprété dans son contexte. Il présente des spécificités mais aussi des analogies avec d’autres passés et probablement à venir, comparables par leurs causes et leurs effets, sinon dans leurs modalités. Surtout, il envoie un nouvel avertissement aux dirigeants susceptibles d’être destitués par leurs populations aux abois.
C’est ainsi qu’un régime corrompu est tombé à son tour comme un fruit pourri, conséquence prévisible d’un ras-le-bol populaire de la défaillance et de la prédation publiques. Ce régime était « gâté » au double sens africain du terme : objet d’un soutien international inconditionnel au nom de principes à géométrie éthique variable de non-ingérence et de respect de la souveraineté ; gangrène de la mauvaise gouvernance encouragée par des voyous étrangers, investisseurs sulfureux et leurs entremetteurs cupides, attirés comme des éphémères par ce fabuleux coffre-fort de ressources naturelles dont les deux tiers des réserves mondiales de bauxite.
Le chef des insurgés, le colonel Mamadi Doumbouya, n’a pas le profil d’une tête brûlée impulsive. Ancien légionnaire diplômé d’études supérieures civiles et militaires en France et en Israël, son attitude et ses propos sont mûrement réfléchis et maîtrisés. Son coup de force était, d’ailleurs, annoncé en filigrane de son témoignage à un colloque qui s’est tenu à Paris, le 23 novembre 2017. Stagiaire à l’Ecole de guerre, il confiait alors son exaspération : « Les camarades européens ou américains sont accueillis avec une grande fraternité d’arme, mais leur connaissance de l’Afrique nous semble soit trop théorique, soit réduite aux représentations télévisuelles bien souvent éloignées de la réalité […] Leurs rapports privilégiés avec nos personnalités politiques nous posent problème. Nos gouvernants préfèrent en effet leur faire confiance plutôt qu’à nous, et les considèrent comme de véritables conseillers, fonctions que nous n’atteindrons jamais. […] Pour de nombreux militaires, soit la France se désengage volontairement de l’Afrique, soit elle ne dispose plus des moyens de sa politique, à la différence des Américains. »
Avons-nous su l’entendre ? Car nul ne peut décemment contredire, sur le fond, ses justifications actuelles : « La situation socio-politique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits des citoyens, l’irrespect des principes démocratiques, la politisation à outrance de l’administration publique, la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique. » Au fait, la situation décrite est-elle si différente, en nature ou en degré, de celle qui prévaut en France ?
Or, comme d’habitude, la communauté internationale n’a pas voulu forcer ce régime inique à tempérer sa gloutonnerie et sa « malgouvernance », ni conditionner toutes formes d’aide et de partenariat dont la mise en œuvre et l’usage réel des fonds ne sont jamais réellement contrôlés, leur détournement jamais sanctionné. Le déclenchement soudain de ces renversements de pouvoirs résulte d’une lente accumulation de désespérance populaire. Celle-ci est alimentée par l’aveuglement et l’hypocrisie du petit monde confortable des organisations internationales qui ont fait de l’administration du développement le développement de l’administration, des bailleurs de fonds obsédés par le décaissement, des États complices au nom de leur « raison d’État » (« l’anoblissement de la vérole », selon Michel Audiard), d’ONG qui vivent de rapports et de classements biaisés qui font référence.
Ce nouvel épisode, guinéen, d’un feuilleton de dix ans de « Printemps africains » sera suivi d’autres, selon des schémas différents. Là où l’armée reste sous contrôle, la rue ne l’est jamais indéfiniment.
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