La République amnésique (1) : la récente dictature du politiquement correct
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Durant le mois d’août, Boulevard Voltaire fait découvrir à ses lecteurs un livre récent que la rédaction a apprécié. Chaque jour, un nouvel extrait est publié. Cette semaine, La République amnésique, de Thierry Bouclier.
« Il est interdit d’interdire ». Le slogan a cinquante ans. Descendus de leurs barricades pour accéder au sommet des ministères, les acteurs de Mai 68 s’apprêtent à tirer leur révérence en nous laissant les fruits empoisonnés de leurs utopies. Rêvant d’une société sans entraves, ils ont accouché d’un État pudibond. La France du XXIe siècle n’est plus qu’une caricature de l’Angleterre victorienne ou de l’Amérique de la prohibition. Les interdits sont partout : la cigarette est proscrite ; le vin vilipendé ; la vitesse stigmatisée. Partout, l’ordre moral affiche ses signes ostentatoires d’autorité destinés à faire le bonheur des Français malgré eux. Détecteurs anti-tabac dans les restaurants. Alcootest à la fin des repas. Radars sur le bord des routes.
Si les ligues de vertu se contentaient d’inspecter le fond de nos verres, de filtrer l’air que nous respirons et de flasher la vitesse que nous atteignons, nous serions prêts à sourire face à ce dévoiement d’un chimérique principe de précaution. Malheureusement, sondant nos cœurs et nos reins, elles sont à l’affût de tous les mots qu’elles ont frappés d’interdit. Dans la société du politiquement correct, le tabou est devenu la règle, la liberté l’exception. La litanie des mots censurés résonne comme l’appel des causes devant un tribunal. Immigration. Préférence nationale. Discrimination. Patriotisme. Respect de la sécurité des personnes et des biens. Sévérité à l’égard des délinquants. Répression. Méfiance vis-à-vis de la construction européenne. Régime de Vichy. Souvenir de l’Algérie française. Restriction du droit à l’avortement. Refus du mariage homosexuel. Famille composée d’un père et d’une mère. École du travail et du mérite. Promotion de la morale.
Dès qu’un de ces mots est prononcé, la classe politique et la caste médiatique réagissent systématiquement, à l’image du chien de Pavlov, de façon instinctive sans aucun esprit critique. L’hystérie collective s’en empare. Les plaintes fusent. Les juridictions sont saisies. Les jugements rendus. Dans un réflexe irrationnel et anachronique, elles évoquent les années 1930. La montée du nazisme. L’horreur de la déportation. Associées aux treize années qui ont assombri l’Europe, ces expressions sont décrétées hors la loi et ceux qui les prononcent bannis de l’humanité.
C’est ainsi que tout un discours, considéré pendant des années comme exprimant le simple bon sens ou relevant de la libre polémique, sent aujourd’hui le soufre. Poussée par un vent ayant commencé à souffler en mai 1968, la classe politique a progressivement dérivé, à travers un mouvement irrésistible. Ce qui était hier admis par tous, de la gauche à la droite, est désormais considéré comme sulfureux. Réactionnaire. D’extrême droite.
Or, sur tous ces sujets, la gauche et la droite n’ont pas eu, depuis la proclamation de la IIIe République jusqu’au début des années 1980, la frilosité qui est aujourd’hui la leur. Si les interdits actuels avaient été en vigueur au cours de toutes ces années, les listes des suspects comporteraient des noms surprenants : Jules Ferry, Jean Jaurès, Georges Clemenceau. Roger Salengro ou Émile Zola. Marx Dormoy ou Léon Blum. Édouard Daladier. Edgar Faure. Pierre Mendès France. Guy Mollet. Charles de Gaulle. Simone Veil. Jacques Duclos. Georges Marchais. Le Parti socialiste. François Mitterrand. Valéry Giscard d’Estaing. Jacques Chirac. Tant d’autres encore. Tous, à un moment ou à un autre de leur existence, ont écrit le mot ou prononcé la phrase qui leur vaudrait aujourd’hui d’être stigmatisés, dénoncés à la vindicte publique, condamnés par les tribunaux.
Si les idées et les valeurs ont incontestablement dérivé à gauche, il importe néanmoins de préciser de quelle gauche il s’agit. Ce n’est pas celle qui parlait sous les IIIe et IVe Républiques, ou même au début de la Ve. Cette gauche est morte. Si elle revenait, elle serait interdite de parole et vouée aux gémonies. La nouvelle gauche a en effet oublié ce à quoi elle avait cru durant des décennies, comme la défense de la patrie, la sécurité pour les plus faibles et la morale à l’école. Son discours n’est plus qu’un mélange d’antiracisme, de mièvrerie et d’humanisme niais, le tout sur fond de censure, d’anathème et de conformisme béat.
Son unique succès est d’avoir réussi à amener sur son terrain une droite qui n’a jamais osé dire son nom. Une droite complexée n’ayant qu’une crainte : paraître à la traîne. Ringarde. Dépassée par l’évolution de la société. Et qui n’a qu’un objectif : doubler sur sa gauche cette pensée post-soixante-huitarde en démontrant qu’elle peut encore aller plus loin qu’elle. Main dans la main, gauche ayant appris à gérer et droite sachant enfin évoluer se retrouvent dans le marécage de la pensée unique. Tous ceux qui refusent de les suivre sur ce terrain sont excommuniés. Relégués à l’extrême droite. Exclus du « pacte républicain ». Catalogués fascistes et homophobes. Autrefois, ils auraient été tout simplement, selon leur sensibilité, de droite ou de gauche. Voire libres-penseurs ou esprits libres. Ils sont désormais la réminiscence nauséabonde des heures les plus sombres de notre Histoire. C’est cette dérive du discours politique, prisonnier d’un puritanisme intellectuel, que ce livre entend souligner à travers des exemples historiques. Pour décomplexer la classe politique. Et pour libérer les esprits de la chape de plomb qui les étouffe.
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