La révolte de la ligne 12
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De l'aveuglement, puis de l'indifférence, et maintenant de l'impuissance.
Des conducteurs de métro, sur la ligne 12 - la ligne 4 sera, bientôt, victime de la même abstention -, ne s'arrêtent plus à certaines stations parce que drogués et marginaux s'y sont installés et font craindre le pire.
Je sais bien qu'il n'est pas de bon ton de se plaindre d'un phénomène social et humain, surtout lorsqu'on a la chance de ne pas le subir quotidiennement. Il n'empêche que je n'appartiens pas au Paris bobo qui porte un regard distancié, faussement navré et s'émeut pour d'autres choses que la modernité confortable décrète prioritaires.
Il n'empêche que j'ai été capable, au fil du temps, de constater, ici ou là, les dégradations, les dérives, les risques de violence, le paroxysme d'une "liberté d'importuner" et que, comme un lâche, j'ai conclu que si je tirais mon épingle du jeu, je n'avais pas à me plaindre.
Je songe à toutes ces catégories de citoyens modestes qui sont confrontées chaque jour à des clochards, vendeurs d'objets volés ou de faux papiers, drogués et prostituées, et qui n'ont pas d'autre choix que de se dire que Paris change, que la municipalité s'en moque et que, surtout, il faut continuer à avoir le sourire parce que dénoncer ne serait pas progressiste.
Il y a des poches de menaces, des zones de transgression, des sphères de comportements inquiétants, comme le débridement d'une population souterraine qui estime avoir tous les droits puisque tenter de la normaliser ou de la sanctionner serait offenser sa misère.
Une politique officielle se déroule au grand jour, des structures vont se créer, une police de sécurité du quotidien et autres manifestations de bonne volonté, mais en dessous, c'est une autre existence qui s'agite, prend de l'ampleur et, dans ses ombres et ses replis, échappe à ceux qui tenteraient de la maîtriser même s'ils en avaient la velléité.
On ressent de plus en plus, contre les lumières affichées de l'État et de son autorité, le surgissement et la multiplication, dans le métro comme dans d'autres lieux désertés - et j'y inclus les prisons, où des surveillants et gardiens sont obligés de ne compter que sur eux -, de mondes qu'on ne régule plus, où la loi est faite par d'autres, illégitimes, où la normalité n'est même plus un espoir, juste une nostalgie.
L'aveuglement, longtemps, puis trop d'indifférence, et l'impuissance telle une fatalité aujourd'hui, ce serait donc cela, notre capitale sous Anne Hidalgo, cette peur diffuse, cette drogue, cette déliquescence, cette triste certitude que rien ne viendra arrêter le désordre, entraver le cours du pire ?
J'aurais même hésité à écrire ce billet si la révolte de la ligne 12 ne nous avait pas fait entrer dans un autre registre. Il ne s'agit plus seulement, presque banalement, de râler face au fonctionnement parfois médiocre de nos services publics - tout en les applaudissant quand ils nous offrent une régularité et une efficacité -, mais de devoir constater qu'un service public, de lui-même, a pris la décision de battre en brèche sa mission et de priver des citoyens de son soutien.
Et je l'approuve. S'il faut ce genre de signal, d'alerte pour alarmer enfin et faire bouger, pourquoi pas ?
Le métro ne s'arrête plus.
Demain, le ver sera dans quel fruit, le poison dans quelle réussite dont la France est fière ?
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