Révolte de palais au Gabon : tout changer pour que rien ne change
L’élection présidentielle de ce 26 août, au Gabon, a donné lieu à une grande confusion. Alors que les premiers résultats concordants donnaient pour vainqueur, avec au moins 60 % des voix, le principal opposant au président sortant Ali Bongo, une chape de plomb s’est abattue sur le réseau Internet national et les médias étrangers, en particulier français, isolant le pays du reste du monde durant environ 24 heures.
La plupart des observateurs étrangers anticipaient une victoire forcée d’Ali Bongo, tant le système électoral semblait verrouillé de l’intérieur. C’était négliger l’importance de signaux faibles qui se sont amplifiés depuis la précédente élection présidentielle, controversée. En 2016, le principal opposant, Jean Ping, alors largement reconnu vainqueur, avait dû céder la place à son beau-frère au terme d’émeutes populaires réprimées dans le sang. Or, ces transformations internes, ignorées ou sous-estimées par un observateur éloigné des réalités locales, ont abouti à une situation inattendue que l’expérience et l’accès à de l’information fiable permettent d’expliquer. Que se passe-t-il, en réalité ?
Une simple révolte de palais
Selon un scénario inspiré des renversements de pouvoir ces trois dernières années au Mali, en Guinée Conakry, au Burkina Faso et au Niger, une révolte populaire spontanée aurait pu imposer le rival reconnu vainqueur, M. Albert Ondo Ossa, candidat unique des principaux partis d'opposition réunis au sein de la coalition Alternance 2023. Toutefois, ce professeur d’économie, ancien ministre de l’Enseignement supérieur sans envergure ni expérience politique, mis en avant par une opposition divisée ne disposait pas de troupes ni de soutien financier. Reprenant la formule célèbre « Combien de divisions ? », les putschistes ont fait le pari gagnant de l’inaction légendaire de la communauté africaine et internationale, dont les récriminations impuissantes de la France s’apparentent, ici comme ailleurs, à du bluff qui la décrédibilise toujours plus en Afrique.
Or, c’est un tout autre scénario qui se confirme, celui d’une simple révolte de palais au sein du « clan Bongo » de l’ethnie Teke, pour se maintenir au pouvoir face à l’ethnie démographiquement majoritaire des Fang dont est issu M. Ondo Ossa. C’est pourquoi un groupe de militaires dirigés par le général commandant la Garde nationale, Brice Oligui Nguema, a annulé le scrutin, dissous l'ensemble des institutions et créé le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Afin de devancer un éventuel soulèvement populaire légitimiste qui aurait provoqué une véritable révolution ethnique davantage que politique. Tout en mettant fin à la « dynastie Bongo » dont le fils héritier, usé par des problèmes de santé, était porté à bout de bras par son entourage familial accroché aux avantages matériels du pouvoir.
Ainsi, ce renversement n’est pas le résultat d’une influence de l’État français ni d’une manigance de la Françafrique. Si ce terme, obsolète, est toujours fantasmé par des cercles pseudo-africanistes dépassés, l’État français n’a certainement pas tenté de maintenir au pouvoir Ali Bongo, comme le prétend grossièrement l’histrion Mélenchon à des fins de politique intérieure. Ce serait, d’ailleurs, lui donner un pouvoir qu’il n’a plus et ne veut plus.
Ali Bongo, que tout le monde appelait « le PDG », en référence au Parti démocratique gabonais autant qu’à son attitude de propriétaire économique de son pays, aurait pu quitter le pouvoir la tête haute - ou presque. Son acharnement, une fois de trop, lui vaut d’être destitué comme un roi déchu, rejeté par les siens. Une fois de plus, les perdants de ces luttes de pouvoir entre élites politiques et socio-économiques sont les populations locales, dans un pays qui bénéficie depuis des décennies d’une rente pétrolière mirobolante si peu redistribuée à ses deux millions d’habitants.
En guise d’élection démocratique illusoire sur fond de débat politique inexistant, on assiste ainsi à une double confiscation de pouvoir par les sécurocrates du clan ethnique Teke : celui du candidat présumé vainqueur, issu d’une ethnie rivale ; celui d’un chef de clan usé, jugé désormais incapable de défendre les intérêts particuliers des siens. Autrement dit, en référence à la célèbre réplique, il s’agit de « tout changer pour que rien ne change ». Jusqu’au renversement suivant…
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11 commentaires
Pour comprendre l’Afrique il faut lire les livres de Bernard Lugan , le grand spécialiste de ce continent en plein effervescence démographique, politique, culturel ,religieux etc…
Ah ces africains et leurs coups d’état ils ont remplacé les pays d’Amérique du sud dont c’était la spécialité. Vous avez remarqué ce sont en général (sic) des généraux bardés de médailles et bien gras qui prennent la place d’un autre qui leur ressemble. Leur motif: LE FRIC des aides internationales qu’ils transforment très vite en appartement à Neuilly, un chalet ç Gstaad (Suisse) et des comptes aux iles Caïmans.
En Afrique, tant qu’il y aura des ethnies belligérantes au sein d’un même pays nous aurons des émeutes, putschs et autres renversements de pouvoir. Le découpage de l’Afrique coloniale en est la conséquence. Faisons attention que cela ne se produise aussi chez nous par une immigration incontrôlée. Les récentes émeutes nous ont montré que c’est possible.
Il se dit que ce général serait le cousin d’Ali Bongo. Si c’est vrai la cassette sera bien gardée.
Effectivement, rien de bien nouveau sous le soleil, 147 coups d’état en Afrique depuis les indépendances, c’est un record du monde (sans ironie aucune). Toutefois, je relève une contradiction difficilement soluble: dans votre article vous expliquez que la France a perdu toute crédibilité car les putschistes savent qu’elle n’interviendra pas. C’est vrai, mais on peut se demander si une intervention ne serait pas encore pire: en effet, la méfiance envers les occidentaux, et la France, n’est plus à démontrer et repose en partie sur ses interventions qui sont vues comme de l’ingérence, voire du neo colonialisme. Et peu d’autres pays ont la volonté ou les moyens d’intervenir… or, si nos intérêts économiques au Sahel sont inexistants, le Gabon en revanche est beaucoup plus important, et le sentiment anti français y est moins répandu.. donc une intervention serait pire que l’inaction.
Le continent le plus riche du monde perdu par leurs propres habitants car maintenus dans la débilité des guerres tribales grâce aux grandes puissances mondiales qui pillent cette Afrique.
Tant pis pour eux quant au Gabon, il était temps que le pognon revienne à d’autres après des décennies au profit d’une seule famille ! Après tout, ils ont raison et maintenant, « c’est à mon tour de régner » se dit le nouveau Maître ! J’en rêve pour la France mais chutttttttt
Total pompe à grandes goulées au Gabon et les Gabonais sont toujours aussi pauvres. La France « condamne » le coup d’état; du bout des lèvres.
Combien d’argent avons nous déjà versé à ces pays pour enrichir des dictateurs qui vivent dans des palais et qui laissent leurs peuples mourrir de faim . Mettons fin à tout ça nous avons assez de problèmes à régler chez nous .
Il y a 40 ans, après être allé (et revenu très rapidement ) en Afrique j’avais eu la forte intuition que pour le bien de tous nous n’avions rien à faire ensemble, sinon quelques relations commerciales dénuées de tout autre corollaire.
Que de temps perdu, qui nous perdra aussi.
Citation : >>> Si ce terme, obsolète, est toujours fantasmé par des cercles pseudo africanistes dépassés … <<<
Observation exacte ! mais il convient également de faire observer que l'expression France-Afrique fut en son temps le reflet d'une exceptionnelle réussite de décolonisation, saluée par une majorité planétaire. Le fait que l'expression soit, en effet, devenue obsolete n'est pas dû à la qualité intrinsèque de la France-Afrique, mais bien à l'inimaginable dégénérescence de la France elle-même !
Comme c’est bien dit !