RN et arc républicain : le chef a cheffé et Antoine Armand est allé à Canossa

Capture d'écran ©France Inter
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Personne, il y a quelques jours, en dehors de la deuxième circonscription de Haute-Savoie, ne connaissait son nom. Mais il a aujourd’hui un surnom : Monsieur Volte-Face. En l’espace de 24 heures, il s’est fait remarquer par deux rétropédalages.

Monsieur Volte-Face

Comment le repérer dans la foule des nouveaux ministres ? C’est facile, il porte des lunettes. Des lunettes roses, très roses : il nous l’a montré, lundi, lors de la passation avec Bruno Le Maire. Ce fut un concert de louanges : il a voulu « évidemment » (sic) saluer l’action de Bruno Le Maire - « ton action, cher Bruno ». Il a même dit que pour lui, ce ministère était « l’une des plus grandes réussites de la dernière décennie », rajoutant qu’il « [mesurait] la chance d’hériter d’un tel bilan économique » (resic). Peut-être avait-il, dans l’émotion, retourné la feuille, pris le graphique de la dette à l’envers ? On s’inquiète un peu, forcément. Car tant de compliments laissent à penser qu’il aspire à suivre son exemple. Aïe, aïe, aïe…

Puis la nuit est passée, il a dégrisé, est retombé de son petit nuage, s’est remis de sa promotion inespérée… ou peut-être, tout simplement a-t-il mis, cette fois, la courbe dans le bon sens, car en 24 heures, le ton a changé : la France a « un des pires déficits de [son] histoire ». Jean qui rit est devenu Jean qui pleure. Premier changement de pied.


Le deuxième est intervenu ce mardi matin. Contrevenant aux injonctions de Michel Barnier, il a communiqué avant d’agir. Parce qu’on imagine qu’il n’a pas eu le temps d’agir dans l'intervalle, sauf s’il dégaine aussi vite que son prédécesseur, qui écrit des bouquins entre 3 h et 4 h du matin.

Sur France Inter, on lui a posé la question de la censure. Il commence par dire, souriant et détendu, que, quand il se lève le matin, « il ne pense pas à la motion de censure ». Peut-être un peu trop souriant et détendu ? Dans un entretien paru dans Le Dauphiné libéré au moment des élections, Antoine Armand, candidat Ensemble en Haute-Savoie, avait confié au journaliste que, s’il devait être un animal, il serait une marmotte. Michel Barnier aurait dû se méfier. Tout porte à penser qu’il dormait quand Marine Le Pen a mis en garde contre un gouvernement qui ne respecterait pas le RN et ses onze millions d’électeurs. Et aussi pendant que Michel Barnier exhortait ses lieutenants avant la bataille.

Car Antoine Armand, quand on lui demande s’il est prêt à travailler avec tous les groupes politiques, de La France insoumise au Rassemblement national, est très clair : il rappelle qu’il a été élu, comme beaucoup d’autres, dans le cadre du front républicain, et que ce front républicain, c’est « son histoire, son héritage ». Il pense avoir une dette - à son poste, il sait ce que c’est, une dette ! - envers le Nouveau Front populaire. Sans le désistement du candidat du Nouveau Front populaire, il n’aurait pas été confortablement réélu, le 7 juillet.

Le plus étonnant reste sa définition de la démocratie - « Si un député a été élu par des électeurs et si on ne respecte pas la fonction, on n’a pas compris ce que c’est que la démocratie. Il ne faut pas commencer par dire avec qui on ne va jamais travailler » -, qu’il pulvérise en une minute : « ...pour peu qu’ils fassent partie de l’arc républicain », dont ne fait pas partie le RN. Voici ce qu’il faut faire quand on a compris ce qu’est la démocratie : « respecter tous les députés » : et voici ce qu'il ne ne fait pas : « respecter tous les députés ». Il explique donc très clairement qu’il n'a rien compris à ce qu’était la démocratie. Preuve qu’on peut faire partie de l’arc républicain mais ne pas en être la flèche bleue. L’esprit de finesse n’est pas l’esprit de géométrie, disait Pascal. On peut être un brillant esprit normalien et ne pas avoir d’intelligence de situation.

Rectificatif 

Nombre de députés RN, chacun dans son style, ont fait savoir, ce mardi, qu’ils avaient reçu le camouflet cinq sur cinq. Thomas Ménagé rétorque que si Antoine Armand laisse la porte fermée, c’est lui qui risque de la prendre assez rapidement, et Matthieu Valet qu’il pourrait renvoyer le Savoyard à ses chères montagnes (en même temps que son moniteur de ski, puisque c’était, paraît-il, le surnom qu’avait donné Chirac à Michel Barnier). Quand te reverrai-je, pays merveilleux ? Peut-être plus vite que prévu. La maman d’Antoine Armand a omis de lui apprendre qu'il ne fallait pas jouer avec les objets tranchants : quand une épée de Damoclès vous tombe dessus, elle peut faire très mal.

Le premier communiqué de presse du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie n’a pas traîné. C’est un rectificatif, mais en bon français, on appelle cela « aller à Canossa » : « Dans la ligne politique fixée par le Premier ministre et comme affirmé dans son discours de prise de fonction, Antoine Armand recevra toutes les forces politiques représentées au Parlement et conviera chaque président de groupe dans cet état d’esprit. » Visiblement, le moniteur de ski sait cheffer et Antoine Armand n’est pas près de décrocher son premier flocon (phrase librement inspirée de la prose de feu Jacques Chirac.)

C’est donc une première victoire pour le RN, qui avait posé le respect à son endroit comme une condition non négociable. Et c’est un bon point, bien sûr, pour Michel Barnier, qui a montré tout de suite de quel bois il se chauffait. Pour un moniteur de ski, les bonnes bûches dans la cheminée du chalet, c’est important.

Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les types de 60 kilos les écoutent. La phrase des Tontons flingueurs est célèbre et fonctionne aussi pour les millions d’électeurs.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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