Robert Castel, ou de l’art de rire de son propre malheur
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Avec le décès de l’acteur Robert Castel, c’est un certain cinéma qui s’en va, cinéma des pieds-noirs, cinéma que les moins de cinquante ans n’ont pas ou peu connu. Et pourtant, ce genre un peu à part a fait, à sa manière, les belles heures de nos grands écrans, en ces temps reculés du giscardo-mitterrandisme.
À l’annonce de sa mort, Enrico Macias, autre tête de gondole de l’époque,et par ailleurs remarquable guitariste, affirme : « J’ai perdu un frère. C’était un frère à tous points de vue. […] C’est lui qui m’a guidé pour jouer la comédie, car je suis chanteur avant tout. » En effet, Robert Castel, Robert Moyal de son vrai nom, est issu d’un milieu de musiciens. Son père, Lili Labassi à la scène, est l’un des maîtres du chaabi, musique judéo-arabe sur fond andalou, ensuite supplantée par le raï, puis le rap, le Maghreb n’échappant pas plus que nous à la déferlante états-unienne. Quant à notre Enrico national, faut-il encore savoir que son père est violoniste dans l’orchestre de Cheick Raymond, son futur beau-père et accessoirement expert en malouf, variante tunisienne du chaabi algérien. Personne n’aura donc attendu l’actuel antiracisme de salon pour rappeler que l’identité française peut être aussi le fait d’apports aussi variés qu’exotiques.
En 1957, Robert Castel, avec La famille Hernandez, pièce de théâtre privilégiant les techniques d’improvisation, bien avant Jamel Debbouze, fait les belles heures du music-hall de la métropole. Une fois de plus, Paris n’est pas rétif à adopter les cultures issues des marches de son empire finissant. Pourtant, en 1962, c’est la rupture : pour les Français de France et d’Algérie. Des centaines de milliers de ces derniers rejoignent, plus ou moins forcés – plus que moins, d’ailleurs –, la mère patrie, exportant avec eux leurs racines.
C’est à cette occasion que la carrière de Robert Castel est véritablement lancée, incarnant à jamais la figure emblématique du pied-noir, avec sa truculence et sa faconde. Bref, il trouve ici le rôle de sa vie. Bénédiction ou malédiction : il ne saura, ou jamais ne pourra s’en sortir. D’aucuns objecteront que pour un acteur, tout vaut mieux que le chômage et que certains, sûrement plus talentueux que lui, auraient bien aimé être pour l’éternité enfermés dans un tel placard doré. En effet, il enchaîne dès lors les prestations, généralement de second plan, alternant films haut de gamme (Dupont Lajoie, d’Yves Boisset, en 1974) et autres de l’espèce moins exigeante (Arrête ton char… bidasse !, de Michel Gérard, en 1977), tout en promenant son accent reconnaissable entre tous et sa tête d’éternel ahuri.
Tout cela coïncide avec les grandes heures de ce cinéma pied-noir plus haut évoqué. Avec ses sommets relatifs, Le Grand Pardon, d’Alexandre Arcady, qui, en 1978, se veut l’équivalent pied-noir du Parrain, de Francis Ford Coppola, avec Roger Hanin en guise de Marlon Brando. Mais encore avec ses abymes, tel qu’en témoigne le Rodriguez au pays des merguez, de Philippe Clair (Prosper Bensoussan, à l’état civil), décédé ce 20 novembre dernier. Tournée en 1979, cette tentative louable, mais pas tout à fait convaincante, proposait de transposer Le Cid de Corneille dans le Bab El Oued de l’après-guerre. Inutile de préciser que le résultat continue de faire les belles heures des amateurs de cinéphilie déviante.
Néanmoins, de ce cinéma éminemment populaire demeure un sentiment persistant : celui d’une certaine retenue. Les cendres de la tragédie de l’exode sont encore chaudes, mais on n’y trouve ni rancœur ni ressentiment. Comme si le meilleur moyen d’en finir avec le malheur consistait encore à en rire, suivant ainsi l’exemple de Gérard Oury et de sa Grande Vadrouille, tournée vingt ans après l’Occupation.
Le chagrin avait alors ses élégances. À l’instar du défunt Robert Castel qui, tout au long de sa longue carrière, privilégia toujours plus la poilade que la jérémiade. Un exemple à aujourd’hui méditer ?
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