Romain Agure : « Au moment de l’assaut, il n’y a pas de doute sur ce qui doit être fait. »
Ancien membre du GIGN, Romain Agure a participé, le 9 janvier 2015, à l'assaut au cours duquel les frères Kouachi, auteurs des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, ont été tués. Il vient de publier, le 14 janvier 2021, Kouachi : L'assaut final. Récit embarqué de la traque et des trois jours qui ont changé la France. Au micro de Boulevard Voltaire, il évoque cette journée et son engagement au sein du GIGN.
https://www.youtube.com/watch?v=FtOvqxxnpjI
On est le 9 janvier 2015, deux jours après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, les frères Kouachi se retranchent avec un otage à Dammartin-en-Goële, dans une imprimerie. Vous êtes membre du GIGN et vous avez participé à l’assaut final. Avant d’évoquer cette journée, que s’est-il passé, pendant les deux jours précédant l’assaut. Étiez- vous en état d’alerte ?
Le jour des attentats, dans les locaux de Charlie Hebdo, nous étions à une conférence au sein du GIGN. Cette conférence a lieu tous les ans et traite les rythmes d’orientation futurs et passés de l’unité. Ensuite, il y a eu une espèce de flottement au sein de l’assemblée. Les téléphones ont tourné et on a rapidement eu les informations selon lesquelles les terroristes venaient de frapper au sein de Charlie Hebdo. Nous avons tout de suite proposé au commandement de préparer le matériel. Nous avons temporisé un moment, histoire d’avoir des éléments probants qui puissent nous permettre d’avoir une localisation exacte des individus. La première journée s’est déroulée relativement simplement.
Le lendemain, dès qu’ils ont braqué la station essence dans le nord de Paris, nous sommes partis immédiatement pour la traque.
Le 9 janvier, vous êtes envoyé à Dammartin-en-Goële. L’assaut s’est soldé par la mort des deux frères Kouachi. Pouvez-vous nous raconter cette journée ?
Toute une partie de la journée du 8 janvier et la nuit, nous avons réalisé la traque avec une météo assez défavorable. Après une petite sieste au sein du gymnase de Villers-Cotterêts, nous avons été informés que les frères Kouachi venaient de voler un véhicule à une vingtaine de kilomètres. Nous nous sommes mis en route immédiatement. Ensuite, ils se sont dirigés vers Dammartin-en-Goële, où ils se sont retranchés.
Concernant ma section, nous étions d’alerte. Nous avions immédiatement pris la route en véhicule. D’autres personnels sont arrivés quasiment en même temps que nous par voie aérienne et ont été largués sur les lieux.
Combien de temps l’assaut a-t-il duré ? A-t-on une notion de temps, dans ces moments-là ?
Dans ces moments-là, nous n’avons pas vraiment de notion de temps. Toute la partie d’attente nous paraît relativement rapide. Tout le temps qui nous est mis à disposition par les terroristes n’est que du bénéfice pour nous, car il nous permet de peaufiner nos moyens ainsi que l’assaut. L’assaut en lui-même paraît long parce qu’on est en hyper-focus. Tous nos sens sont en éveil et chaque chose se passe un peu plus au ralenti. L’assaut doit peut-être durer une ou deux minutes.
Les frères Kouachi ont commis ce carnage dans Charlie Hebdo. Ces types ont été entraînés et formés avec du matériel de guerre. Quand vous êtes allé sur les lieux, aviez-vous conscience que ces types étaient prêts à tout et lourdement armés ?
Dès la première journée, nous avons établi les profils des individus par rapport aux images que nous avions réussi à avoir via les médias. Cela nous a permis d’analyser la manière dont ils tenaient leurs armes et dont ils visaient. Cela nous a permis de voir leur tenue vestimentaire. Nous avons pu voir qu’ils avaient un bon niveau de préparation.
Comment se sont déroulées les deux minutes de l’assaut ?
Il y a toujours de la peur, mais pas au sens où on peut ressentir la peur. Cela fait déjà un peu plus de six heures que nous sommes sur les lieux au moment où les frères Kouachi sortent de l’imprimerie. Nous sommes prêts. Nous nous mettons en place tout autour de l’imprimerie. Une grosse partie des camarades sont déjà autour de l’imprimerie et au moment où nous terminons de mettre les derniers éléments en place, ils décident de sortir et ouvrent le feu. Évidemment, des balles claquent, des rebonds, la végétation se fait découper à côté de nous, des feux volent, mais nous montons quand même sur les individus. À ce moment-là, il n’y a pas de doute sur ce qui doit-être fait.
Pendant l’attaque de l’Hyper Cacher, les médias ont indirectement aidé les terroristes en leur montrant où étaient les forces de l’ordre. Cela s’est-il passé comme cela, avec les frères Kouachi ?
Effectivement, le même média a fait la même chose. Ils ont un peu saboté les informations et la négociation qui aurait pu être entamée du côté de l’imprimerie. Dès qu’ils ont su qu’ils étaient retranchés là-bas, ils ont appelé et sont entrés en contact avec les terroristes, leur donnant l’occasion de faire leurs revendications, et une fois que leurs revendications étaient faites, ils n’ont plus eu rien à dire.
Le GIGN a-t-il essayé de négocier avec les frères Kouachi ?
Bien évidemment.
Quand vous êtes monté à l’assaut, vous saviez que vous alliez affronter deux types dangereux qui savaient qu’ils allaient y passer.
Ils voulaient mourir en martyrs. Notre objectif était de réussir à les avoir vivants pour ne pas leur donner ce qu’ils cherchaient. Malheureusement, ils avaient bien intégré ce que j’appelle le réflexe de l’infériorité numérique. Ils ne nous ont pas laissé le choix.
Lorsque vous êtes arrivé sur place, étaient-ils déjà morts ?
Cela s’est déroulé en plusieurs parties. Je le décris effectivement dans le récit. J’ai envie de dire qu’ils sont neutralisés en quelques secondes, mais c’est plus long que cela. C’est presque une partie d’échecs. Lorsque je dis « échecs », je ne parle pas du jeu, mais c’est l’échec de la mission et de l’objectif que l’on s’était fixé, c’est-à-dire de les avoir vivants.
Vous êtes-vous dit que vous aviez vraiment envie de vous « faire » ces deux fumiers ? Ce serait une réaction tout à fait humaine…
Votre remarque est très pertinente et elle me permet également de rebondir. C’est ce qui m’a un peu amené à rédiger ce récit. J’ai beaucoup entendu cela, dans le secteur civil. Ce n’est pas péjoratif lorsque je parle du secteur civil. Les gens me disaient : « Vous avez bien fait de les buter. »
Dans les valeurs qui sont défendues au sein de la gendarmerie et au sein du GIGN, il y a trop de respect pour la vie, même si ces gens-là ne la respectent absolument pas et mériteraient que leur vie ne soit pas, non plus, respectée. Mais on est un maillon de la chaîne et de la République, et on a une mission et un rôle. On a signé et on s’est engagé pour tenir ce rôle. On se doit de le tenir dans les valeurs humaines pour lesquelles on s’est engagé.
Il y a eu un vrai débat de société lors du sacrifice du colonel Beltrame. On avait l’impression que la société avait perdu ce concept de mourir pour quelque chose qui nous dépassait. On peine à croire, dans la France de 2021, qu’on puisse faire un métier où, concrètement, la finalité est de mener la mission, quitte à y laisser sa vie. Mourir pour quelque chose est une valeur qui se perd. C’était un sacrifice que vous étiez prêt à faire ?
Lorsqu’on met les pieds, ne serait-ce que pour se présenter aux sélections du GIGN, c’est l’état d’esprit dans lequel il faut se trouver. Pour ma part, c’est dans cet état d’esprit que je me suis mis immédiatement. J’ai toujours voulu servir et être utile. Même si c’est moi qui raconte cette mission, on a tous la même vision des choses, le même engagement, les mêmes valeurs. On défend tous ce côté humain. Mourir pour des valeurs, on peut penser aujourd’hui que cela a tendance à disparaître.
J’ai envie de dire à ces jeunes qui se cherchent peut-être : prenez les bonnes décisions, vivez vos rêves au lieu de rêver de votre vie, allez-y à fond et donnez-vous les moyens.
Il y a trois ans, Boulevard Voltaire avait interviewé un rescapé de l’embuscade d’Uzbin qui avait coûté la vie à onze soldats français. Cet ancien soldat s’est pris un gros syndrome traumatique dans la figure. Cela peut-il arriver à des membres du GIGN ?
On reste humain. Derrière les uniformes et derrière les casques et les cagoules, il y a des hommes avec un cœur, une famille et des enfants. Quand vous prenez conscience que vous êtes prêt à laisser votre vie et, par conséquent, votre famille pour des valeurs et votre nation, vous vous posez forcément énormément de questions. Lorsque vous sortez de certaines missions où vous rangez votre matériel et que vous prenez votre douche, vous vous dites que sur cette mission, ce n’est pas passé loin. Dans ce métier-là, vous êtes obligé, en permanence, de vous remettre en question, parce que si vous ne le faites pas, vous allez à la mort.
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