Russie-Occident : ça va mieux ?
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Trente ans après la fin de l’URSS, on peut s’étonner du caractère exécrable des actuelles relations russo-occidentales. À croire que les changements intervenus depuis 1991 n’ont pas eu lieu : le retour au capitalisme et à la propriété privée, la fin du parti unique et le multipartisme, le renouveau religieux et la fin de l’athéisme d’État, la liberté de voyager, le retour des artistes et intellectuels bannis, l’ouverture des archives… rien n’y fait. En Occident, le chœur quasi unanime des médias, politiques, universitaires clame invariablement : à l’Est, rien de nouveau.
Et d’alerter sur l’ogre totalitaire qui serait toujours à nos portes. Comme preuve de ce danger persistant, on invoque le refus russe d’adopter sur la période soviétique le point de vue occidental. Pour réussir ce test prétendument incontournable de sa crédibilité démocratique, la Russie se voit en effet sommée par l’Occident de rompre aussi radicalement avec le soviétisme que l’Allemagne est supposée l’avoir fait avec le nazisme après 1945. Quand on sait le rôle essentiel que joue dans leur identité ce que les Russes appellent la Grande Guerre patriotique et la fierté qu’ils tirent de leur victoire sur le nazisme, on peut exclure d’avance que les sommations occidentales soient suivies du revirement mémoriel escompté. Mais, à coup sûr, elles entretiendront la guerre froide russo-occidentale.
En cette année 2021, qui est aussi celle du 80e anniversaire de l’attaque allemande de 1941, rappelons que l’opinion très majoritaire des Russes ne s’enracine ni dans la propagande ni dans un tropisme totalitaire irrépressible mais dans l’expérience, vécue par les générations précédentes, du cataclysme qui s’abat sur leur pays, le 22 juin 1941. Ce jour-là, sur un front de trois mille kilomètres, de la mer Noire à la mer Baltique, l’Allemagne nazie et ses alliés lancent par surprise contre l’URSS trois millions d’hommes dans une attaque qui reste la plus grande offensive de l’Histoire. Les actuels contempteurs de la Russie oublient tout autant que l’agression nazie est aussi le début d’une guerre génocidaire dont le but est, avec l’éradication de la Russie, l’extermination des Slaves et des Juifs. « La Russie doit être liquidée », disait Hitler. Conséquence de ces directives, mille citoyens soviétiques militaires et civils meurent toutes les heures lors des six premiers mois de guerre. Au total, rappelons-le encore, l’agression allemande causera la mort de 27 millions de citoyens soviétiques.
C’est dans ce traumatisme, sans équivalent dans leur histoire, que s’enracine l’actuel refus des Russes d’admettre les injonctions et le déni qui balisent fallacieusement le regard occidental. Et comment l’opinion russe sur cette période pourrait-elle ne pas être confortée par le choix fait alors par les deux principaux États occidentaux d’alors, à savoir les États-Unis et la Grande-Bretagne, ainsi que par le chef de la France libre, qui, dès le 22 juin 1941, choisissent sans hésiter de soutenir l’URSS ?
Alors qu’on célèbre tous les ans le Débarquement comme l’opération qui aurait permis à elle seule de libérer la France, il s’impose de rappeler qu’Overlord n’aurait pas eu la moindre chance de réussite sans l’effrayante contribution soviétique. Les chiffres sont, à cet égard, éloquents : les pertes militaires de l’Union soviétique représentent, à elles seules, 88 % du total des pertes alliées en Europe.
Ceux qui, pour mieux entretenir la mésentente russo-occidentale, agitent l’épouvantail russe et réécrivent une « Histoire officielle » dictée par les impératifs de l’atlantisme feignent de l’ignorer : qui ne saisit l’ampleur de la tragédie soviétique lors de la Deuxième Guerre mondiale est voué au révisionnisme qui aboutira tôt ou tard à condamner rétrospectivement Roosevelt, Churchill et de Gaulle pour avoir choisi Staline contre Hitler.
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