Sainte-Victoire : hommage à Jacqueline de Romilly
La montagne Sainte-Victoire est-elle de droite ? Telle est la question que je me posais, un jour d’automne, sur la route du Tholonet. Face à moi, la Sainte avait des éclairs métallisés par le soleil couchant. Certes, la route est loin de celle, rustique, de Cézanne mais c’est la même terre rouge et le même ciel. Elle est liée, pour moi, au livre de Jacqueline de Romilly Sur les chemins de Sainte-Victoire, et à la Grèce, à laquelle la Provence ressemble. Le 18 décembre étant le jour anniversaire de la mort de cette helléniste hors pair, qu’il me soit permis de rendre, ici, un hommage modeste à cette grande dame du quai Conti dont la voix nous manque, ô combien !
Chaque fois que je marche sur la route de Cézanne qui sent le pin et l’olivier, je mesure le désastre que représente, dans notre enseignement secondaire, le saccage des humanités alors que notre pensée, avec sa langue, a été façonnée par les Grecs et les Romains. Jacqueline de Romilly a-t-elle déploré ce naufrage ! En 1984, visant le noyau pédagogiste de l’Éducation nationale, elle écrivait : « Nos ennemis ne sont pas à l’extérieur mais bien à l’intérieur de l’institution. » Faire du grec, c’est saisir les idées à leur source, dans leur élan créateur. Du latin, c’est apprendre notre langue. Je déplore que l’Académie française n’ait pas « conservé » la place qu’elle aurait dû aux Lettres classiques. On me dira que l’hôtel aixois de Caumont, qui abritait jadis le splendide Conservatoire de musique Darius-Milhaud, est devenu un Culturespace, avec salon de thé de luxe.
Quand je traverse, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, la petite place dédiée à celle qui, la première, entra au Collège de France, non parce qu’elle fût une femme mais pour ses dons exceptionnels, je pense à cet éloge de l’homme dans Antigone, de Sophocle. « Il n’est pas de plus grande merveille que l’homme… Contre la mort seule, il n’a trouvé de remède. » Nos contemporains, dévorés par l’hubrys, accouchent de chimères : monstres imaginaires, créatures maléfiques, nés de Gaïa et de Tartare. Les premiers à l’avoir enseigné sous la forme, intelligible, des mythes sont les Grecs : les histoires transgressives finissent toujours mal. L’homme n’est pas la mesure de toute chose.
C’est par le Vieux-Port, à Marseille, qu’accostèrent les Grecs. Plus tard, la Provence devenait romaine et chrétienne. Ainsi commençait notre Histoire. Ce même soir d’automne, sur la Canebière, je croisai Franz-Olivier Gisbert - citoyen du monde, s’il en est -, souriant sous un feutre vert olive. De retour, à la maison, près de la Torse où nagent Les Grandes Baigneuses de Cézanne, je réfléchissais à la déroute de notre civilisation.
Face à la déconstruction de l’Europe, le seul à répéter que notre civilisation est gréco-romaine et chrétienne est Éric Zemmour. De Gaulle et Mitterrand disaient-ils autre chose ? Mais ça, c’était avant le « wokisme ». Deux questions s’imposaient donc à mon esprit : la chérie de Cézanne est-elle genrée ? Sainte-Victoire est-elle fasciste ?
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