Salah Abdeslam a déjà gagné son procès
3 minutes de lecture
Éric Dupond-Moretti l’ignore probablement encore, hélas. À peine les audiences ouvertes, Abdeslam a déjà gagné son procès. Haut la main, succès garanti pour ce procès « du siècle », « historique », « indispensable », « le procès de tous les superlatifs », selon le garde des Sceaux. Le « plus long procès de notre histoire » : neuf mois, une grossesse, et dix millions d'euros d'investissement pour le ministère de la Justice, une salle d’audience spécifiquement construite pour l’occasion : 45 mètres de longueur, pour accueillir 550 personnes. Un demi-millier de personnes, et la star, Abdeslam. Même à Cannes, pour la montée des marches, on n’aurait trouvé mieux pour attirer les audiences, haranguer les foules, et surtout, surtout, susciter les vocations, créer des émules. Quand la célébrité vous monte à la tête, le vertige, une telle gloire peut facilement vous en déséquilibrer des plus modérés.
Près de six ans après les attentats commis au nom d’Allah, un marathon judiciaire va donc s’ouvrir, des parties civiles par milliers, des magistrats, avocats et forces de l'ordre par centaines. Pourtant, l'« ennemi public numéro 1 », le bourreau du sacro-saint vivre ensemble, Abdeslam, n'est que peu impressionné par cette débauche de moyens, il ouvre le bal par la chahada : « Il n'y a point de divinité à part Allah et […] Mohamed est son serviteur et son messager. » C’est la profession de foi musulmane, le premier des cinq piliers qui définissent les bases de tout croyant, fût-il respectueux des valeurs républicaines, radicalisé ou victime immanente de la société occidentale mécréante. Mais stop ! Ne versons pas dans l'amalgame.
Humainement, de toute évidence, la tragique douleur des parties civiles ne peut être occultée. « C'est un procès qui intéresse au premier chef les victimes, mais aussi l'ensemble de nos compatriotes […] le monde entier va regarder ce procès », poursuit Dupond-Moretti. Avec la peine de mort abolie, l'issue du procès est déjà connue d'avance, ce sera perpète, le soutien psychologique pour l'accusé sera un plus. Mais entre-temps, la république laïque veut comprendre. Quatorze siècles de conquête islamique, d'accord, mais au Bataclan, que s'est-il passé ? Où est donc Ornicar ? Des bougies, des slogans, des Charlie, des vous-n'aurez-pas-ma-haine, et un logiciel républicain dont la vision strictement laïque des événements occulte la nature fondamentalement religieuse de la guerre qui se déroule sous ses yeux.
Le tapis rouge, couleur Bataclan, pour Abdeslam, le « combattant de l'État islamique », une tribune quotidienne pour celui qui ne reconnaît que la justice d'Allah, la charia, qui brocarde la légitimité de ce tribunal et dont les faits, les gestes et les provocations seront scrutés, analysés, mis en exergue à longueur d'audiences. Les djihadistes en ont rêvé, la république, garante d'un État de droit devenu obsolète dans nombre de ses territoires perdus où Abdeslam sera probablement élevé au rang de héros, l’a fait. Notre Justice s'attarde au symptôme, fait à grands frais le procès du djihadiste en s'abstenant d'instruire celui de l’idéologie qui sous-tend ce terrorisme ; par ce processus, elle traite la conséquence et est à des années-lumière d'en traiter la cause fondamentale. À ce rythme, nous sommes certes entrés à grands frais au tribunal mais encore très loin de sortir de l'auberge.