Salon de l’agriculture : le mal-être des bien-aimés
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Sur les 400.000 agriculteurs officiellement recensés, combien vivent réellement du fruit de leur travail ? Depuis quelques années, les statistiques n’ont guère évolué : à ce jour, 20 % des paysans français ne parviennent toujours pas à se verser de salaire mensuel, 30 % y arrivent à hauteur de 350 euros par mois. La moitié restante réussit, mais à quel prix, à se dégager un revenu d’environ 1.500 euros ou plus.
Si le mal-être des agriculteurs se nourrit de cette insuffisance de revenus, il est également alimenté par la remise en cause des fondements du métier. En effet, les nombreuses crises sanitaires ont battu en brèche le rôle nourricier de l’agriculteur, rendant le consommateur non seulement suspicieux mais surtout méfiant envers les produits de base ou transformés, qu’ils soient bio ou non.
La montée en puissance de la mode antispéciste et la disparition annoncée des insectes, en raison de pratiques jugées intensives, viennent un peu plus accentuer le phénomène de rejet du monde agricole considéré comme polluant. De plus, la volonté de l’Union européenne de transformer, à travers la politique agricole commune, le paysan en paysager écolo, entretenant chemins ruraux et vicinaux, haies, sous-bois, éloigne le paysan de sa vocation première de nourrir son prochain. Enfin, la fracture numérique des territoires ruraux achève de déconsidérer ce milieu où le travail, le don de soi sont autant des vertus cardinales que des valeurs essentielles et sincères.
Ceux qui se considèrent comme « les soutiers de la grande consommation » et sont victimes d’une campagne de dénigrement (« agribashing ») injuste tiennent pourtant leur 56e Salon, à la porte de Versailles à Paris. Sans mettre les petits plats dans les grands, ils expliquent à qui veut bien prendre le temps de discuter tout l’amour et toute la passion qu’ils mettent dans la croissance de leur blé, dans la production de lait ou de viande, dans l’élevage de porcs, de poules, de canards, dans la production de vin, de spiritueux, de saucisson, de foie gras, bref, dans tout ce qui constitue une partie de la culture française. Nos compatriotes le leur rendent bien : ils sont 85 % à avoir une bonne opinion des agriculteurs et à les considérer comme utiles, courageux, passionnés, sympathiques, proches des gens mais aussi pollueurs (selon le sondage Odoxa du 21 février dernier).
En réalité, il n’existe pas une agriculture mais des agricultures pour des marchés et des besoins spécifiques et différents : des agricultures bio, raisonnée, intensive, extensive, pour les riches, pour les pauvres, pour les végans, pour les viandards, etc. Chacun devrait et doit pouvoir y trouver son compte. À condition, aussi, que les entreprises d’aval qui transforment les produits bruts en plats cuisinés, par exemple, jouent le jeu.
Nos paysans français, dont Montesquieu disait qu’il les aimait parce qu’ils « ne sont pas assez savants pour raisonner de travers », ont compris leur intérêt en adaptant leurs modes de production, en investissant dans des pratiques moins intrusives. Tous ces efforts commencent à payer en termes d’image, mais pas encore en espèces sonnantes et trébuchantes. Ce ne sont pas les suites des États généraux de l’alimentation qui vont remplir le portefeuille des agriculteurs. Les agriculteurs français qui sont bons, mais pas cons et surtout pas dupes, ne souhaitent pas devenir les dindons de cette farce politico-économique.
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