Salon du livre : Macron montre ses muscles en boudant la Russie

Quand un chef d’État boude un régime autoritaire, on pourrait croire que c’est sa conscience qui le conduit. Quand, dans le même temps, il fait des risettes à des régimes dictatoriaux, on est en droit de s’interroger sur ses arrière-pensées.

Emmanuel Macron a visité, jeudi, le Salon du livre en compagnie de son épouse : il a soigneusement boycotté le stand de la Russie, qui devrait pourtant être à l’honneur, puisque quarante écrivains russes contemporains y sont présents. Moscou n’est-elle pas accusée d’avoir empoisonné un ex-espion russe au Royaume-Uni ? Notre Président a affirmé que "tout porte à croire que la responsabilité est attribuable à la Russie", bien qu’elle nie toute implication.

Macron ne transige pas avec la morale et ne déjeune pas avec le diable, fût-ce avec une très longue cuillère. Il annoncera des mesures dans les prochains jours, après s’être concerté avec Angela Merkel, sans l’accord de laquelle il semble ne rien décider. Dans l’immédiat, il a décidé de ne pas se rendre sur le site officiel de la Russie "en solidarité avec nos amis britanniques".

Mais il ne faudrait pas croire qu’il fît payer à des écrivains qui n’y sont pour rien des règlements de comptes entre services secrets. Il a tenu "à redire combien il est important de poursuivre le dialogue avec les intellectuels, avec les auteurs, avec la société civile, avec les musiciens, avec toutes celles et ceux qui portent la force de ce peuple et qui d'ailleurs parfois s'opposent avec beaucoup de courage contre tous les excès du régime en place".

Quel courage, n’est-ce pas, de dénoncer Poutine, sans le nommer expressément, à la veille d’une réélection qui s’annonce triomphale ? Un Président qui s’oppose à Trump, à Poutine – mais qui se réfugie dans le giron de la chancelière allemande pour décider d’une politique commune –, c’est un Président qui en a ! Qui montre ses muscles, plutôt, comme un enfant qui rembourre ses manches pour paraître plus robuste.

Certes, se débarrasser d’un ex-colonel russe du renseignement militaire, accusé d’espionnage au profit du Royaume-Uni – et de sa fille, de surcroît –, n’est pas un exemple recommandable : mais, quand on rentre dans le monde de l’espionnage – films et polars en font foi, voire des faits réels qui remontent à la surface –, on peut s’attendre à tout. Barbouzes et tontons flingueurs entrent en action : une bastos dans le buffet vaut bien un empoisonnement à l’agent innervant Novitchok.

Le problème, c’est que notre père la vertu, devenu père Fouettard, semble moduler ses jugements selon ses intérêts. Jouer les bravaches à l’égard de Poutine, qui ne s’en inquiète guère, relève du trompe-l’œil. Mais pourquoi, en d’autres occasions, ne manifeste-t-il pas sa réprobation contre d’autres pays qui ne sont pas des modèles en respect des droits de l’homme ni en démocratie ? Pourquoi vend-il des armes à l’Arabie saoudite, qui bombarde le Yémen ? Pourquoi signe-t-il avec la Chine des contrats faramineux pour Airbus ou pour Areva ?

Il faut bien y revenir : l’argent rend aveugle et justifie les pires accommodements.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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