Salvini est-il lui aussi à la croisée des chemins ?

salvini

Le 9 avril dernier, Matteo Salvini rencontrait à Budapest Viktor Orbán et Mateusz Morawiecki, le Premier ministre polonais. Objectif : renforcer les liens entre ces formations souverainistes et le poids de celles-ci sur les décisions prises à Bruxelles avec, éventuellement, la création d’un nouveau groupe au Parlement européen. En effet, faire partie du groupe Identité et Démocratie, avec le Rassemblement national et l’AfD mais sans le PiS polonais (qui fait partie de l’ECR, le Parti des conservateurs européens) et sans Viktor Orbán, SDF politique depuis qu’il a quitté le PPE, ne lui paraissait plus suffisant. C’est pour poursuivre dans cette direction que les trois protagonistes – Orbán, Morawiecki et Salvini - se sont entretenus, le 3 novembre dernier, en visio-conférence. La volonté de Matteo Salvini de créer un nouveau groupe politique répond à des objectifs internationaux – peser davantage à Bruxelles - mais aussi nationaux.

En effet, la création d’un tel groupe ôterait le PiS polonais du groupe des conservateurs européens présidé par Giorgia Meloni, dirigeante du parti Fratelli d’Italia, alliée et… rivale (du moins dans les sondages) de la Ligue de Matteo Salvini en Italie. Mais cette discussion avec Viktor Orbán et Mateusz Morawiecki, dont on sait peu de choses mais qui a été fortement médiatisée en Italie, intervenait également dans un contexte précis, interne à la Ligue.

On le sait, Giancarlo Giorgetti, numéro deux de la Ligue et ministre du Développement économique dans le gouvernement Draghi, est censé représenter l’aile « modérée », c’est-à-dire plus centriste, et assurément plus européiste, de la Ligue. Giorgetti, qui fait partie de la Ligue depuis l’époque d’Umberto Bossi, s’était ainsi récemment exprimé : « Le virage européiste de Salvini est inachevé. » Puis, sur l’évolution récente du chef de la Ligue consécutive à son entrée au gouvernement de Mario Draghi dont fait également partie la gauche italienne, Giorgetti expliquait que « s’il veut définitivement s’institutionnaliser, Salvini doit faire un choix précis. Je comprends la gratitude envers Marine Le Pen, qui l’a accueilli il y a dix ans dans son groupe. Mais l’alliance avec l’Afd n’a pas de sens. » Giorgetti pousse depuis longtemps Matteo Salvini à frapper à la porte du PPE, appuyé en cela par Roberto Maroni, ancien poids lourd historique de la Ligue : « Il serait bon de faire ce que dit Giorgetti. Il faut que la Ligue adhère au PPE. Giorgetti, qui est le plus démocrate-chrétien des leghistes, a raison. Cela pourrait convenir aussi à Salvini, qui prendrait la place de Berlusconi, devenir ainsi le leader d’un centre droit modéré en Italie en mesure de dialoguer avec les forces centristes qui n’ont pas tant de poids, laissant à Giorgia Meloni le rôle de la droite », expliquait-il dans les colonnes de La Repubblica, le quotidien de la gauche italienne.

La fameuse visio-conférence était donc, aussi, une réponse à Giorgetti. Dès le lendemain, Salvini, qui doit depuis sa chute dans les sondages au profit de Giorgia Meloni affronter de nombreuses dissensions en interne, a convoqué un conseil fédéral de la Ligue à Rome. Les leaders de la Ligue, dont les gouverneurs du Nord, y ont affiché un front uni. Officiellement. Car selon un des « big » de la Ligue cité par Il Giornale, « Giancarlo Giorgetti est persuadé que Draghi sera le futur président de la République italienne, raison pour laquelle la Ligue doit se préparer à gérer l’après, sans quoi elle est destinée à perdre les élections. Les chancelleries européennes ne permettront jamais à un Salvini souverainiste d’être le Premier ministre italien, avec les milliards du Plan de relance à gérer. »

Ce week-end, intervenant à l’École de formation politique de la Ligue, Salvini est revenu sur le sujet européen : « S’il y a un centre droit soumis à la gauche, mon devoir n’est pas de suivre la gauche mais de porter le centre droit en Italie et en Europe à redevenir, fièrement, le centre droit : conservateur, libéral, révolutionnaire et constructif. […] Si nous sommes une force (politique) qui croit en quelques valeurs, la famille, l’identité, la tradition, le mérite, la croissance, la défense des frontières, une politique migratoire sous contrôle, nous sommes une alternative à la gauche. »

La recomposition politique en cours au sein de la droite italienne aura des répercussions dans toute l’Europe : qui, de Giorgetti ou de Salvini, aura l’intuition la plus fine, la plus perspicace de ce qui se joue dans l’Europe post-Covid ? Il sera intéressant de voir s’ils auront la même réaction sur ce qui se passe en ce moment aux frontières de la Pologne, et si Giorgetti approuvera la ligne de l’actuel PPE.

Marie d'Armagnac
Marie d'Armagnac
Journaliste à BV, spécialiste de l'international, écrivain

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