Sans vouloir être rabat-joie, janvier sans alcool

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Trinquant avec un ami à la nouvelle année, une flûte remplie d’une boisson pétillante de la région rémoise, il s’enquit malicieusement de ce que je pensais du « Dry January » américain, dont l’instauration en France fait quelques émules. Conscient de m’aventurer dans un « Faites ce que je dis et ne faites pas ce que je fête », je n’éludais pourtant pas la question et lui faisais la réponse suivante.

Dans le tabagisme, la consommation est du type « tout ou rien » ; il n’y a pas de tout petits fumeurs, qui resteraient au long cours à moins de trois cigarettes par jour ; dans leur très grande majorité, les fumeurs en fument plus de six et souvent bien davantage.

En matière d’alcool, la consommation se présente en plusieurs degrés (si l’on peut dire) : les abstinents complets ou « néphaliques » ; les consommateurs erratiques, modérés, circonstanciels (repas gastronomique, fêtes...) ; les « alcoolo-dépendants » ; et, enfin, les « alcooliques ».

Parlons de la deuxième marche, celle des consommateurs erratiques qui associent à des mets, souvent conçus à l’origine autour de boissons de nos terroirs (cidres, bières, vins fins) qui, bues avec modération, magnifient ces mets, dans une épiphanie réciproque. On s’en voudrait d’être rabat-joie en troublant cette communion. C’est dans ce cas de figure que l’on peut comprendre la déclaration du Président Macron, reprenant une expression du Président Pompidou : « Il faut arrêter d’emmerder les Français. » Gardons-nous bien de prôner le soda avec le lièvre à la royale, le Coca-Cola™ avec la choucroute et l’eau minérale avec les huîtres…

La troisième marche, la plus concernée par ce « janvier sans alcool », est celle de l’alcoolo-dépendance, qui affecte quatre à cinq millions de nos concitoyens. L’intimité qu’ils ont établie avec l’alcool les empêche de s’en priver un ou deux jours chaque semaine. Un janvier réellement « sans alcool » leur paraîtrait impossible ; transigeons et disons « avec moins d’alcool ». Ce mois pourrait être l’occasion d’évaluer l’importance de sa dépendance à cette drogue et d’adapter en conséquence ses consommations ultérieures. Alors que les médecins interrogent sans hésiter leurs patients sur leur consommation de tabac, ils sont, pour la plupart, très discrets sur leur consommation d’alcool ; d’où l’intérêt, pour ces patients, de procéder à un autodiagnostic.

C’est dans le vivier des « alcoolo-dépendants » que se recrutent les « alcooliques » de la quatrième marche de notre escalier.

Le mois de janvier pourrait être mis à profit pour une sensibilisation sur l’alcool. Il serait rappelé qu’il tue chaque année, en France, 45.000 de nos concitoyens ; qu’il est responsable de multiples handicaps, de détresses familiales, professionnelles, sociales ; qu’il est à l’origine de 5,5 % des cancers (bouche, pharynx, larynx, œsophage, colon, rectum, sein) ; qu’il entretient des relations avec la maladie d’Alzheimer. Ce mois de janvier pour informer sur les risques de « la biture express », du syndrome d’alcoolisation fœtale ; sur l’accroissement, en fonction de la dose, des accidents vasculaires ischémiques, des cardiopathies hypertensives, des coronaropathies, des anévrismes aortiques… Toutes ces données, portées à la connaissance du public, permettraient de faire pièce à la publicité agressive du lobby alcoolier.

Le poison est lié à la dose, à la fréquence d’exposition, à sa durée, aux circonstances (au travail, sur la route, un tiers des accidents lui sont dus), aux produits associés. Ainsi, la rencontre de l’alcool avec le cannabis multiplie par 14 le risque d’un accident mortel de la route.

Chez l’alcoolique, un sevrage brutal peut déterminer un delirium tremens, avec un délire aigu, des crises épileptiques subintrantes ; il serait létal s’il n’était pratiqué en milieu médicalisé. L’intense consommation d’alcool en fait une drogue dure, et même très dure. Relisons Zola, L’Assommoir, la mort de Coupeau. Par contraste, notons que l’abstinence de l’héroïnomanie n’est pas létale.

Tout cela étant considéré, faisons que ce mois de janvier soit mis au service du questionnement de chacun sur sa consommation d’alcool et d’une large diffusion d’informations rigoureuses sur les méfaits de cette drogue, extraordinairement banalisée.

Si l’État, pour complaire à la filière alcoolière, oublie ses devoirs de prévention et ne se rallie pas au « Janvier sans alcool », on peut le regretter, mais cela peut se faire sans lui.

Jean Costentin
Jean Costentin
Docteur en médecine

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