Le scrutin majoritaire, institutionnellement légal, est antidémocratique

En déclarant, mardi 13 juin, qu’il serait "utile qu’une dose de proportionnelle soit introduite à l’Assemblée nationale", le Premier ministre Édouard Philippe ne fait que rappeler l’engagement d’Emmanuel Macron. Cette annonce intervient entre les deux tours, alors que, selon toute vraisemblance, La République en marche devrait obtenir une très large majorité, sans même le soutien du MoDem.

Le cofondateur de Mediapart, pour une fois impartial, a trouvé le mot juste pour expliquer cette vague déferlante : "Un âne aurait l’étiquette En Marche !, il aurait été élu." Insulte aux candidats de la majorité présidentielle ou aux électeurs qui ont voté pour eux, conditionnés par une opération de marketing sans précédent ? Quoi qu’il en soit, le Premier ministre, par cette apparente concession, semble vouloir apaiser les craintes des électeurs rebelles à la « macronmania » : se laisseront-ils abuser ?

Il est piquant de constater que même Les Républicains, qui en ont bien profité du temps de leur splendeur, commencent à comprendre les défauts d’un système qui permet à un mouvement, rassemblant 32 % des voix au premier tour (c’est-à-dire à peine 15 % des inscrits), de rafler plus de 70 % des sièges à l’Assemblée.

Quant à l’opposition authentique – La France insoumise, le Front national et la droite qui n’aura pas succombé aux charmes de la sirène Macron –, elle sera fortement réduite : le parti de Jean-Luc Mélenchon, avec 13 % des voix, obtiendra au mieux 4 % des sièges, le Front national, avec 13 %, une poignée d’élus. Les Républicains patriotes – distinguons-les ainsi de la masse des opportunistes macron-compatibles qui se verront offrir un plat de lentilles –, ils seront probablement minoritaires dans leur parti, s’il n’éclate pas.

Objectivement, l’Assemblée nationale ne sera en rien représentative de la réalité de l’électorat. On connaît l’argument principal des partisans du mode de scrutin majoritaire : la stabilité. Pourtant, de nombreuses solutions existent, qui n’empêcheraient pas de gouverner.

On pourrait trouver un système qui associe stabilité et justice. Quand François Mitterrand, pour des raisons politiciennes, a introduit provisoirement la proportionnelle départementale pour les législatives, il a permis au Front national d’être représenté. De même, le modèle allemand du Bundestag pourrait être adapté à la situation française : une partie des députés élue dans les circonscriptions, une autre à la proportionnelle.

Quelques garde-fous peuvent être mis en place, comme l’instauration d’une « prime au gagnant ». Et si, d’aventure, une majorité ne s’imposait pas, des partis devraient négocier pour s’entendre sur un programme – ce qui ne serait pas forcément un mal et permettrait, au demeurant, d’obtenir plus facilement l’adhésion des Français.

Les partis qui bénéficient de la majorité absolue sont toujours réticents à introduire une dose – même minime – de proportionnelle. Ils préfèrent cautionner un système qui permet légalement à une minorité d’imposer sa loi à une majorité. Ils prétendent qu’il est légitime que la majorité élue puisse gouverner, fût-elle loin de représenter l’ensemble des Français.

Il faut le dire : le mode de scrutin majoritaire, institutionnellement légal, est antidémocratique !

Dans l’immédiat, si l’on veut qu’une opposition véritable exerce un contrôle critique sur les projets du gouvernement et contienne sa volonté impérialiste, il faut que la droite patriote et le Front national cessent d’avoir des « pudeurs de gazelle », comme dirait Mélenchon, et s’unissent pour l’emporter dans le maximum de circonscriptions. Sans quoi, la démocratie risquerait fort de se transformer en oligarchie ou, pire, en despotisme sournois.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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