Sergio Leone, père du western européen, en guerre contre l’Amérique ?

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Dans le septième art, les grands maîtres sont rares ; hormis peut-être Sergio Leone (1929-1989), il va de soi, l’homme qui révolutionna le western, dans les années 60 du siècle dernier. En effet, il n’est pas donné à tout le monde de créer un genre, ce qu’il fit pourtant, même si ce dernier fut affublé du vocable de « western spaghetti » par la critique américaine, choquée que la vieille Europe vienne remettre en cause son roman national, fondé sur le massacre organisé des autochtones. On ne parlait pas, alors, de « génocide » ; mais on aurait pu. Bref, Leone renvoyait aux Américains le triste miroir de leur Histoire. Certains ne le supportèrent pas, à l’exception notoire de l’immense John Ford – par ailleurs grand admirateur du Sergio Leone en question – et qui avait déjà commencé à en rabattre sur cette « conquête de l’Ouest », jadis tenue pour « héroïque », mais dont tout le monde finit par convenir qu’elle était avant tout fondée sur la violence d’État.

Du glaive de Charlton Heston au colt de Clint Eastwood

Mais revenons-en à nos bisons, et à celui ayant fait ses premières armes en tant que réalisateur de seconde équipe fort apprécié de l’industrie hollywoodienne : la course de chars du Ben Hur de William Wyler, tourné en 1959, lui doit par exemple beaucoup. Il prend, ensuite, du galon avec un coup d’essai, Les Derniers Jours de Pompéi (1959), coréalisé avec Mario Bonnard et tôt suivi d’un coup de maître, Le Colosse de Rhodes, tourné deux ans plus tard, enfin signé de son nom. Et là, déjà, il démythifie ce genre mythique par excellence, montrant les héros antiques sous un jour des plus sombres. À croire que Sergio Leone ait, de longue date, toujours cherché à dénicher la part de réalité se dissimulant derrière la légende.

Le fascisme selon Sergio Leone

On en saura plus en se reportant à Conversations avec Sergio Leone , bel ouvrage de Noël Simsolo, historien du cinéma, l’un des premiers journalistes français à avoir pu s’entretenir aussi souvent avec Sergio Leone ; ce, depuis les années 70. D’où ces confidences de première main. Son enfance, tout d’abord, avec le fascisme pour toile de fond et un père déjà cinéaste, Vincenzo Leone, plus connu sous le nom de Roberto Roberti. Ce que pense Sergio Leone de cette période ? « Le fascisme était une connerie qu’on a prise au sérieux. Vous savez que Mussolini avait commencé par militer dans les rangs des socialistes… »

Ce qui n’empêche d’ailleurs pas Leone père d’être très ami avec Alessandro Blasetti, cinéaste fasciste des plus emblématiques. Mais comme on sait, rien n’est jamais grave, en Italie ; ce qui vaccinera néanmoins à jamais le jeune Sergio des idéologies, d’où qu’elles viennent.

La suite appartient à l’Histoire avec la fameuse « trilogie des dollars » : Pour une poignée de dollars (1964), Et pour quelques dollars de plus (1965) et Le Bon, la Brute et le Truand (1966). Il suffira à un certain Clint Eastwood d’arborer poncho élimé et de mâchonner un cigarillo pour immédiatement entrer au panthéon du cinéma. Alors inconnu en Europe, il devient illico une icône, même si Sergio Leone dit, à propos de son jeu d’acteur : « Pour Eastwood, c’était le naturel. Trois expressions : une avec le cigare, une avec le chapeau, une sans le chapeau. » Voilà qui n’est pas très gentil, mais fondamentalement pas incongru.

Notons que Pour une poignée de dollars, Sergio Leone est obligé de prendre un pseudonyme américain, Bob Robertson, histoire de faire plus « sérieux ». Ce sera la dernière fois, ce film sorti en catimini ne tardant pas à devenir un véritable triomphe ; en France surtout, malgré des critiques globalement négatives. Tel que vu plus haut, ces dernières sont encore plus expéditives aux USA. Ce qui n’ira pas en s’arrangeant, surtout avec Le Bon, la Brute et le Truand, qui montre la guerre civile américaine sous un jour peu flatteur, avec ces camps où les prisonniers confédérés sont condamnés à mourir à petit feu.

L’initiateur du « Nouvel Hollywood » ?

Puis, le grand œuvre : Il était une fois dans l’Ouest (1968), cette fois tourné outre-Atlantique. Là encore, la relecture des mythes fondateurs yankee en prend un sacré coup, quoique de jeunes metteurs en scène de ce que l’on surnommera le « Nouvel Hollywood » (sorte d’équivalent local de la Nouvelle Vague française) retiennent la leçon : on ne pourra plus filmer le Far West comme avant. Bref, la voie est ouverte pour des outsiders tels que Sam Peckinpah et ses deux sublimes films, La Horde sauvage, tourné l’année suivante, et Pat Garrett et Billy le Kid, deux ans plus tard.

En 1971, avec Il était une fois la révolution, c’est une autre vache sacrée que Sergio Leone dynamite : le gauchisme ambiant. Ensuite, de projets avortés en films enterrés avant même le premier tour de manivelle, il finit par conclure sa courte filmographie avec Il était une fois en Amérique, en 1984, film tout aussi sceptique sur le rêve américain.

Bien sûr, rien de tout cela n’aurait été possible sans la musique d'Ennio Morricone, actrice à part entière de ces films mis en scène à la manière d'un opéra. Après tout, nous sommes au pays de Giuseppe Verdi. Italien un jour, italien toujours, en quelque sorte. Est-il véritablement utile de préciser que cet ouvrage est hautement recommandable aux amateurs du genre ? Non.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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