Si l’on avait rendu justice aux millions de morts du communisme, l’hubris russe n’en serait peut-être pas là
4 minutes de lecture
« L’extrême droite française embarrassée sur le front de l’Est », titrait Mediapart, le 24 février. « Guerre en Ukraine : La longue indulgence de l’extrême droite française envers la Russie », renchérissait Libération, deux jours plus tard. Le fil rouge de la petite rengaine est là : il faut pointer du doigt « l’extrême droite » qui a soutenu Poutine. De là à dire qu’elle est responsable de toute cette crise, il n’y a qu’un pas.
Ben mon sagouin, comme disait San-Antonio, il ne faut pas manquer de culot. Car si responsabilité - profonde - il y a, elle incombe tout à l’inverse à la gauche. Cette gauche médiatique, politique, intellectuelle, artistique qui, du temps de l’Union soviétique, a rivalisé de complaisance et d’aveuglement, conspuant tous ceux qui osaient contrevenir à la doxa officielle, les accusant même de ce qui ne s'appelait pas encore une « fake news ».
Le journaliste britannique Gareth Jones, qui découvrit l'horrible famine ukrainienne provoquée par les mesures confiscatoires de Staline, fut accusé d'affabulation par le très complaisant correspondant du New York Times à Moscou. En France, la gauche niait en bloc. Édouard Herriot traversa l’Ukraine comme un village Potemkine dans lequel il ne vit que « prospérité » (sic). L’Humanité dénonçait dans le même temps d'« ignobles attaques conjuguées contre l'État ouvrier ».
Évoquant le massacre de Katyń, dont il ne fallait pas dire par qui il avait été perpétré, l’historien et journaliste polonais Adam Michnik parle (Le Monde, 2009) de « cadavre dans le placard de la gauche française si longtemps indulgente à l’égard de Staline ». « Le mur de Berlin est tombé, mais pas le mur qui, dans l’esprit des Occidentaux, interdit de reconnaître la réalité de l’Union soviétique », rajoute sa compatriote Maria Nowak, dans son livre Pour notre liberté et la vôtre. Comment la Pologne a été abandonnée par ses alliés (Librinova, 2019).
Lorsque André Gide, publia un Retour de l’U.R.S.S. (NRF, 1936) passablement critique, il se fit injurier, notamment par Louis Aragon, et traiter de « traître » et de « complice des fascistes ». Les séjours en Union soviétique étaient devenus une tradition pour les intellectuels de la gauche française. Et c’est dans un entretien accordé à Libération lors du retour de son premier voyage en 1954 que Jean-Paul Sartre écrivit (sans rire) : « La liberté de critique est pleine et entière en URSS. »
Ces intellectuels sont-ils aujourd'hui honnis comme ceux qui ont eu les yeux de Chimène pour l'Allemagne nazie ? Non, bien sûr. Mieux : comme l’écrit Vincent Coussedière, dans Éloge de l’assimilation. Critique de l’idéologie migratoire (Le Rocher, 2021), toute la doxa de la gauche française aujourd’hui n'est que « notes en bas de page » de Sartre. Impossible, dans ces conditions, de frapper trop fort sur la tête de la Russie, après la chute du mur, et exiger d’elle qu'elle regarde son Histoire en face comme on l’a fait avec l’Allemagne. On a accepté un discours consensuel, qui est celui de Poutine aujourd’hui : l’URSS nous a libérés du nazisme, point. Ce qui n’est pas faux, mais ne suffit pas à gommer les millions de morts du communisme.
Faute de voir leurs souffrances réellement reconnues, impossible pour les pays de l’Est de panser leurs plaies, et pour nous de comprendre cette ruée vers l’OTAN : ils n’ont de cesse de s’éloigner de cette Russie à laquelle ils sont pourtant culturellement liés mais par laquelle ils ont tant souffert. Dans un entretien accordé au FigaroVox, en 2017, Michel Eltchaninoff, auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine (Acte Sud, 2015), explique que celui-ci a à cœur de réconcilier la Russie autour d’un roman national commun qui occulte les crimes de Staline : « Pour le cinquantenaire de la victoire sur le nazisme le 9 mai 2015, Poutine a demandé aux Russes de sortir dans la rue avec le portrait d'un de leurs aïeuls tués pendant la guerre. Il veut réconcilier la Russie autour de la victoire contre le nazisme, tout en effaçant les dissensus liés à la révolution de 1917 et au stalinisme. […] La mémoire du goulag, du coup, se heurte à l'hostilité des autorités, comme le camp Perm-36, dernier camp stalinien conservé, régulièrement menacé de fermeture. » Son obsession est l'unité nationale. On peut le comprendre, nous autres savons à quel point la repentance à tout va affaiblit un pays. Surtout lorsqu’elle injustifiée… Ce qui n’est pas le cas pour l'ex-URSS.
« Il n'y a jamais eu de procès du communisme. L'ancien dissident Vladimir Boukovski avait proposé dans les années 1990 à Eltsine de faire un grand procès du communisme. Ce dernier a refusé. Du coup, Poutine aujourd'hui surfe sur la nostalgie de l'URSS. La Russie est malade du refus poutinien de regarder son passé en face. » L’Occident n'a pas moufté. Car demander à la Russie de battre sa coulpe aurait forcé la gauche à battre aussi la sienne. Les film Katyn, La Révolution silencieuse ou encore L'Ombre de Staline, bien que de grande qualité, sont peu connus du grand public.
En forçant l’Allemagne à se dénazifier et à courber la tête, on l’a forcée, fragilisée, à mettre sous le boisseau son hubris conquérant. La Russie n’a jamais été désoviétisée, et en cherchant à rassembler les pièces d'un Empire russe, Vladimir Poutine chausse les bottes de Staline, dont le buste - tiens donc ! - a rejoint, en 2017, à Moscou, celui des autres présidents de l’ère soviétique. Une initiative financée par le gouvernement.
C’est bien la gauche, et non la droite, qui devrait faire son autocritique. Samokritika. C’était le nom qu'on donnait à cette pratique, en Union soviétique.
Pour ne rien rater
Les plus lus du jour
LES PLUS LUS DU JOUR
Un vert manteau de mosquées
80 commentaires
Je partage votre point de vue, et ceci nous explique pourquoi la gauche française (politiques et médias confondus) , utilisent les mêmes arguties que M. Poutine pour désigner ceux qui pensent différemment de nazi
mme Cluzel les pricipales victimes du communismes sont les habitants de l’urss c’est une guerre civile.Vous avez une vision trop binaire de tout cela:on a reproché par exemple l’invasion de la Tchécoslovaquie aux Russes alors qu’ils y étaient opposé au moment de son déclenchement. Comme pour la guerre d’Espagne les faits y son indigestes pour la nation qui doit reconstruire son roman national .Poutine paraphrasant G B shaw : »nier l’urss serait aussi bête qu’en avoir la nostalgie »
Merci pour cette analyse qui nous éclaire et remet les choses en place .
Bravo Mme CLUZEL pour cette analyse pertinente et objective ! Cette capacité d’analyse manque, malheureusement, très cruellement dans nos « grands » médias …. Dommage !
Vladimir Poutine ne veut qu’une chose : que l’OTAN arrête d’encercler la Russie! Les responsables ce sont les Occidentaux, mais reconnaître leur responsabilité est impensable pour des dirigeants imbus de leur personne comme l’est le « télégraphiste de l’Elysée »!
Compte tenu du rapport des forces (puisque la dissuasion nucléaire est destinée par essence à ne pas servir), on se demande bien ce que Poutine a à craindre de l’OTAN, sinon dans sa paranoïa. Dans les pays membres de l’OTAN, il n’y a pas grand monde prêt au sacrifice pour aller croiser le fer avec les Russes sur leur territoire. Et surtout pour quoi faire ? Considérons simplement les préoccupations électorales des Français pour constater à quels grands patriotes courageux nous avons à faire…
Malheureusement, nous allons entrtenir cette guerre en fournissant des armes aux Ukrainiens
Poutine a tous les défauts, sauf celui d’être fou. Toutes les armes obligeamment fournies à l’Ukraine sont instantanément détruites par ses soins.
Et tout cela à cause des états-uniens qui nous garde soumis avec leur hypocrite OTAN
l’OTAN n’est pour eux qu’un grand marché d’armements très lucratif
Absolument d’accord avec vous. L’OTAN dissoute, comme elle aurait dû l’être, les BHL et autres clowns européens au placard, la Russie s’occuperait de ses affaires. Les Américains sont des impérialistes, la Russie ne fait que défendre son territoire. L’Europe, le toutou des USA suit, mais c’est elle qui paiera la facture. Et le bon peuple de France continue à ingurgiter les infos de la bien-pensance, après celles qu’il a avalées sur la covid.
Bien entendu Madame Cluzel que cette gauche consensuelle, nauséeuse à toujours refusé de faire son autocritique et la ne fera jamais, ils sont encore présents sur les plateaux de télé, de radio, sans aucune gène, …
S’ils n’étaient présents que là. Ils ont surtout gangrené en 1945, grâce à Thorez et avec l’absolution de de Gaulle, des pans entiers de l’administration française : Transports, énergie, éducation, médias, santé (grâce à la sécu) et j’en passe. De quoi œuvrer efficacement, longuement et tranquillement à la destruction du pays. Qui dure encore.
Excellente analyse en retord à une gauche hubris toujours prête à humilier ceux qui ne partagent pas leur valeur cependant, je ne ressens pas le besoin de tirer sur l’ambulance Poutine lequel, je comprends qu’à force de mauvaises fois et d’attaques répétées de toute part de la communauté internationale, il devienne un peu, beaucoup, passionnément déstabilisé au point de surprendre ceux mêmes qui partageaient sinon reconnaissaient son mérite d’avoir en si peu de temps redressé la Russie.
Poutine une ambulance? souhaitons alors que Biden soit le corbillard.
C’est effectivement un grand peuple qui sait chanter en masse et à l’unisson, sans fausses notes, son hymne national à chaque grande occasion. On est loin de pouvoir en dire autant des Français.
Chère madame Cluzel, vous savez ce que l’on dit: « la Russie est un mystère enveloppé dans une énigme », alors hubris de Poutine peut être, mais placer son orgueil dans son pays est ce si blâmable, mon premier voyage en URSS 1969, ça ne donnait pas envie, depuis j’ai revue la Russie « nouvelle », je peux au moins vous dire une chose, le Russe aime son président et en est fier.
Ouf, je ne suis pas seule. Merci
Non! Nous ne sommes pas les seul(e)s!
j’ai revue la Russie « nouvelle », je peux au moins vous dire une chose, le Russe aime son président et en est fier…. euh, oui mais pourquoi vouloir imposer ses vues hors de ses frontières? les ukrainiens ont le droit de choisir de ne pas vivre sous la férule russe, non?
Zelensky a fait 14’000 mort en bombardant les russophone de l’est pendant 8 ans, c’était une marionnette des USA et son approbation était tombée à 25%.
Poutine n’a probablement aucun plan de domination pour la partie Ouest de l’Ukraine acquise à l’Europe, la partie Est acquise à la Russie n’avait rien à faire dans les frontières d’un pays mal né de la chute de l’URSS.
La moitié des victimes sont le fait des séparatistes russophones…
C’est ce que je disais dans un commentaire précédent. Poutine aime son pays et les Russes, contrairement à Macron qui ne pense qu’à les « em…r » les contraindre et les martyriser.
La gauche montre la Vérité !
La gauche a la mémoire d’un poisson rouge.
Ce qu’ils ont dit ou fait hier ne compte plus. C’est le baratin et les mensonges du jours qui sont la vérité.
Les gens de gauche, et principalement les communistes français, ont aussi du sang plein les mains. Ils ont collaboré avec l’Allemagne nazie, Ils ont collaboré avec le vietminh, avec le FLN. Traitres toujours !
Le « Nuremberg du communisme » n’aura pas lieu. Amnistie pour tous !
Exact. Le PCF a trahi la France partout où nos soldats se battaient. Leur arme principale était la CGT les dockers, les cheminots. Encore aujourd’ hui la CGT est pro russe.
Merci Gabrielle Cluzel pour ce rappel de faits historiques. Les faits, rien que les faits, voilà le vrai journalisme. Une petite critique tout de même. Quand vous vous laissez aller à une interprétation dans la conclusion (souci « d’équilibre » ?) vous commettez je crois une erreur. D’abord je ne crois pas que Poutine soit un nouveau Staline et puis, quelles preuves de cette affirmation ? Si j’étais encore Rédacteur en chef j’aurais suggéré de modifier journalistiquement cette chute.
Exact, parce que si on veut faire une véritable étude historique, il faudrait peut être examiner les arguments de la partie adverse, comme le traité de Minsk, par exemple ‘retrouvé dans les archives anglaises)
Exact.
On retire quand même l’impression dérangeante que » mettre le spot » sur Poutine plonge dans l’ombre les 30 ans de « politique » UE, alignée servilement sur celle des USA. Désinvolture, arrogance, humiliations : tout finit bien par se payer sans recourir à l’orgueil russe, sa nostalgie de la grandeur etc etc .
Le bilan humain de l’URSS pendant la « Grande guerre patriotique » comprend les Russes tués au front mais aussi les millions de déportés au GOuLag ou de fusillés par les zampolit pour avoir osé émettre une critique ou un doute sur les décisions du « Petit père des peuples ». Sans compter la déportation des familles entières des mal-pensants.
Il y a 50 ans, Alexandre Soljenitsyne a été un des plus célèbres dissidents à expliquer ces faits dans son « Archipel du Goulag ».
Mais qui se souvient ou veut se souvenir à gauche de ce qui est écrit dans « L’Archipel du Goulag » ?
Il faudrait déjà l’avoir lu!
Il est interdit de faire le procès du communisme en Russie, sous peine d’être accusé d’antisémitisme, c’est aussi simple que cela. Mais Poutine n’est pas un communiste. Il faut le lire dans son discours du 24 février dernier : « Le bien-être, l’existence même d’États et de peuples entiers, leur succès, leur viabilité trouvent toujours leur origine dans le puissant système des racines englobant leur culture et leurs valeurs, l’expérience et les traditions de leurs ancêtres ».
J’adore vos billets d’habitude, mais l’analyse de ce qui nous a mené là demande des heures de lectures de toutes les source et on est loin d’un problème de « Russie impérialiste ». Sans surprise les USA et particulièrement la gauche sont à la manœuvre. Poutine qui a tout tenté jusqu’à la dernière minute n’avait plus d’autres choix.
Du coup aux diverses médailles de la gauche comme « complotistes », « antivaxx », « fasciste », « raciste », « homophobe » je peux ajouter maintenant « vendu aux Russe ».
Merci Mme Cluzel de nous rappeler le pourquoi fondamental de cette nostalgie romantique que certains éprouvent encore en Occident pour le cancer rouge communiste.
J’ajoute que si la nostalgie de l’URSS et du Socialisme réel est un phénomène majeur en Russie, la nostalgie d’Hitler et de Pétain ne concerne que 10% de la population en France si on en croit les derniers sondages.
Je ne vois pas le rapport entre un pays qui veut se défendre de l’avancé d’autres autour de ses frontières et la nostalgie d’Hitler et de Pétain qui serait plutôt celle de nos dirigeants occidentaux, qui adoubent l’eugénisme des avortements en masse et des euthanasies de nos aînés et fragiles à coup de Rivotril)
En France, je ne connais aucun nostalgique d’Hitler.
Je connais par contre des personnes choquées par la façon dont le Maréchal Pétain a été traité après la guerre et aujourd’hui par l’histoire.